Les Européens regardent Berne
C'est en Suisse que l'Europe joue son avenir sur le climat

La condamnation de la Suisse pour «inaction climatique» par la Cour européenne des droits de l'Homme ouvre la porte à une multiplication des contentieux du même genre dans les pays européens.
Publié: 09.04.2024 à 20:06 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

La Suisse, modèle pour les «Verts» européens et au-delà? La réponse est oui. Mais pas un modèle positif, cité pour ses avancées écologiques. Après sa condamnation sans appel ce mardi 9 avril par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), la Confédération devient une référence pour tous ceux qui souhaitent multiplier les contentieux climatiques, et poursuivre en justice les gouvernements. Berne est devenue avec ce jugement la capitale mondiale du droit climatique. Voici pourquoi.

Inaction climatique, défaite politique

Le jugement de la CEDH prononcé contre la Suisse ce mardi 9 avril dépasse, de loin, toutes les procédures juridiques remportées jusque-là devant les tribunaux par les écologistes. La Suisse, pays souvent cité comme modèle pour sa prospérité, est donc selon les 17 juges de la «Grande Chambre», coupable «d’inaction climatique»! Cela va bien au-delà, par exemple, du jugement prononcé le 14 octobre 2021 par le Tribunal administratif de Paris. Celui-ci avait condamné l’État français à réparer les conséquences de ses manquements dans la lutte contre le changement climatique, pour le dépassement du plafond des émissions de gaz à effet de serre en 2015-2018. Dans le cas helvétique, c’est la mise en danger d’autrui qui est retenue. La Cour a aussi jugé qu’il y avait eu violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la convention européenne des droits de l’Homme. En clair: c’est une défaite politique majeure pour le gouvernement.

Inaction climatique, union des générations

Les eurodéputés Verts se sont aussitôt réjouis du jugement de la Cour européenne des droits de l’homme. D’abord parce qu’elle ouvre la porte à une jurisprudence favorable à d’autres contentieux juridiques et au dépôt d’autres plaintes. Ensuite parce que les plaignants helvétiques n’étaient pas des jeunes, mais des retraitées. Politiquement et socialement, c’est essentiel. Le cas de la Suisse montre que les activistes pour le climat ne sont pas que des émules de la jeune Suédoise Greta Thunberg (présente ce mardi à Strasbourg). C’est l’union sacrée entre les grands-parents et leurs petits-enfants. Et c’est explosif.

Rosmarie Wydler-Waelti et Anne Mahrer, co-presidentes des Aînées pour le climat et l'équipe des avocats, dont Raphael Mahaim, attendent la Présidente de la Cour, Siofra O'Leary, lors de la publication de la décision de La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Photo: keystone-sda.ch
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Inaction climatique, la honte ciblée

Vous connaissez peut-être cette formule anglaise: «Name and shame»; nommer pour rendre honteux. Et bien la Suisse se retrouve victime de ce naming and shaming, alors que le drapeau rouge à croix blanche est d’ordinaire cité en exemple. Pour les gouvernements des pays membres du Conseil de l’Europe (dont dépend la CEDH) et pour ceux de l’Union européenne, l’avertissement est clair: le pouvoir judiciaire vient d’entrer dans la bataille du climat. Or ce levier de la «honte» est très fort car les dirigeants détestent être pointés du doigt. La réprobation devient l’arme ultime des activistes. Le «Swiss made», en matière climatique, se retourne contre la Confédération. De quoi inquiéter tous les pays voisins qui, sur le plan des normes écologiques, font comme la Suisse.

Inaction climatique, le filon juridique

Les avocats du monde entier vont se ruer sur la décision de la Cour de Strasbourg. Ils vont la décortiquer, et y chercher tout ce qui pourrait motiver une action similaire dans leurs pays. La plainte déposée par les «aînées» est partie pour susciter de nombreuses vocations dans les deux sens. Les écologistes vont y chercher matière à contentieux. Les firmes polluantes et les gouvernements vont en explorer toutes les failles. On peut aussi s’attendre à ce que l’association helvétique soit lauréate de prix ou de récompenses internationales. Le filon de la décision de Strasbourg s’annonce très prometteur. Et très lucratif pour les juristes.

Inaction climatique, l’opportunité d’une crise

Attention: ce qui vient de se passer à Strasbourg n’est pas entièrement négatif pour la Suisse. Si le Conseil fédéral prend acte du jugement, et décide d’agir, la Confédération pourra remercier cette décision de justice. En clair: mieux vaut être le premier pays au monde condamné, car cela augmente les chances d’être aussi le premier à faire amende honorable et à réparer ses fautes. La diplomatie helvétique peut aussi profiter de cette crise pour se rapprocher des diplomaties européennes, et faire progresser le corpus des normes écologiques. Berne est sanctionnée. Mais Berne peut redevenir un bon élève. La justice, dans ce cas, aura prouvé qu’elle est réparatrice.

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