Le 14 juin sous le signe de l'AVS
À la rencontre des militantes de la Grève féministe

Cette année, la grève féministe sera placée sous le signe de l'AVS 21. Mais pas que. Avant la manif', Blick est allé à la rencontre de trois groupes de militantes. Chacun s'empare d'un domaine où les femmes ne sont pas encore des Hommes comme les autres. Témoignages.
Publié: 13.06.2022 à 10:45 heures
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Dernière mise à jour: 14.06.2022 à 10:13 heures

Les mauvaises langues diront que la grève du 14 juin, c’est une sorte de grosse fête au village lors de laquelle une myriade de nanas s’insurgent sur des détails. Parce que bon, c'est bien connu, en Suisse, hommes et femmes sont logés à la même enseigne. Ah oui? Vraiment?! Histoire de clouer le bec à nos copains (et parfois même copines) un tantinet machos, nous avons décidé de nous partir à la rencontre du collectif vaudois de la Grève des femmes. Les grèves, elles les préparent quasi une année à l’avance.

Sans oublier toutes les revendications qu’elles mettent en place pour changer les choses de façon concrète. Pour se faire, divers groupes de travail (GT) ont été mis en place, comme le GT «retraite», le GT «maternité féministe» ou encore le GT «violences», pour ne citer que quelques exemples. Nous avons approché chacun de ces groupes afin de comprendre leur but. Rencontre avec dix femmes qui luttent au nom de l’égalité.

«Pourquoi les hommes sont-ils toujours la référence?»

Après avoir lutté pour le suffrage féminin, Geneviève, Jacline, Magdalena, Mariela et Michela se battent désormais pour empêcher que l'initative AVS 21 ne passe.
Photo: Daniella Gorbunova

«65 ans, c’est non!» Geneviève a 72 ans. Elle a travaillé toute sa vie dans les soins, puis dans l’enseignement, avant de s’offrir une retraite anticipée. Sa pension maigre, mais elle n’aurait pas tenu un an de plus. «Juste après la grève féministe du 14 juin 2019, ils ont présenté le projet AVS 21… comme si de rien n’était!», s’indigne la militante.

Le thème principal de la grève de cette année: la hausse de l'âge de la retraite.
Photo: Daniella Gorbunova
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Geneviève, Jacline, Magdalena, Mariela et Michela nous attendent devant le Secrétariat du Syndicat des Services Publics. Dans cette bucolique maison rouge, toute de plantes vêtue, elles luttent dur comme fer contre «l’harmonisation de l’âge (de la retraite, ndlr.) de référence entre hommes et femmes à 65 ans», prévue par la réforme AVS 21, sur laquelle le peuple doit se prononcer en septembre.

Ces femmes se battaient pour l’égalité avant même que la Suisse n’octroie le droit de vote aux femmes le 7 février 1971. Elles se sont ensuite battues pour notre droit à la contraception, tout comme pour notre droit d’avoir un compte en banque – pour ne citer que les exemples les plus synoptiques. Et elles ne sont pas lasses. Le 14 juin 2022, elles fouleront à nouveau les pavés.

«Pourquoi une 'harmonisation' signifie-t-elle prendre l’âge des hommes comme référence?, s’interroge Michaela. Le modèle est toujours masculin. Nous, avec le travail non-rémunéré en prime, nous travaillons déjà bien assez! Et dans des environnements de loin pas encore exempts de discriminations et d’inégalités.»

Et à Mariela d’ajouter: «D’autant plus que la loi sur l’égalité salariale, qui pourtant est fédérale, est quasi inappliquée. Car il n’y a en fait aucune sanction. Si vous grillez un feu rouge et que vous vous faites attraper, vous devez payer. Ce n’est pas le cas des patrons qui n’appliquent pas strictement l’égalité salariale.»

«Cette inégalité salariale qui persiste fait que les rentes des femmes sont en moyenne 37% inférieures à celle des hommes, ajoute Michaela. Et après, on vient nous parler d’égalité d’âge de la retraite. Alors qu’il s’agit juste d’une péjoration supplémentaire.»

«La maternité est l'angle mort du féminisme»

Antonia qui fait partie du groupe «Commission fédérale ta mère» (CFTM) a à coeur de visibiliser la maternité dans les mouvements féministes ainsi que dans la société toute entière.
Photo: Daniella Gorbunova

C’est dans le parc de Mon Repos à Lausanne qu’Antonia nous donne rendez-vous. D’entrée de jeu, elle nous explique qu’elle a tenté de venir avec d’autres mamans, mais qu’aucune n’a réussi à se libérer faute de temps: «Je suis un peu gênée d’être là, seule car je ne souhaite pas prendre la parole pour les autres. Je pense que la lutte féministe doit se faire de manière collective pour être efficace. Malheureusement, toutes les mères militantes que j’ai appelées étaient bien trop prises entre leurs enfants et leur travail». Force est donc de constater qu’allier féminisme et job de maman est parfois difficile.

«Vous savez, la maternité, c’est un peu l'angle mort du féminisme», explique la sociologue de formation avant de préciser: «Le sujet est invisible, même au sein du mouvement féministe. Il y a toujours mille feux à éteindre, plein de thèmes importants à aborder. La maternité ne bénéficie donc malheureusement pas de l'espace nécessaire pour être discuté».

Pourtant, c’est bien en devenant mère qu’Antonia s’est rendue compte de certaines problématiques encore trop présentes dans notre société. «C’est toi que la maîtresse d’école appelle en cas de problème, c’est toi qui doit prendre rendez-vous chez le pédiatre, c’est toi qui porte la charge mentale de tout ce qu’il faut faire à la maison, c’est toi qui réduit ton temps de travail… bref, tout fonctionne encore de manière très binaire et très peu moderne finalement».

Même si Antonia a toujours été féministe, c’est cette prise de conscience qui l’a poussée à s’engager auprès du collectif vaudois de la Grève féministe en 2019. Avec une poignée d'autres femmes, elle a ensuite créé le groupe de travail «Commission fédérale ta mère» (CFTM) qui a pour mission de rendre visible ce que les mères font au quotidien et qui n'est ni reconnu, ni valorisé.

Mais alors, comment faciliter le travail des mères et atteindre l’égalité au sein de la famille? Pour la jeune quarantenaire c’est sûr: «Il faut tout repenser dans la société. Faciliter l’accès aux crèches, cesser de discriminer les mères à l’embauche, réduire le temps de travail pour toutes et tous et j’en passe. La famille doit être une affaire publique et pas privée. Sinon, on tombera toujours dans les mêmes travers».

«Nous exigeons un plan national contre les violences sexistes»

Vanessa, Tamara, Maria et Eva (de gauche à droite), font partie du GT «violences».
Photo: Daniella Gorbunova

«Qu’on se le dise, les violences sexistes est un des thèmes qui parle le plus largement aux femmes. Toutefois, pas toutes les féministes traitent du sujet de la même manière», lance Tamara, 27 ans, qui nous accueille chez elle à Lausanne. La jeune syndicaliste fait partie du groupe de travail intitulé «violences», qui rassemble une trentaine de femmes. À ses côtés, Maria, 40 ans, Vanessa, 34 ans et Eva, 25 ans. Toutes étaient déjà très actives dans diverses associations avant de rejoindre le collectif de la Grève féministe Vaud.

«Les violences sexistes et sexuelles, généralement subies par des proches, sont la conséquence dramatique de la société patriarcale. C’est l’un des mécanismes cruciaux par lesquels les femmes et les minorités de genre sont maintenues dans une position de subordination. Ces problématiques sont structurelles et nous concernent toutes», explique Vanessa, active depuis plus de dix ans dans divers mouvements féministes. «C’est pour cette raison que nous avons écrit au Conseil d’État vaudois pour exiger des moyens financiers et un plan cantonal de lutte contre les violences» ajoute-t-elle.

Notre pays est-il autant à la traîne en termes de violences faites aux femmes? «Bien sûr! Contrairement aux autres pays, la Suisse n’enquête même pas sur les violences sexistes. C’est la police qui se charge de tenir un registre. «Sauf que peu de victimes recourent à la police pour déposer plainte, cette institution produisant elle même des violences sexistes, ne prenant pas au sérieux les victimes», s’exclame Eva avant d’ajouter que chez nous, il n'y a strictement aucune ligne téléphonique pour venir en aide aux victimes de violences conjugales, par exemple. Quant à l’organisation du budget cantonal mis en place pour lutter contre les violences, il reste flou… L’étudiante connaît parfaitement son sujet et n’en démordra pas: «Tout ça est encore trop banalisé».

Au moment de prendre la photo, Maria esquisse un sourire et demande: «Peut-on faire une photo où on se prend toutes dans les bras? Cela nous donne de la force. Vous savez, parler de violences c’est difficile, mais ensemble on se sent plus fortes».

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