Le médecin cantonal répond à la polémique
Bébé placé: «impossible» de lier retard de développement et séparation maternelle

La petite Bénédicte, placée dans un foyer lausannois après une semaine de vie, a désormais dix mois. Selon sa famille, la séparation avec sa mère impacte très négativement sa santé. Le médecin cantonal vaudois, Karim Boubaker, éclaire sur l'état de santé du bébé.
Publié: 27.03.2024 à 06:03 heures
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Dernière mise à jour: 27.03.2024 à 10:29 heures
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

La petite Bénédicte, de son prénom d'emprunt choisi par les médias, est âgée d'à peine 10 mois aujourd'hui. Mais son destin émeut tout le canton de Vaud depuis son placement, à sept jours de vie, au foyer lausannois de l'Abri.

Sa famille crie à l'injustice depuis le 6 juin 2023, jour de la séparation d'avec sa maman, ordonnée par la Justice de Paix, confirmée par les tribunaux. Depuis lors, un ping-pong s'opère dans les médias, cherchant à déterminer si oui ou non, la petite est en bonne santé. Depuis qu'elle a été séparée de sa mère, la famille évoque une dépression liée à l'éloignement, et divers problèmes de santé. «24 heures» publie, le 26 mars, un article évoquant les problèmes de développement du bébé. «La petite Bénédicte ne va pas bien», titre même le quotidien.

De son côté, le Tribunal fédéral (TF) a rendu un arrêt fin février 2024. Il fait état d'une mère dont le psychiatre de liaison avait relevé «un ralentissement psychomoteur, une pauvreté du discours et de réflexion».

Le médecin cantonal vaudois, Karim Boubaker, souhaite que «les choses se calment» et que Bénédicte puisse retrouver sa mère.
Bénédicte a été placée en foyer quelques jours après sa naissance au CHUV.

En rejetant le recours de la famille, les juges de Mon-Repos ont donné raison à la justice cantonale, laquelle soulignait «la nécessité d'une surveillance et d'une aide quotidienne et ininterrompue» si le bébé devait vivre avec sa maman. Soit, qu'une personne devrait être présente 24h/24 avec la mère, si elle devait avoir la garde de son enfant.

Le médecin cantonal vaudois, Karim Boubaker, a rencontré Blick dans ses bureaux afin de faire le point sur la situation, et rassurer sur l'état de santé de l'enfant. Interview.

Karim Boubaker, où est la vérité? Comment va ce bébé?
L'enfant est en bonne santé. Il n'a aucune maladie grave, il n'est pas souffrant. Tous les gens qui la côtoient au quotidien parlent d'une petite fille en santé.

Un rapport du CHUV montre pourtant qu'il subit des retards de développement. Ça n'est pas synonyme d'aller mal?
Cela ne veut pas dire que sa vie est en danger, ou qu'elle va mal. C'est pour ce type de cas que nous avons, au CHUV, un service qui s'occupe du neurodéveloppement des enfants. Cela peut arriver à n'importe quel enfant, et n'importe quel parent peut s'inquiéter du développement de son enfant. D'ailleurs, les deux coprésidentes du groupement des pédiatres vaudois m'ont alerté par deux fois déjà cette année pour signaler une augmentation des cas chez les enfants, à l'échelle du canton.


Mais dans le cas précis de Bénédicte, on peut se demander si elle est suivie de manière adéquate?
Ce sont généralement les parents qui observent ces retards et se rendent chez le pédiatre. Ici, les parents ne sont pas à bord. C'est questionnant pour la société, bien sûr. Mais nombre d'enfants n'ont pas autant de spécialistes qui les observent, et de rapports rédigés sur eux. Ce qui semble être le cas pour ce bébé, c'est que la situation n'est pas urgente, donc on attend, on observe, on stimule.

Et ensuite?
Éventuellement, d'autres examens seront effectués, notamment pour chercher des causes médicales (génétiques ou autres). Les pédiatres, je tiens à le dire, sont de bons professionnels. Ils sont habitués à examiner les enfants, à la recherche d'un retard.

Ce potentiel retard pourrait-il venir de la séparation du bébé d'avec sa mère, comme l'estiment de nombreux médecins signataires d'une tribune publiée par Blick?
Le médecin cantonal que je suis dit qu'il n'est pas possible de faire ce lien. Il y a d’innombrables facteurs qui peuvent expliquer un retard de développement.

De quels facteurs parlez-vous?
Par exemple, le fait que l’enfant est né avant terme, ou qu’il a pu avoir un problème de développement in utero, ou avoir un problème génétique, et personne aujourd’hui ne peut dire à quoi c’est dû. Encore une fois, de nombreux enfants qui sont élevés par leurs parents ont ce même type de retard. Avec ce qu'on observe aujourd’hui, il faut attendre pour voir comment cela évolue. C'est compliqué parce que tout le monde essaie de le faire, ce lien-là. Plutôt que de revenir sur ce qu'il s'est passé, il faut se concentrer sur les besoins de l'enfant.

Quels sont-ils?
D'être protégé, toujours. Et de trouver une manière de retourner dans les bras de sa mère, parce que ça, j'y crois. J'ai pu échanger avec le Docteur Rochat et la Doctoresse Masson (ndlr: Éric Rochat, médecin de famille retraité, ancien conseiller d'État vaudois, et Odette Masson Ruffy, pédopsychiatre FMH, ont tous deux signé la tribune). Je connais très bien cette dernière. Entre docteurs, le point qui nous réunit, c'est de tout entreprendre pour qu'un jour ce petit enfant rejoigne sa maman, dans le respect des conditions de la Justice de Paix et de la Direction générale de l'enfance et de la jeunesse (DGEJ). L'arrêt du TF dit la même chose.

Le placement était-il justifié s'il est si important que bébé et maman se retrouvent?
C'est le Tribunal fédéral qui le dit. Il confirme que le placement était justifié, comme l’a fait avant lui le Tribunal cantonal. Les gens peuvent utiliser cet arrêt à leur manière. Moi, je suis une autorité neutre. Cette décision a été prise par des professionnels qui protègent tous les jours nos enfants. J'ai toute confiance en ces équipes, même si parfois, ce qu'elles nous disent est dur à entendre.

L'équipe du CHUV qui a fait le premier signalement (ndlr: CAN Team, pour Child Abuse and Neglect Team) parle d'un «manque d'initiative» de la maman, de son portage «peu sécure». Des motifs qui justifient d'enlever un bébé à sa mère?
Je vous fais une réponse de Normand. D'un rapport, on peut déduire ce qu'on a envie. J'ai lu le rapport dans son ensemble, il tient la route. Il faut passer à la suite. J'ai toute confiance en ces équipes, et je ne peux pas revenir dessus, je n'étais pas là. Par ailleurs, on a une autorité judiciaire suprême, le TF, qui a jugé que les éléments qu'elle avait à disposition permettaient de justifier ce qui s'est passé.

Vous menez une enquête sur le placement de Bénédicte. Si vous découvrez un manquement, que se passe-t-il?
Je tiens à préciser que je ne mène pas une enquête, par exemple pour le Conseil de santé. Dans ce type de situation, j'essaie de comprendre ce qu'il se passe. Je parle uniquement sous l'angle de la médecine, pas du social, et j'ai la chance d'avoir accès aux dossiers et aux soignants, médecins, infirmières. Cette affaire est ultra-sensible. La justice a tout de même déterminé que laisser ce bébé sous surveillance unique de sa mère était dangereux pour lui. Mon adjointe et moi avons parlé avec les médecins du CHUV. Si nous avions remarqué un manquement dans les rapports des soignants, nous pourrions demander à la cheffe du Département de la santé d'ouvrir une enquête. Mais ici, ça n'est pas le cas.

Quelles suites envisager pour Bénédicte?
Il faut que les choses se calment. Que la Justice de Paix puisse organiser le plus vite possible quelque chose avec la famille, en respectant les décisions de justice.

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