La conseillère nationale Léonore Porchet
«À Lausanne, il est plus facile d'acheter du cannabis que du pain le dimanche»

En parallèle des travaux de la sous-commission dont elle fait partie, la conseillère nationale verte Léonore Porchet défend une régularisation du cannabis en Suisse. Pour Blick, la Vaudoise détaille sa vision en la matière. Interview.
Publié: 08.08.2023 à 15:39 heures
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Dernière mise à jour: 08.08.2023 à 15:47 heures
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

À l’aube des élections fédérales de cet automne, la conseillère nationale verte vaudoise Léonore Porchet sonne le ralliement. Alors que les travaux en cours à Berne en vue d’une potentielle régularisation du cannabis en Suisse pourraient aboutir d’ici à décembre 2024, certains seraient prêts à tout pour faire traîner les discussions sous la Coupole. Objectif: maintenir le statu quo le plus longtemps possible.

De quoi crisper la sortante, pour qui la substance illégale la plus consommée de Suisse est l’un des grands enjeux de la prochaine législature. Tandis que les débats de la sous-commission chargée du dossier dont elle fait partie se déroulent bien, l’écologiste explique à Blick pourquoi la législation actuelle serait obsolète et la vision des Vert-e-s, axée sur «la santé publique».

L'élue se mouille aussi sur les risques et les dangers d’une éventuelle trop grande libéralisation du cannabis et évoque «les milliards de francs» pour l’Etat que représenterait le changement de paradigme qu’elle défend. Interview.

Photo: Keystone

Léonore Porchet, vous consommez du cannabis?
Non.

Ce n’est donc pas pour votre propre intérêt que vous estimez que la régularisation de cette drogue sera l’un des grands enjeux de la prochaine législature. Pourquoi, alors?
Actuellement, des centaines de milliers de personnes, en Suisse, ont consommé au moins une fois du cannabis. Au total, la Confédération estime que c’est le cas de plus d’un tiers de la population. Il s’agit de la substance illégale la plus consommée dans le pays. Y compris par des mineurs. À Lausanne, le dimanche, il est plus facile d’en acheter que du pain. Et ce, alors que nous sommes dans un système d’interdiction stricte.

Cette réalité montre, selon vous, l’échec de la législation actuelle en la matière?
Absolument. La politique réagit encore par moralisme plutôt que par raison au sujet de la consommation de cannabis. On ferme les yeux sur la grosse consommation de cannabis à l’échelle du pays et sur l’autre réalité que cette consommation implique: la vente. Cela a pour conséquences que nous ne pouvons contrôler ni qui consomme ni ce que font et proposent les vendeurs sur le marché noir. Un marché noir qui, d’ailleurs, alimente des organisations mafieuses en Suisse, mais aussi à l’internationale. Sans parler du fait que l’Etat passe à côté de sommes colossales. On parle ici de plusieurs milliards de francs par an.

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«Réguler le marché permettrait d’assécher le marché noir et de contrôler la qualité de ces produits.»
Léonore Porchet, conseillère nationale verte vaudoise
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Que faudrait-il faire, alors?
Réguler le marché permettrait d’assécher le marché noir et de contrôler la qualité de ces produits, qui se consomment de beaucoup de manières différentes. Nos lois sur la question sont obsolètes: en Suisse, on considère que la drogue, c’est la plante. Pas le THC (ndlr: le principal composé psychoactif du cannabis). Alors que si quelqu’un vend de l’huile de cannabis, cette personne ne deal évidemment pas de la drogue. Parallèlement, un dealer peut vendre du cannabis coupé avec des substances nocives pour la santé. Bref. Tout, ou presque, est à revoir.

Pourquoi en parler maintenant?
En avril 2021, l’initiative parlementaire du conseiller national Heinz Siegenthaler (Le Centre/BE), qui exige que la réglementation soit modifiée conformément aux recommandations de la Commission fédérale pour les questions liées à l’addiction, et qu’elle tienne compte de la politique dite des «quatre piliers», avait été acceptée par les commissions compétentes. Je fais aujourd’hui partie de la sous-commission qui a pour mission de mettre en œuvre ce texte. Et nous nous apprêtons à sauter dans le grand bain.

Où en sont vos travaux?
Les travaux de la sous-commission avancent. Nous avons donné des directions politiques à l’Administration qui doit nous revenir avec une proposition de loi que nous discuterons ensuite. Avec de la bonne volonté, la question sera tranchée en décembre 2024. Mais si certains font tout pour ralentir le processus, il y en aura malheureusement encore pour des années.

Qu’est-ce qui vous semble le plus probable?
Ce que je peux d’ores et déjà dire, c’est qu’il y a généralement un consensus pour aller vers un marché du cannabis contrôlé par l’Etat, même si plusieurs restent viscéralement opposés à cette idée. Maintenant, c’est surtout la manière de faire qui suscite des débats. Il y a plus de trente ans, les Vert-e-s ont déposé la première intervention parlementaire pour une légalisation complète du cannabis. Nous avons la chance de pouvoir mettre en œuvre cette exigence de santé, de sécurité et de liberté dans la prochaine législature. Il faut le faire bien!

Et vous, quelle vision défendez-vous?
Les Vert-e-s veulent en priorité renforcer la protection de la jeunesse et de la santé ainsi que la prévention de la dépendance. Nous aimerions introduire une taxe qui financerait, comme pour l’alcool et la cigarette, la prévention des addictions, les offres de conseil et de thérapie ainsi que la recherche. Nous voulons aussi que la production, la vente et la consommation puissent se faire avec le plus d’indépendance possible face à l’industrie.

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«Nous ne voulons pas de commercialisation à large échelle, comme dans certains Etats américains.»
Léonore Porchet, conseillère nationale verte vaudoise
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Mais concrètement, à quoi ressemblerait le cannabis vendu et comment pourrait-on l’acheter?
Nous ne voulons pas de commercialisation à large échelle, comme dans certains Etats américains. Cette manière de faire ne profite qu’aux grandes entreprises et s’accompagne de tout un tas de pratiques problématiques: marketing agressif, vente de produits douteux, augmentation marquée de la consommation, forte influence de l’industrie du tabac… Ce n’est pas du tout notre objectif.

Vous parlez beaucoup d’autoproduction et du modèle espagnol, avec ses «Cannabis social clubs», qui fonctionnent un peu comme des associations de producteurs-consommateurs.
Oui, c’est le modèle qui nous semble le plus adéquat. Concernant le cadre légal, nous plaidons pour de la vente uniquement à des personnes majeures, l’interdiction de la publicité et du sponsoring, des critères de production et de qualité des produits stricts — agriculture biologique suisse notamment et pour des emballages neutres. Les points de vente seraient gérés par l’Etat et, surtout, la production et la vente ne pourraient pas être effectuées par la même entreprise.

Avec toutes ces contraintes, produire du cannabis à un prix qui permettra de concurrencer le marché noir ressemble à un vœu pieux, non?
La question du prix, c’est notamment ce que doivent déterminer les essais pilotes actuellement menés à Bâle, Zurich et Lausanne. Ce qu’on constate en regardant les Etats qui ont déjà sauté le pas, c’est que plus le marché est libéralisé, plus le marché noir est asséché. Mais un marché légal non réglementé, qui permettrait à un «big cannabis» de voir le jour et de se faire beaucoup d’argent en pratiquant un marketing agressif à l’instar des pharmas et de l’industrie du tabac, n’est pas souhaitable en termes de santé publique.

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«Dans mon monde idéal, nous aurions toutes et tous accès à toutes les formes de plaisirs auxquels nous voudrions avoir accès.»
Léonore Porchet, conseillère nationale verte vaudoise
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Donc si on libéralise complètement et qu’on multiplie les possibilités d’accès au cannabis, on tue le marché noir, mais on fait exploser la consommation. C’est ce que vous dites?
Oui. Une telle approche est surtout nuisible du point de vue de la santé publique. C’est pourquoi nous voulons trouver un bon équilibre entre un marché légal où l’État s’implique peu, le modèle défendu par le Parti-libéral radical (PLR), et un marché noir non réglementé, la conséquence d’une interdiction du cannabis défendue majoritairement par l’Union démocratique du centre (UDC) et une partie du Centre.

Dans le monde idéal de Léonore Porchet, est-ce que les gens consomment du cannabis?
(Elle réfléchit) Dans mon monde idéal, nous aurions toutes et tous accès à toutes les formes de plaisirs auxquels nous voudrions avoir accès, avec le cadre légal, les ressources mentales et la stabilité sociale nécessaire pour que cela n’ait pas de conséquences à long terme pour notre santé et sécurité.

Peut-on vraiment parler de plaisir lorsqu’on parle de cannabis, produit dont l’usage peut être problématique?
Bien sûr, c’est la dépendance et de mauvaises conditions de consommation qui sont problématiques, comme avec l’alcool. La majorité des personnes qui consomment le font modérément sans que cela ne pose de problème. Je crois en cette liberté.

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