Immersion chez les sceptiques
Militants UDC ou jeunes, ils ne veulent pas du vaccin

La campagne de vaccination plafonne en Suisse, où seulement 55% de la population a reçu au moins une dose. Qui sont ceux qui refusent la piqûre? Reportage parmi des militants de l'UDC et des jeunes qui incarnent ce scepticisme.
Publié: 01.08.2021 à 12:34 heures
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Dernière mise à jour: 01.08.2021 à 21:04 heures
Tobias Marti et Sven Zaugg, adaptation Adrien Schnarrenberger

D'un côté, il y a Max. Lunettes de soleil sur le nez, le dynamique septuagénaire — et vacciné — adresse un quolibet aux «coronasceptiques» installés à l'autre bout de la table. La riposte d'Angela, 72 ans et non vaccinée, fuse. Tout le monde en rigole.

L'atmosphère est bon enfant dans cette auberge du Toggenburg, la bien-nommée Haus der Freiheit (Maison de la liberté). Cette scène entre les deux seniors ne pourrait mieux illustrer le clivage actuel en Suisse: la moitié de la population est vaccinée, l'autre pas.

Dans de nombreux endroits, le climat est plus tendu qu'à Ebnat-Kappel (SG). C'est le cas à Berne, où le conseiller fédéral Alain Berset a d'ores et déjà annoncé que le gouvernement allait renoncer à de nouvelles ouvertures. «À cause des nombreux non-vaccinés», selon lui.

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Pour les récalcitrants à la piqûre, la vie va devenir plus compliquée ces prochaines semaines, a prédit Lukas Engelberger voilà une semaine dans le SonntagsBlick. Le président de la Conférence des directeurs cantonaux de la Santé verrait d'un bon œil la généralisation du certificat Covid aux restaurants, centres de fitness ou autres lieux de vie fermés.

«Je ne veux pas jouer au policier»

«Je ne veux pas exiger des documents à mes hôtes. Je ne suis pas prêt à jouer au policier», a aussitôt rétorqué Toni Brunner. L'ancien président de l'UDC n'est autre que le gérant de la Haus der Freiheit, qu'il dirige avec sa compagne, la conseillère nationale Esther Friedli. Pas question de créer des catégories dans ses clients. «C'est la responsabilité individuelle de mes hôtes de décider de venir au restaurant.»

Stefan Burkhalter (au centre) et ses amis Michi et Beat (à partir de la gauche) se passent de la vaccination.
Photo: Nathalie Taiana
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L'UDC est le parti des anti-vaccins, ou du moins des sceptiques. Selon un sondage, la moitié de ses partisans ne veulent pas recevoir de protection contre le Covid-19. Le plaidoyer du doyen Christoph Blocher changera-t-il les choses? L'avenir le dira. Il faut d'abord répondre à la question: d'où vient ce scepticisme?


Un début de réponse nous vient de la table d'à côté où Stefan Burkhalter, 47 ans, est en train de défendre cette posture avec une grande verve. «Nous sommes tous contre le vaccin!», harangue-t-il en compagnie de ses potes Michi, Christian et Beat, venus de Wil (SG) pour partager un morceau de viande. Lesquels acquiescent avec fierté.

«Au tour des fumeurs et des obèses?»

Il s'agit selon lui d'un empiètement insupportable dans leur intégrité corporelle, d'une coercition mais aussi la preuve d'un certain paternalisme, assure Christian. L'homme, qui ne veut pas que son image apparaisse sur notre site, explique: «Si on commence avec une obligation, on ne s'arrêtera jamais. Quelle sera la suivante? L'interdiction de la fumée? Puis ce sera le tour des obèses et ainsi de suite...»

Le Saint-Gallois poursuit sa tirade. «Le bon sens, la liberté et la responsabilité individuelle sont en train de disparaître. C'est à cause de ceux d'en haut, la gauche et les Verts! Des destructeurs de joie de vivre, des rabat-joie!», s'emporte-t-il. Si le certificat, cet «instrument de panique», venait à être effectif dans les restaurants, ce serait insupportable à ses yeux. «Nous travaillons, payons des impôts et malgré cela, nous devrions avoir mauvaise conscience», souffle-t-il. Assez de politique pour aujourd'hui, Christian veut manger sa viande pendant qu'elle est encore chaude.

Esther Friedli est en train de servir les desserts aux autres tables. La terrasse est bondée. Il n'y a pas que des votants UDC mais «beaucoup de nos clients disent qu'ils ont perdu la confiance dans le Conseil fédéral et qu'ils ne soutiennent plus les mesures de celui-ci», assure la conseillère nationale.

«Plus vous obligez, plus les gens résistent»

Le couple Friedli/Brunner reflète les divisions du parti: elle est vaccinée, lui non. Tony Brunner dit se réjouir pour tous les vaccinés. Mais il comprend aussi les paysans du Toggenburg qui refusent la piqûre. «Plus vous essayez d'obliger les gens, plus la résistance sera forte.»

Sa compagne explique qu'elle est totalement contre l'idée de discriminer les non-vaccinés, ce qui équivaudrait à créer une «société à deux classes». La distinction ne doit absolument pas affecter la vie sociale ou le travail, selon elle.

Il n'y a pas besoin d'aller dans la campagne saint-galloise pour trouver des ardents défenseurs de la liberté de choix. Et les militants UDC n'en ont pas l'apanage. Les jeunes, de manière générale, sont plus réticents à se faire vacciner. Ils hésitent, tergiversent voire refusent catégoriquement la vaccination.

250 tests par nuit

Prise de température vendredi soir à la fameuse Langstrasse de Zurich, poumon de la vie nocturne de la plus grande ville du pays. Les sirènes de police rivalisent avec les basses qui sortent du Olé Olé Bar, connu pour ses fêtes sauvages et ses concepts originaux, y compris en période de pandémie.

En collaboration avec le médecin du village voisin de Dübendorf, le gérant Claudio Cipolat a mis sur pied un centre de tests temporaire. Pour les non-vaccinés qui veulent quand même «y aller à fond», témoignent certains jeunes. La scène est désormais classique: le week-end, d'interminables files d'attente se forment devant les pharmacies, où l'on peut également obtenir un sésame pour aller en boîte. «Nous dépassons allègrement les 250 tests par nuit», explique Patrick Binder, responsable du centre de tests attenant au Olé Olé.



Sans certificat ou test négatif, pas question de danser en discothèque. Pourquoi s'obliger à devoir attendre des heures alors que la vaccination est gratuite? «C'est simple, rétorque Steve Remy, venu de Bonstetten (ZH). On n'a pas encore suffisamment de recul sur les effets secondaires et les conséquences à long terme. Je ne fais pas confiance à ce vaccin», assure le jeune homme de 20 ans. Une demi-heure plus tard, le fêtard reçoit le feu vert sur son téléphone portable. Gratuitement.

Seulement 37% des 20-29 ans

La moyenne d'âge dans la file d'attente tourne autour de la vingtaine. Comme Steve Remy, ce sont surtout des gens hésitants, qui se disent mal ou pas suffisamment informés par les médias et les autorités. Ils font alors confiance aux figures d'autorités que sont leur parents. Ce sont surtout lorsque ceux-ci ne sont pas vaccinés que les jeunes hésitent ou renoncent.

Cela se traduit dans les chiffres: la part de vaccinés stagne dans les populations les plus jeunes. Chez les 20-29 ans, seulement 37% des Suisses sont totalement protégés — via vaccin — contre le Covid-19. Cette part atteint 48% au sein de la population totale.

Piqûre ou test? Monica Riccio, 43 ans, de Bülach (ZH), a pris la première option. Elle vit la seconde par procuration en accompagnant son amie Janina Philipp (29 ans) dans le centre de tests. «Pour l'instant, je suis plutôt prudente, mais je n'exclus pas de me faire vacciner plus tard», admet celle-ci.

Contaminations en discothèque

La pharmacienne Natalia Blarer Gnehm, qui teste à tour de bras, «attrape» de plus en plus de monde dans ses filets. Dernière en date: une femme qui est revenue de Mykonos en Grèce, où elle a fait la fête et été testée négativement. Positive à Zurich ce soir-là, elle ne pourra pas se déhancher.

À Bâle, 18% du total des infections sont imputées à la vie nocturne. Comment l'expliquer? Le médecin cantonal Thomas Steffen tient les tests rapides, pas suffisamment fiables, et des contrôles insuffisants à l'entrée pour responsables. À Zurich, «seulement» 50 des 2800 cas ont pour origine une discothèque, selon la direction cantonale de la santé.

Il y a deux semaines, Natalia Blarer Gnehm a réussi à tester tous les fêtards en l'espace de quelques minutes. «Mais nous atteignons les limites de nos capacités», s'inquiète la pharmacienne. Pour elle, la solution n'est pas viable. «Les jeunes ne vont pas aller se faire vacciner s'il est aussi facile et gratuit de profiter de toutes les libertés.» La population devrait au moins sentir via le porte-monnaie que les capacités de test ne sont pas infinies. Et la spécialiste estime que la validité des tests devrait être de moins de 48 heures pour les activités de loisir.

La fin des tests gratuits?

Ces signaux du front obtiennent des relais politiques. Martine Ruggli, présidente de la faîtière des pharmacies Pharmasuisse, demande que les tests et certificats pour des fêtes ou des voyages soient financés par leurs bénéficiaires. Les jeunes ont la possibilité de se faire tester gratuitement, avance-t-elle. «Personne ne doit être discriminé, mais les gens doivent voir la conséquence de leur refus de se faire vacciner.» Une position qui rejoint celle du président de la Confédération Guy Parmelin dans son interview à Blick. En Allemagne, les tests rapides aux frais de l'État seront du passé dès l'automne.

Le fêtard Steve Remy aura l'occasion de se faire tester encore quelques fois avant une éventuelle vaccination. «Lorsque ce sera payant, je devrai réexaminer ma position», admet son pote Tim Meier. Dans la file, certains disent espérer que la vaccination ne sera plus nécessaire à un moment donné. Une spéculation plutôt risquée avec le retour de l'automne.



Natalia Blarer Gnehm ne voit pas aussi loin. La pharmacienne est préoccupée par «la tempête des retours de vacances». Elle souhaite que les tests à l'entrée des clubs soient réduits. Pendant ce temps, au Toggenburg, les convives ont fini de manger. C'est les vacances, le panorama est idyllique et la bonne humeur règne. Les postures divergentes sur le vaccin font l'objet de blagues. La situation sanitaire est bonne, même si les premiers nuages s'amoncellent au-dessus des Churfisten, les préalpes appenzelloises qui surplombent les lieux...

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