Et c'est un écolo qui le dit
«Nous ne pouvons pas nourrir toute l'humanité de manière végane»

Le scientifique de renom Urs Niggli prépare le Sommet mondial de l'alimentation à New York. Il met en garde contre un effondrement de l'alimentation et montre pourquoi le bio ne peut tout résoudre.
Publié: 15.08.2021 à 18:37 heures
Danny Schlumpf, Jocelyn Daloz (adaptation)
Urs Niggli

Urs Niggli est l'un des principaux scientifiques dans le domaine de l'agriculture biologique. De 1990 à 2020, il a dirigé l'Institut de recherche en agriculture biologique (Fibl) de Frick AG. Il est président de l'Institut Agroecology.science, qu'il a fondé.

Urs Niggli est l'un des principaux scientifiques dans le domaine de l'agriculture biologique. De 1990 à 2020, il a dirigé l'Institut de recherche en agriculture biologique (Fibl) de Frick AG. Il est président de l'Institut Agroecology.science, qu'il a fondé.

plus

En septembre, le sommet mondial de l'alimentation des Nations-Unies se tiendra à New York. Vous faites partie du groupe scientifique international qui prépare le sommet. Quel rôle y jouerez-vous?
Urs Niggli: Je suis l'écolo de l'équipe et je suis un fervent défenseur de l'agro-écologie - une combinaison de l'agriculture biologique et de l'utilisation de technologies modernes telles que la numérisation et les dernières méthodes de sélection.

Quel est l'objectif de l'événement?
Il s'agira d'un sommet reposant sur des bases scientifiques solides. Nous voulons montrer les faits concernant la nutrition mondiale et faire des demandes aux politiciens. Cela inclut, avant tout, l'appel à moins discuter des augmentations de production et à se concentrer plutôt sur le système alimentaire.

En novembre, la conférence mondiale sur le climat suivra à Glasgow, en Écosse. Ces deux événements ont-ils un rapport entre eux?
Tout à fait. Le changement climatique entraîne une baisse massive des rendements agricoles. C'est d'autant plus grave qu'il y aura dix milliards de personnes à nourrir en 2050.

Urs Niggli dans la serre de son institut d'agriculture biologique à Frick, en Argovie.
Photo: René Ruis

Nous devons donc parler de l'augmentation de la production, n'est-ce pas?
Oui, mais pas au détriment de la durabilité.

Cela semble être un exercice d'équilibriste impossible.
Non, pas si nous produisons plus sur la même quantité de terre, et ce de manière plus écologique. C'est possible si nous intégrons les nouvelles technologies dans l'équation. Nous n'avons pas d'autre choix, comme le montre le nouveau rapport sur le climat.

Ce dernier est plutôt apocalyptique.
Il est en effet minuit cinq. Limiter le réchauffement à moins de 1,5 degré Celsius est une nécessité pour la sécurité alimentaire mondiale.

L'agriculture apporte sa part à la catastrophe: 40% du changement climatique est dû à l'agriculture et à l'alimentation.
L'agriculture est trop intensive, mais cela n'est pas seulement dû aux agriculteurs. La croissance démographique et les habitudes alimentaires ont un effet dévastateur sur le climat. La nourriture bon marché entraîne le gaspillage et une forte consommation de viande.

La décision appartient-elle uniquement aux consommateurs?
Bien entendu, l'agriculture doit également contribuer à la réduction des gaz à effet de serre, en réduisant avant tout les engrais et en développant des systèmes favorisant l'humus, avec des cultures mixtes et un travail minimal du sol. Cela permet de fixer le CO2 dans le sol.

Devons-nous nous éloigner de l'agriculture industrielle conventionnelle?
Absolument. Nous devons réduire massivement les pesticides et les engrais et intensifier la vie du sol. Les deux initiatives agricoles suisses ont été un coup de semonce pour l'industrie agricole et les politiciens. Elles ont montré que la population prend la question très au sérieux.

Le changement climatique aura-t-il un impact important sur l'agriculture suisse?
L'augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes affectera notre pays. La végétation va changer, attirant de nouveaux parasites et des maladies. Mais la Suisse a un énorme avantage: elle ne manquera pas d'eau. Sa responsabilité de produire des aliments durables n'en est que plus grande. Nous mangerons davantage de protéines provenant de légumineuses, et l'élevage de poulets et de porcs diminuera.

Nous sommes sur la bonne voie: aucun pays n'achète plus de produits biologiques par habitant que la Suisse!
Certes, la part d'aliments biologiques vendus est de onze pour cent. C'est bien une position haute en comparaison mondiale. Mais compte tenu de la richesse de notre pays, ce chiffre reste étonnamment bas. Cela montre à quel point même les personnes aisées continuent de compter leurs sous lorsqu'il s'agit de nourriture.

17% des terres agricoles suisses sont biologiques. Combien cela devrait-il être?
Si nous réduisons de moitié le gaspillage alimentaire et la consommation de viande, nous devrions parvenir à un taux de 50 à 80% sans devoir importer davantage. Mais le changement climatique exerce une pression sur les rendements, et la population augmente. C'est pourquoi nous devons utiliser les nouvelles technologies, qui sont encore une hantise pour de nombreux agriculteurs biologiques.

En 2050, 75% de la population vivra dans les villes. Qu'est-ce que cela signifie pour l'agriculture et l'alimentation?
Pour les grands centres, cela signifie des changements révolutionnaires. Ils devront repenser l'urbanisme. L'agriculture se déplacera vers les villes, où des systèmes de production totalement nouveaux se développeront. On verra apparaître des tours alimentaires ou de grands halls industriels où seront produits des fruits et légumes.

Que mangerons-nous à l'avenir?
Plus de protéines végétales provenant des pois chiches, par exemple. Et nous mangerons beaucoup plus d'algues. Elles sont répandues en Asie depuis longtemps et constituent une matière première parfaite pour de nouveaux aliments. Elles peuvent être cultivés dans les zones côtières ou sur les façades des maisons. Les insectes fournissent également beaucoup de protéines s'ils sont nourris correctement.

Il y a eu des tentatives de commercialiser les insectes récemment. Mais ils n'ont pas l'air de susciter l'engouement.
C'est culturel. Je suis sûr que nous nous y habituerons tôt ou tard.

Et les steaks?
La viande n'est pas forcément à proscrire. Deux tiers des terres agricoles du monde sont des pâturages permanents. C'est sur ces terres que l'on fait paître le bétail. Il est vrai qu'elle pourrait être retirée de la production. Les arbres y pousseraient, ce qui est bon pour le climat.

Alors pourquoi ne le faisons-nous pas?
Parce que nous ne pouvons pas produire assez de nourriture sans ces énormes surfaces. Nous devrions les convertir en terres arables. Le résultat serait une catastrophe écologique majeure, car cela libérerait d'énormes quantités de CO2 et détruirait complètement la biodiversité.

La viande est donc bonne pour le climat?
De ce point de vue, oui – pour autant que nous utilisions les pâturages pour promouvoir un élevage durable. Mais attention: cela ne signifie pas que nous devons manger plus de viande, bien au contraire. Mais nous ne pouvons pas non plus nourrir toute l'humanité de manière végétalienne. Il n'y a tout simplement pas assez de terres arables pour cela.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la