Photo: Keystone/DR

Drame de Morges
Un ancien instructeur de la police: «Tirer dans les jambes est un mythe»

Une enquête déterminera si le policier qui a tiré sur Nzoy sur le quai de gare de Morges a fait un usage légitime de son arme. Pour y voir plus clair, Blick a parlé à un expert en formation policière des règles d'engagements enseignées pour ce genre de situations.
Publié: 30.09.2021 à 17:11 heures
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Dernière mise à jour: 01.10.2021 à 10:17 heures
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Jocelyn Daloz

Il a entraîné des militaires suisses et étrangers, a été responsable de formation au sein de la police vaudoise et donne à présent, entre autre, des cours de self-défense. C'est peu dire si Grégory Santus connaît quelque peu les notions de combat rapproché.

Pour Blick, l'ancien policier démontre point par point ce qui est enseigné aux détenteurs de la sécurité publique pour faire face à des situations comme celle de Morges, lors de laquelle un agent de police a fait feu sur un homme qui se précipitait sur lui avec un couteau. La police a été accusée de «bavure», voire de racisme, car l'homme en question était noir, par des groupes militants qui ont défilé à Morges, à Zurich, à Bâle et à Lucerne.

Outre le tir, la police a également été critiquée pour avoir menotté l'homme à terre et ne lui avoir pas prodigué les premiers soins, ceux-ci ayant été pris en charge par un soignant quatre minutes après les coups de feu.

Grégory Santus

Grégory Santus a passé 14 ans dans la police. Il a débuté à police secours, puis s’est spécialisé dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, avant de rejoindre les unités spéciales pour ensuite devenir responsable de domaine formation et gestion de projets au centre de formation de la police municipale de Lausanne.

Il a poursuivi sa carrière comme Adjudant, chef de brigade à la police-région-Morges, puis est passé chef de projet pour la police dans les domaines du tir, de la technique et tactique d’intervention ainsi que des premiers soins au combat.

Grégory Santus a passé 14 ans dans la police. Il a débuté à police secours, puis s’est spécialisé dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, avant de rejoindre les unités spéciales pour ensuite devenir responsable de domaine formation et gestion de projets au centre de formation de la police municipale de Lausanne.

Il a poursuivi sa carrière comme Adjudant, chef de brigade à la police-région-Morges, puis est passé chef de projet pour la police dans les domaines du tir, de la technique et tactique d’intervention ainsi que des premiers soins au combat.

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Quand la police est déployée à cause d'un homme, perturbé, potentiellement agressif, quelle est la marche à suivre?
C'est une situation qui arrive très régulièrement. Cela peut être pour venir en aide à un contrôleur qui doit gérer un passager resquilleur, face à quelqu'un d'intoxiqué ou une personne créant du scandale... les policiers font cela des centaines de fois, et la plupart du temps, cela reste non-violent. Ils ont alors pour rôle d'empêcher la violence et de calmer le jeu. Dans la grande majorité des cas, ça marche.

Des fois, cela ne suffit pas. Comme à Morges. L’homme a un couteau, il se rue sur le policier. Que dit le manuel de formation de l'Académie de police de Savatan?
Lorsque la situation le nécessite, les policiers peuvent faire usage de la force pour contenir quelqu'un, pour se protéger soi-même et les autres. La forme de contrainte dépend alors de la situation: l'arme de l'assaillant, sa distance avec le policier ou encore la détermination de l’adversaire. Dans le cas d'un couteau, on considère que lorsque l'assaillant se trouve à distance de conversation, vous n'avez aucune chance de vous en sortir sans être blessé. Un couteau, ça ne s'enraie pas, contrairement à une arme à feu. Et un seul coup suffit pour vous être fatal.

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On estime donc qu'à distance de conversation, l'emploi d'une arme à feu est légitime?
Le plus souvent, l’analyse est extrêmement rapide. Dans le cas de Morges, la situation est délicate: c'est un quai de gare, donc une sorte de ligne étroite. Le policier ne peut pas se cacher, il y a les voies du train, donc il est bloqué des deux côtés. L'homme est très proche. Le policier décide donc d'engager son arme, ce qui est un choix compliqué: une balle porte loin, il y a du monde sur un quai de gare, il pourrait le rater... Sa réaction a été remarquable de mon point de vue. La procédure pénale suit son cours et c’est cette dernière qui statuera officiellement sur la situation qui a eu lieu à Morges.

Au lieu d'user d'une arme à feu, est-ce qu’un combat au corps-à-corps est envisageable à ce stade?

Les moyens de self-défense les plus standards enseignés à la police et utilisés le plus régulièrement sont les techniques de mise au sol et le front kick (coup de pied, ndlr) par exemple. La mise au sol maîtrise l'individu, un front kick maintient à distance. Mais le corps-à-corps est dangereux, il comporte toujours un risque de se blesser ou de blesser l’adversaire, se casser des doigts ou d'avoir de gros hématomes par exemple. Et dès qu'un couteau entre en jeu, c'est très délicat. Les policiers ne sont pas formés à désarmer un homme armé d'un couteau, du moins ce n'est pas la norme. Certains, qui sont très entrainés aux arts martiaux, à la rigueur mais ce n’est pas la norme encore une fois. Et ils ont peu de possibilités de se former à ce genre de pratique, même si ce serait essentiel.

Nzoy, juste avant de se ruer sur les policiers. L'image a été prise depuis un train à quai.
Photo: DR

Cela dit, pour m'être trouvé moi-même à plusieurs reprises à combattre face à un couteau, je peux dire que je ne m'en suis jamais sorti sans une blessure ou un uniforme lacéré. J’estime que ce n’est pas légitime de demander à quelqu’un des services d’ordre de mettre sa vie en jeu pour éviter de prendre celle de quelqu’un qui le menace.

N'existe-t-il d'autres moyens de contrainte, à mi-chemin entre le corps-à-corps et l'arme à feu?
Les moyens de contrainte de la police sont: la parole (toujours en premier, évidemment), la self-défense avec le spray et le bâton tactique, et l'arme à feu. Avec le spray au poivre et le bâton tactique, c'est le même problème qu'avec le corps à corps: vous êtes très près de l'assaillant et vous prenez un risque, d'autant plus si ce dernier est déterminé et armé d'un couteau.

Un moyen intermédiaire non-létal idéal serait le taser, ou un filin qui s'enroule autour des jambes d'un assaillant (appelés des «bola wrap», ndlr). Pour l'instant, seules les unités spécialisées de la police vaudoise sont équipées du taser. Son utilisation est soumise à beaucoup de conditions restreignant son emploi.

Instaurer un nouveau moyen de contrainte nécessite l'aval du commandant de police. C'est un processus très laborieux, qui passe par l'évaluation de la commission technique des polices, par la division de balistique de l'Université de Berne dans certains cas, avant un retour à la commission puis le commandant tranche. A titre d’exemple, cela a mis cinq ans pour qu'on obtienne des fusils d'assaut plus adaptés après les attentats de Paris. Les commandants sont d'autant plus réticents que ce genre de sujets est hautement politisé, et cela dépendra également des axes donnés par les législatures politiques.

C'est un lundi soir, un homme est abattu par la police à la gare de Morges.
Photo: Darrin Vanselow / Blick
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De manière générale, à partir de quand ouvre-t-on le feu?
L'usage de la force est pondéré selon trois critères: est-ce qu'il est légal, proportionné et opportun — est-ce que c’est le moindre dommage pour régler la situation et la réaction opportune à la situation. Ensuite, je tiens à préciser que quand on sort son arme, ce n’est pas uniquement pour en faire usage et tirer. J’ai plusieurs fois sorti mon arme sans tirer. Le plus souvent, la sommation, la détermination du policier qui montre qu'il est sérieux, suffisent pour calmer les ardeurs de gens violents.

Comment ouvre-t-on le feu? Quel est le «drill», où vise-t-on, est-ce que tirer dans les jambes pour simplement blesser un adversaire est une option?
C'est une grande question. Dans l'instruction générique basée sur des principes et non des dogmes, de ce que j’ai enseigné à la police et aux militaires, on préconise de viser un grand but. Principalement le torse. Pourquoi: parce qu'il faut être le plus rapide et le plus habile. Dans les formations, on s'entraîne à être le plus fluide possible pour tirer sur une petite cible. Mais ce sont des situations sans stress et sans perturbations cognitives et émotionnelles.

Dans une opération, on recommande donc de viser le torse. L'image très répandue du tir dans les jambes est un mythe. C'est très dur à toucher, déjà parce qu’elles bougent lorsque quelqu'un s'approche de vous. De plus, la norme de performance admise en formation est de pouvoir toucher le format d’une feuille A4. Toucher une jambe relève à toucher une cible de la taille d'une feuille A5. Le bras, une feuille A6. Ce n'est tout simplement pas possible d’assurer les touchers à cet endroit. Et si cette personne a une arme à feu, la toucher à la jambe l'empêche peut-être d'avancer, mais pas de presser la détente de son arme.

On tire donc pour tuer?
Pas explicitement. Mais à partir du moment où vous tirez sur une personne, c'est une conséquence possible. Le torse est la cible la plus facile à toucher et qui a le plus de chance de mettre votre assaillant hors d'état de nuire.

Une fois que l’homme est à terre, quelle est la marche à suivre?
Menotter un individu, c'est la procédure. On n’a pas encore eu le temps d'évaluer ce qui s'est passé, il se peut que l'homme soit encore dangereux, alors on le contraint pour s'assurer qu'il soit maîtrisé. J'ajoute que 99% des policiers ne sont jamais amenés à faire usage de leur arme sur quelqu'un, c'est donc une situation exceptionnelle qui a un impact sur eux également.

Est-ce que les policiers sont également formés pour prodiguer les premiers soins?
Absolument. Ils reçoivent une instruction de base, par exemple le BLS-AED (qui comporte massage cardiaque, manoeuvre de Heimlich, position latérale de sécurité, ndlr). De plus en plus, ils sont formés en traumatologie, comment freiner des hémorragies massives, libérer les voies aériennes, les perforations au thorax entre autres. On parle de blessure provoquant un décès évitable. En apportant une aide proportionnée et immédiate, nous pouvons éviter le décès immédiat. Mais dans certains cas et en fonction de la blessure, l’issue est inévitablement fatale quels que soient les soins apportés, même par un médecin chevronné. Notons que le devoir de porter secours à quelqu’un est délimité par ses capacités du moment et à tout le moins appeler une ambulance.

Dans une situation aussi exceptionnelle que celle-ci, est-ce que la formation met en garde face au risque d'un biais en raison de la couleur de peau de l'individu violent?
La couleur de peau ne joue pas de rôle dans un engagement policier comme celui-ci. La situation dicte le comportement du policier et aucunement le genre, la culture ou la couleur de peau.

Vous avez déploré plus haut que les policiers ne sont pas assez formés au corps-à-corps. Est-ce que la formation est un problème plus global au sein de la police?
Pas au niveau de l'instruction de base, je ne pense pas. Les policiers qui sortent de Savatan sont bien rodés. Le problème est que la police n'a pas la même culture de formation continue que les pompiers, par exemple. On part souvent du principe que les gens se feront la main sur le terrain et c'est compliqué de ménager du temps pour les formations. Cela dépend beaucoup des commandants de police et de l'importance qu'ils y accordent.

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