La chronique de Mauro Poggia
Manifester est un droit, si on en accepte les devoirs

Notre chroniqueur Mauro Poggia revient sur le droit de manifester qui, pour certains, fait débat. Qui plus est quand l'exploitation de ce droit conduit à des débordements, comme ceux constatés lors d'un rassemblement contre la transphobie ce samedi à Genève.
Publié: 15.04.2024 à 11:57 heures
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Dernière mise à jour: 25.06.2024 à 11:31 heures
Mauro Poggia, conseiller aux Etats MCG (GE)

Samedi 13 avril s’est déroulée la désormais hebdomadaire manifestation destinée à rappeler aux Genevoises et aux Genevois que le Pont du Mont-Blanc est devenu le passage incontournable de l’expression démocratique. Il est vrai que plus les habitants du bout-du-lac et leurs visiteurs sont entravés dans leur déplacement, plus ils sont sensibles à la portée du thème scandé par les manifestants. J’arrête ici l’ironie, car le sujet abordé est sérieux.

Cette dernière manifestation n’a dès lors pas échappé à la règle. Le thème, digne du plus grand respect, était cette fois-ci la lutte contre la transphobie. Jusque-là, rien à redire, et la liberté de manifester devait incontestablement l’emporter sur les désagréments que cette marche à travers le centre-ville pouvait impliquer pour la population.

Là où la ligne rouge a cependant été franchie, c’est au moment où les marcheurs, à travers les rues basses de Genève, se sont mis à crier à tue-tête «U,D,C, union des connards». En d’autres termes, un droit démocratique, qu’est la liberté d’expression, a été utilisé, pour ne pas dire dévoyé, pour insulter un parti politique, dont on a le droit de penser ce que l’on veut, mais qui est tout de même, que cela plaise ou non, le plus important de Suisse. Indirectement, l’insulte s’adressait donc aux électeurs de ce parti.

Samedi 13 avril a eu lieu une manifestation à Genève contre la transphobie.

Un parti politique qui adhère aux règles du jeu démocratique de la liberté d’opinion, et qui n’est de loin pas un monolithe doctrinal.

«La démocratie n’a pas été intégrée par tous de la même façon»

Entendons-nous bien, mes propos seraient les mêmes à l’égard de manifestants qui scanderaient «P,S, parti des sa…ds».

À l’heure où d’aucuns voudraient que le droit de manifester ne soit plus encadré par aucune règle, si ce n’est celle d’informer l’autorité que l’on compte occuper l’espace public, cette expérience nous enseigne que la démocratie n’a pas été intégrée par tous de la même façon. Ce que la Suisse a construit patiemment au fil des siècles, ce respect consubstantiel à l’exercice démocratique, certains ne l’ont décidément pas compris. Le droit de manifester implique des devoirs, et parmi ceux-ci, celui de respecter notre ordre juridique. Le fait d’user de l’injure, à supposer qu’il ait jamais permis de convaincre quiconque, doit être dès lors sanctionné.

Je ne parle pas de sanction à l’égard de ces sots hurlants, dont j’espère qu’ils ont tiré quelques jouissances de leur comportement inadmissible, mais des organisateurs, qui, au mieux, ont été incapables d’éviter ce débordement, et, au pire, l’ont incité. Ainsi, les autorités seraient bien inspirées de retenir ce qui s’est passé, et de leur refuser à l’avenir le droit d’occuper l’espace public par voie processionnaire. Lorsqu’ils auront démontré, à l’occasion d’une manifestation statique, leur capacité à respecter les règles de notre état de droit, alors, et alors seulement, l’entrée en matière pour une nouvelle marche pourra être examinée. Fermer les yeux sur un tel comportement, au vu du faible niveau d’éducation démocratique ce certains, ne serait certainement pas compris comme de l’indulgence, mais bien comme un encouragement.

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