La blockchain a la cote
En plein essor, la crypto-vallée de Zoug bat des records

Il existe près de 1200 entreprises de blockchain en Suisse: le plus grand jeu NFT du monde est en train d'y être créé, et des jeunes de 16 ans y suivent le premier apprentissage en blockchain proposé dans le pays. Blick s'est rendu au cœur de la crypto-vallée zougoise.
Publié: 31.10.2022 à 13:21 heures
Nicola Imfeld

Elle est la cheffe d'orchestre de la crypto-vallée de Zoug: Tracy Trachsler, 29 ans, porte le titre de Managing Director chez Crypto Valley Labs (CV Labs), un bureau de coworking situé juste à côté de la gare de Zoug. C'est le cœur de la très moderne Crypto-Valley, un écosystème composé de près de 1200 entreprises de blockchain qui, depuis sa création en 2015, s'étend des Alpes de Suisse centrale jusqu'au Liechtenstein.

«Nous sommes le point de jonction de ce système», explique Tracy Trachsler. La Suissesse à la double nationalité américaine a rejoint CV Labs il y a deux ans. Depuis, elle est partout à la manœuvre: organiser des workshops, mettre les gens en contact, ou encore gérer les bureaux de coworking à Zoug, au Cap (Afrique du Sud), à Berlin et à Vaduz. En parallèle, elle met aussi sur pied des événements lors de conférences internationales, comme durant le Forum économique mondial de Davos. «Des journées de 16 ou 18 heures, ça m'arrive d'en faire. Mais cela ne me dérange pas, avoue-t-elle. J'aime l'ambiance start-up.»

En parcourant les bureaux de CV Labs, on cherche pourtant en vain l'atmosphère vibrante d'une jeune entreprise dynamique. Pas de tables de ping-pong ou de billard, mais des couloirs vides et de nombreux bureaux de coworking abandonnés. Au grand bar du dernier étage, la bière n'est que décorative. Où sont les 150 entreprises et leurs collaborateurs qui sont censés louer les lieux? «Les gens sont beaucoup en déplacement», explique Tracy Trachsler en passant devant les locaux déserts de Cardano - l'un des plus grands projets de crypto au monde. «C'est dû aux structures décentralisées de notre branche, on peut travailler de partout», précise-t-elle.

Tracy Trachsler travaille dans le secteur de la crypto depuis quatre ans. Elle est convaincue que «la blockchain va changer nos vies».
Photo: Loris Di Minico, CV Labs
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Un secteur qui a explosé depuis 2015

Robin Röösli est l'un des rares à être présent. Avec son entreprise TIE International, cet Argovien propose le premier apprentissage en blockchain en Suisse. «Les entreprises de la crypto-vallée nous envoient environ 40 apprentis par an. Et nous formons nous-mêmes dix apprentis de plus», raconte-t-il autour d'une tasse de café. Les jeunes suivent chez lui un apprentissage de quatre ans en informatique et en médiamatique, élargi à la connaissance de la technologie de la blockchain. Des talents dont la crypto-vallée a un besoin urgent.

Le secteur a littéralement explosé depuis 2015. Dans toute la Suisse, on comptait l'an dernier près de 1200 start-up actives dans la technologie blockchain - dont plus de la moitié à Zoug. Le secteur a déjà créé 6000 emplois en Suisse. Et selon le dernier rapport Crypto Valley Venture Capital Top 50, les 50 plus grandes entreprises de crypto du pays sont évaluées à plus de 600 milliards de dollars - quatre fois plus que l'année précédente.

Il est pourtant difficile de recruter les talents

Des chiffres impressionnants qui font de Zoug l'épicentre mondial de la crypto. Pour que la crypto-vallée puisse continuer à se développer, elle a toutefois besoin de personnel formé en Suisse. Le problème: les talents sont rares - ceux des écoles polytechniques fédérales et d'autres grandes universités atterrissent souvent chez Google ou chez Meta, la maison mère de Facebook, à Zurich. Les entreprises de la blockchain doivent recourir à des chasseurs de têtes. Cela coûte cher. Selon Robin Röösli, pour pourvoir un seul poste, il faut investir entre 50'000 et 100'000 francs. «C'est pourquoi cette formation d'apprentis est très importante et représente une chance énorme, dit-il. Nous créons de la main-d'œuvre qualifiée. Et celui qui fait un apprentissage chez nous a de très bonnes cartes en main sur le marché du travail.»

Michel Studer, 16 ans et venant de Zurich, est en deuxième année d'apprentissage. «Au début, je ne savais pas du tout ce qu'était la blockchain. Mais le bitcoin m'a intéressé - alors j'ai posé ma candidature», explique-t-il. Après seulement un an, il comprend désormais mieux la blockchain que 99% de la population suisse. «Cet apprentissage est une chance énorme qui m'ouvrira de nombreuses portes», s'exclame-t-il avec conviction. C'est d'ailleurs ce qu'il a expliqué à ses parents. «Ils ne comprennent pas vraiment ce que je fais au quotidien, avoue Michel Studer en riant. Mais ils me soutiennent.»

Le plus grand jeu NFT du monde est à Zoug

Pendant ce temps, Tracy Trachsler a renoncé à son déjeuner. A la place de la pause, elle a participé à un workshop. Elle retrouve ensuite Blick près du bar, où trône une grande licorne blanche. «Notre source d'inspiration», explique Tracy Trachsler en riant. Dans le milieu des start-up, la licorne est le symbole des entreprises dont la valeur marchande dépasse le milliard de dollars. Il y en a désormais quatorze à Zoug, contre huit l'année dernière.

«Nous ne faisons pas encore partie des licornes, mais nous espérons que le rappel quotidien au quatrième étage nous y conduira», déclare Sarojini McKenna. Elle est cofondatrice d'«Alien Worlds», le plus grand jeu NFT du monde. Il s'agit d'un jeu en ligne dans le Métavers, dans lequel on voyage sur différentes planètes, on combat des adversaires et on peut gagner des objets virtuels.

«Les jeux NFT offrent aux joueurs - en plus de prendre du plaisir - la possibilité de disposer librement de leurs biens et même de gagner de l'argent avec ceux-ci», explique Sarojini McKenna. Les joueurs peuvent échanger leurs biens virtuels avec des crypto-monnaies - et se faire ensuite payer. Selon Sarojini McKenna, 6 millions de personnes ont déjà joué à «Alien Worlds». 200'000 utilisateurs y participent chaque jour. «Ce n'est pas un battage publicitaire, mais une tendance», estime la Canadienne. Elle en est convaincue: «Nous allons continuer de nous développer.»

«La blockchain va changer nos vies»

A Zoug, les entreprises aspirent à atteindre le statut de «licorne» - et font parfois des paris risqués. Personne ne le nie dans la crypto-vallée. Tracy Trachsler non plus: «Pour éviter de se projeter sur des plans d'avenir peu réalistes, nous n'investissons que dans des entreprises de blockchain qui ont un cas d'application réel.» Elle fait référence à l'incubateur de blockchains avec lequel son entreprise investit dans de jeunes start-up, le deuxième pilier de CV Labs, outre les bureaux de coworking.

Malgré la bonne humeur que l'on aime répandre dans la crypto-vallée, la technologie blockchain n'est pas encore entrée dans les mœurs et peine à se faire comprendre au grand public. Jusqu'à présent, elle n'est utilisée - hormis pour les cryptomonnaies et les jeux NFT - que pour l'organisation de chaînes d'approvisionnement. Tracy Trachsler reste pourtant convaincue: «La blockchain va changer nos vies.»

Lorsqu'elle est arrivée sur la scène crypto il y a quatre ans, c'était une société fermée, se souvient-elle: «Cela s'est amélioré, mais nous devons aller chercher du monde.» Selon elle, tout le monde devrait comprendre comment gérer un portefeuille numérique, par exemple: «C'est peut-être notre tâche la plus grande et la plus importante ici à Zoug.»

(Adaptation par Lliana Doudot)


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