Exode des capitaux
Pour échapper au RN et à LFI, ils veulent mettre leur argent en Suisse

Ils restent anonymes. Ils ne veulent pas le dire tout haut. Ils savent que le secret bancaire n'existe plus. Mais pour beaucoup de riches Français, la Suisse est encore vue comme un refuge en cas de crise majeure.
Publié: 15.06.2024 à 06:05 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

La nouvelle Assemblée nationale française comptera peut-être à nouveau dans ses rangs un expert des comptes bancaires en Suisse. L’on devrait en effet avoir, dimanche soir, la confirmation de la candidature dans le département du Lot et Garonne, de l’ancien ministre socialiste du Budget Jérôme Cahuzac, limogé du gouvernement en mars 2013 pour avoir dissimulé dans différentes banques, dont l’UBS en Suisse et la banque Reyl à Singapour, environ 600'000 euros non déclarés au fisc français.

Étonnante coïncidence: s’il est élu à l’issue des législatives du 30 juin et 7 juillet, ce médecin spécialisé dans les implants capillaires, habitué à soigner des personnalités dans les pays du Golfe, se retrouvera dans un hémicycle qui risque de faire peur aux grandes fortunes françaises. Surtout si la majorité absolue des sièges (289) est occupée par des députés de la droite nationale-populiste et de la France Insoumise (LFI), la gauche radicale.

Cahuzac, condamné et repenti

Jérôme Cahuzac a été définitivement condamné, en 2018, à deux ans de prison ferme pour «fraude fiscale» et «blanchiment de fraude fiscale». Or ce délit, réprimé sévèrement par la loi, pourrait bien être commis par de nombreux épargnants peu désireux de voir l’extrême-droite et l’extrême gauche mettre le nez dans leur patrimoine, via l’instauration de nouvelles taxes. Le retour d’un impôt sur la fortune financière, abrogé par Emmanuel Macron en 2018 pour encourager les investissements boursiers, est en effet défendu par ces deux camps politiques, mais aussi par la gauche sociale-démocrate et les écologistes, désormais unis à LFI au sein d’un «Front populaire».

Un souvenir agite le landerneau politique et économique français: celui de mai 1981, lorsque l’arrivée de l’union de la gauche au pouvoir, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, précipita de nombreux détenteurs de patrimoines dans les bras des banquiers suisses. L’époque n’avait, il est vrai, rien à voir avec aujourd’hui. La Suisse disposait d’un accueillant secret bancaire. Le passage de «valises» remplies d’espèces à la frontière entre la France et la Confédération était fréquent. Des politiciens de renom, en France, ont même ensuite été accusés d’avoir fait de même, y compris le très sérieux premier ministre Raymond Barre, économiste réputé et respecté. Seulement voilà: la peur régnait. Il fallait faire au plus vite. Planquer son argent dans les coffres des banques suisses était la solution la plus facile.

A chaque crise politique majeure en France, la Suisse apparait comme un refuge pour les riches.
Photo: keystone-sda.ch
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Plus de secret bancaire

Quatre décennies plus tard, le secret bancaire n’existe plus depuis 2009. L’échange automatique d’informations bancaires entre services fiscaux permet de débusquer les non-résidents qui disposeraient encore de comptes bancaires non déclarés. La Suisse n’est même plus désignée comme un «paradis fiscal». Et à partir de 2013, de très nombreux Français ont choisi de rapatrier leurs avoirs frauduleux placés en Suisse, dans le cadre des régularisations fiscales mises en place, justement, après l’affaire Cahuzac révélée par le site Mediapart. Alors, on oublie l’Helvétie? Pas sûr. D’autres moyens demeurent, comme le fait de confier des avoirs à des prêtes-noms, ou la constitution de «trusts», ces fondations très utiles pour dissimuler les bénéficiaires directs de l’argent placé. «Oui j’y pense nous avoue un riche entrepreneur parisien. On sait bien que si le RN ou Mélenchon arrivent au pouvoir, on sera les premiers tondus».

L’exil des avoirs est aujourd’hui possible vers bien d’autres destinations. Certains regardent du côté d’Israël, surtout s’ils sont binationaux. D’autres scrutent la frontière belge. Il y a aussi Dubaï, plus lointain et réputé pour accueillir les capitaux des magnats de la drogue. Et les déclarations des responsables politiques de l’extrême-droite, qui jurent ne pas vouloir faire de «chasse aux sorcières» n’apparaissent guère convaincantes. Emmanuel Macron a pris un malin plaisir à répéter, lors de sa conférence de presse du 12 juin, que le programme économique du RN est chiffré par les experts à 100 milliards d’euros. Où trouver cet argent, sinon en augmentant les impôts?

88 députés sortants

Le Rassemblement national n’est pas encore au pouvoir en France. Il n’a pour le moment que 88 députés sortants. La France insoumise est désormais tenue par son accord avec les sociaux-démocrates et les Verts. La possibilité d’une victoire du camp présidentiel, favorable à l’attractivité économique, demeure sur le papier. Mais dans cette période de défiance politique, les détenteurs de patrimoines substantiels scrutent l’avenir et préparent des plans B. La Suisse, dont les banques sont bien représentées en France, vient naturellement à l’esprit.

Et ce, quelques mois après la décision de la Cour de cassation qui a, le 15 novembre 2023, confirmé la culpabilité du géant bancaire suisse UBS, pour «démarchage bancaire illicite et blanchiment de fraude fiscale aggravée», mais cassé le jugement en appel du 13 décembre 2021 qui avait condamné la banque à 1,8 milliard d’euros d’amende. Les peines financières donneront lieu à un nouveau procès. La route de l’Helvétie est de nouveau dégagée.

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