De grosses erreurs à répétition
Ruag se fait allumer dans un rapport cinglant du Contrôle fédéral des finances

Avec l'envoi avorté de 96 chars Leopard 1 vers l'Ukraine, Ruag a fait froncer bien des sourcils. Le nouveau rapport d'enquête du Contrôle fédéral des finances est accablant pour le groupe d'armement détenu par la Confédération. La prochaine démission est déjà annoncée.
Publié: 20.02.2024 à 23:04 heures
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Dernière mise à jour: 20.02.2024 à 23:23 heures
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Daniel Ballmer

Pendant des mois, le groupe d'armement appartenant à la Confédération a fait la une des journaux. La CEO Brigitte Beck a d'abord fait parler d'elle avec des déclarations controversées sur les livraisons d'armes à l'Ukraine. En août dernier, elle avait fini par quitter son poste.

Le groupe s'est ensuite retrouvé au centre de l'attention en cherchant à revendre du matériel de guerre aux Allemands de Rheinmetall, alors qu'un refus du Conseil fédéral était prévisible. Ruag souhaitait alors que 96 chars Leopard 1 stockés en Italie atterrissent en Ukraine via l'Allemagne. Les plans de Ruag ont soulevé tant de questions et de critiques que plusieurs enquêtes ont été lancées.

Mardi, l'affaire a pris un autre tournant avec l'annonce de la démission du président du conseil d'administration Nicolas Perrin.

Ruag a défendu la vente indirecte de chars Leopard 1 à l'Ukraine – mais celle-ci a échoué (image d'illustration).
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Le lien avec le rapport d'enquête du Contrôle fédéral des finances (CDF), également publié mardi, semble évident. Car celui-ci attribue de bien mauvaises notes au groupe d'armement. A plusieurs reprises, les contrôleurs financiers ont constaté des lacunes. Et il semblerait même que Ruag n'ait pas respecté ses propres règles. 

Une image inquiétante ressort donc du rapport du CDF: celle d'une entreprise dans laquelle chacun peut faire ce qu'il veut.

Une succession d'incohérences

Tout a commencé en 2016 avec l'achat de chars d'assaut à une entreprise dépendant du ministère italien de la Défense. Dans le cadre de cette transaction, Ruag n'a pas respecté la réglementation en matière de compétences et de signatures. L'approbation de la direction du groupe et du conseil d'administration a fait défaut, note le CDF. Les incohérences de la sorte apparaissent comme un véritable fil rouge dans cette affaire.

Il était par ailleurs prévu de n'acheter les chars et le matériel de remplacement que lorsque qu'un repreneur fixe aurait été trouvé. Or, les documents disponibles ne permettent pas de savoir pourquoi Ruag n'a pas respecté cette procédure.

«Conséquences financières importantes et préjudiciables»

Le groupe a loué un entrepôt à Villesse, dans le nord de l'Italie, où les «Leos» se trouvent encore aujourd'hui. Pourtant, bien que Ruag Suisse soit responsable de la transaction, Ruag Allemagne a signé en 2021 un avenant au contrat dans lequel elle a plus que triplé le loyer mensuel de l'entrepôt pour huit ans, sans possibilité de résiliation. «Incompréhensible du point de vue de la gestion d'entreprise», juge le CDF. Mais est-ce que la direction a donné son accord? Pas de réponse à l'heure qu'il est!

Le Département de la défense (DDPS), n'a quant à lui été officiellement informé que bien plus tard, après même le rejet du deal par le Conseil fédéral. C'est d'autant plus étonnant que le président sortant du conseil d'administration de Ruag, Nicolas Perrin, est le beau-frère de Brigitte Hauser-Süess. Or cette dernière est la conseillère la plus proche de la ministre de la Défense Viola Amherd.

En 2022, Ruag souhaitait vendre les chars à la société allemande Rheinmetall AG, qui devait ensuite les transférer en Ukraine. Mais le Conseil fédéral a opposé son veto. Cette «transaction importante politiquement» n'a pas non plus été formellement approuvée par la hiérarchie de Ruag. Ce n'est que plus tard que l'on a appris que les 96 chars n'appartenaient pas tous à Ruag. Le groupe est toujours en conflit juridique avec le groupe Global Logistics Support (GLS), qui réclame 25 chars pour lui.

En fait, un contrat aurait été établi. Mais GLS n'a jamais récupéré les chars jusqu'à ce que Ruag signe un accord de résiliation en 2019. Incompréhensible pour le CDF: le premier contrat comportait un simple délai de résiliation de six mois.

D'autant plus que le nouvel accord contenait des «conséquences financières importantes et préjudiciables.» Comme pour la location de l'entrepôt, Ruag a conclu un deal moins bon alors que rien ne l'y obligeait. Selon le rapport du CDF, un contrat séparé a également été préparé pour la vente de chars à GLS. Or, «en l'état actuel des connaissances», cet accord n'est pas consigné par écrit. Et cela n'étonne plus guère: il manque encore et toujours l'autorisation de la direction de Ruag.

Ruag minimise, le DDPS s'allarme

Et Ruag? L'entreprise promet de s'améliorer. La direction et le conseil d'administration mettraient tout en œuvre pour remédier aux «éventuelles faiblesses» et aux «lacunes encore existantes» ainsi que pour «poursuivre de manière conséquente le changement culturel» au sein de l'entreprise. Une réponse qui semble minimiser une situation chaotique.

De son côté, la Confédération est plus claire. Les lacunes sont graves, estiment le DDPS et l'administration des finances. Les dispositions contraignantes doivent être mieux respectées: «Les services propriétaires sont irrités par le fait que, selon l'estimation du CDF, Ruag n'a pas fait preuve de la diligence nécessaire dans ses activités commerciales, ce qui a entraîné des coûts supplémentaires.» 

En tant qu'actionnaire unique de Ruag, la Confédération attend de la firme qu'elle remédie immédiatement aux «lacunes manifestes dans l'organisation, les lignes directrices et les activités commerciales». De telles erreurs risquent fort de ne plus être tolérées à l'avenir.

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