Dangereux engouement antivax
Pourquoi l'ivermectine est considéré à tort comme un remède contre le Covid

La galaxie des opposants aux mesures sanitaires, aux vaccins ou adeptes de théories du complot s'arrachent l'ivermectine, un vermifuge utilisé sur les vaches et les chevaux. Pour l'homme, il peut se révéler extrêmement dangereux.
Publié: 30.11.2021 à 16:03 heures
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Dernière mise à jour: 30.11.2021 à 16:04 heures

Vous avez forcément un ami sur les réseaux sociaux qui vous en a parlé. Ou vu passer une publication à ce sujet: l’ivermectine, ce prétendu produit miracle contre le Covid-19, plus sûr que n’importe quel vaccin de l’industrie pharmaceutique! Même l’UDC s’en est emparée, puisque son groupe parlementaire au Grand Conseil de Saint-Gall s’est fendu d’une interpellation à son sujet. Une interpellation loufoque que le parti cantonal a entre-temps officiellement annoncé regretté avoir déposé.

Les mises en garde se sont en effet accumulées contre ce vermifuge utilisé pour traiter les parasites chez les… vaches et chevaux. L’Autorité américaine des médicaments (FDA) tweetait à la fin de l’été cette phrase surréaliste: «Vous n’êtes pas un cheval. Vous n’êtes pas une vache. Sérieusement, les gars, arrêtez de faire ça.»

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En tête des médicaments importés illégalement en Suisse

La FDA réagissait à l’engouement croissant d’une partie de la population pour ce vermifuge, particulièrement parmi les personnes sceptiques du vaccin. Engouement qui perdure jusqu’à aujourd’hui, y compris en Suisse: début novembre, l’Institut suisse des produits thérapeutiques Swissmedic annonçait que l’ivermectine figurait en tête de liste des médicaments importés illégalement.

L'ivermectine protège les chevaux contre les vers parasites, mais pas les humains contre le Covid.
Photo: keystone-sda.ch
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Il est vrai que ce vermifuge peut être utilisé, à faible dose, chez l’homme contre certains nématodes et les acariens de la gale. Mais il n’est absolument pas autorisé comme traitement contre le Covid-19 et les experts ne voient pas d’effets probants contre le virus. Pire, ils constatent qu’en cas de mauvais dosage, l’ivermectine peut se révéler très toxique.

Aucune preuve de son efficacité

La principale étude sur l’ivermectine et le Covid émane de l’Institut Robert Koch (RKI) en Allemagne, qui ne constate aucune preuve de son efficacité. Ingéré, il ne diminue pas la mortalité ou les cas graves. L’autorité renvoie à ce sujet à une analyse transversale de 14 études cliniques datant de juillet 2021.

Les études sur lesquelles se basent certaines personnes pour recommander l’usage de l’ivermectine seraient basées sur des échantillons de petite taille et faible en qualité. De même, l’Agence européenne des médicaments (EMA) ne recommande l’utilisation de l’ivermectine que dans le cadre d’études cliniques. En mars, elle a fait état de résultats d’études hétérogènes: Certaines n’auraient montré aucun bénéfice, d’autres un bénéfice potentiel.

Pour traiter les infections parasitaires

Au mois de septembre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a maintenu une évaluation réalisée en mars dernier. «Les effets de l’ivermectine sur la mortalité, la ventilation artificielle, l’hospitalisation, la durée d’hospitalisation et l’élimination du virus restent incertains, les preuves pour chacun de ces résultats étant insuffisantes», peut-on lire. Les 16 études examinées, portant sur un total d’environ 2400 participants, ont montré «un risque élevé de biais et une grande imprécision».

Chez les animaux, l’ivermectine est utilisée sous forme d’injections ou de pâte pour traiter les infestations parasitaires. Les doses très concentrées destinées aux vaches ou aux chevaux sont très différentes de celles utilisées pour les humains. Pour ces derniers, des comprimés d’ivermectine sont autorisés dans certains pays — mais pas en Suisse — à des doses bien précises pour le traitement de certains vers parasites ou de maladies de la peau comme la rosacée.

Selon la notice d’utilisation du médicament, les effets secondaires consistent en des troubles hépatiques, du sang dans les urines, des nausées, des vomissements, des tremblements, des difficultés respiratoires, des douleurs testiculaires, des troubles de l’équilibre ou des convulsions. Dans les cas extrêmes, un surdosage peut entraîner jusqu’au coma ou la mort, écrivent les experts de la FDA.

Les ventes du produit explosent

Les opposants à la vaccination voient depuis longtemps dans ce médicament un remède miracle au Covid. En Autriche par exemple, où les politiciens du parti populiste FPÖ ne cessent de vanter les mérites de l’ivermectine, on a parfois parlé d’une ruée sur les pharmacies.

Fin août, des experts des autorités sanitaires américaines (CDC) ont signalé un nombre croissant d’appels aux centres antipoison après l’ingestion d’ivermectine. Selon l’autorité, les ventes de ce produit dans les pharmacies de détail américaines, où il est présent en vente libre, sont passées d’une moyenne de 3900 par semaine avant le début de la pandémie à près de 90’000 à la mi-août.

L’engouement est surtout alimenté par des sites Internet peu sérieux qui renvoient à des résultats d’études faussement prometteurs en rapport avec l’ivermectine. Ce sont surtout les résultats positifs de petites études qui incitent les groupes de pression à réclamer son utilisation comme médicament contre le Covid. C’est vrai: il existe des enquêtes isolées qui montrent un bénéfice, mais ne sont pas représentatives de l’état de la médecine dans son ensemble concernant ce produit.

Pour être efficace, des doses dangereuses pour les humains

En juin, par exemple, l’université d’Oxford a déclaré que l’ivermectine avait donné des résultats prometteurs dans de petites études de laboratoire. On pensait à l’époque qu’une administration précoce réduirait la charge virale et la durée des symptômes chez certains patients souffrant d’une forme légère de la maladie. Mais comme il n’y avait que peu de preuves issues d’études contrôlées, l’ivermectine devait être incluse dans une enquête à grande échelle afin d’obtenir une valeur probante.

En avril 2020, une étude de laboratoire australienne indiquait que l’ivermectine pourrait inhiber la multiplication du SARS-CoV-2 dans des cultures cellulaires. Mais des chercheurs de l’université du Danube à Krems, en Autriche, ont très vite relativisé ces résultats en expliquant que «la dose utilisée était bien supérieure à celle considérée comme inoffensive pour les humains».

Quant aux méta-analyses, qui regroupent un ensemble d’études individuelles et ont une valeur de synthèse, aucune n’est parvenue à la conclusion que l’ivermectine présente un avantage par rapport au Covid-19. Les avis de l’Institut Robert Koch, de l’OMS et de l’EMA, entre autres, se basent sur ces études.

L’Inde et le Japon prennent leurs distances

Les partisans de l’ivermectine font souvent référence à des pays comme l’Inde ou le Japon, où le produit aurait aidé à endiguer la pandémie. Pourtant, le gouvernement de New Delhi a depuis longtemps pris ses distances avec le médicament, notamment en raison du «risque élevé de partialité présent dans de nombreuses études».

Quant à l’affirmation selon laquelle Tokyo mise désormais sur l’ivermectine plutôt que sur la vaccination, il s’agit d'une pure invention. Ce médicament ne figure pas sur la liste des médicaments autorisés au Japon contre le Covid.

En Autriche, le fabricant MSD (Merck Sharp & Dohme) abonde dans ce sens. «Il n’existe pas de preuves significatives pour l’utilisation de l’ivermectine en cas de SARS-CoV-2», a récemment fait savoir l’entreprise. Le virologue Christoph Steininger, de l’Université de médecine de Vienne, déconseille «vivement» un traitement Covid-19 à l’ivermectine. «En plus de l’absence d’autorisation et d’efficacité, il faut tenir compte de la possibilité d’effets secondaires graves», déclare-t-il.

(ATS/Adaptation par Jocelyn Daloz et Alexandre Cudré)

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