Le retour du Covid-19?
La Suisse serait-elle prête à affronter une nouvelle pandémie?

Les variants du Covid-19 infectent de plus en plus de monde, les masques réapparaissent, mais les Suisses en ont marre du vaccin. Comment le pays vivrait un retour des mesures sanitaires, si nouvelle pandémie il y a? L’éclairage du médecin et éthicien Bertrand Kiefer.
Publié: 07.10.2023 à 06:05 heures
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Dernière mise à jour: 07.11.2023 à 12:12 heures
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

En dehors des rapports de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des hôpitaux et des forums complotistes, le mot aux quatre syllabes déprimantes avait déserté le paysage sonore des Romandes et des Romands pour quelque temps. Mais depuis la fin de l’été, qui est de retour dans les conversations, entre deux «il fait froid le matin» et trois recettes de risotto à la courge? Le Covid! Le mot à nouveau le plus recherché sur Google, et largement entendu dans la rue, au bureau, au resto.

Lisez plutôt. Il y a cette maman, qui trouve que les trams genevois sont de plus en plus bondés de voyageurs masqués. La sœur d’une collègue, qui a «de nouveau un peu peur de prendre le métro, tout le monde me tousse dessus sans mettre le bras». Ou ces deux jeunes femmes qui l’ont récemment contracté pour la première fois. «Franchement, il m’a mis KO alors que je m’attendais à un rhume. Il se refile super vite, trois proches l’ont eu après moi, alors qu’on n’avait pas eu plus d’interactions que ça.»

Une «nouvelle maladie»?

Dans la presse, on lit beaucoup de choses sur Eris, le variant très contagieux, et Pirola, celui qui inquiète beaucoup les chercheurs vu ses nombreuses mutations. La chercheuse Shi Zhengli, tellement spécialiste du Covid qu’on l’appelle «Batwoman», publiait fin septembre une étude à la conclusion tant redoutée: «Le monde doit en tout cas se préparer à une nouvelle maladie comme le Covid-19».

Bertrand Kiefer, médecin, éthicien, éclaire sur les possibilités d'une nouvelle pandémie, et comment la Suisse réagirait-elle.
Photo: DR

La population suisse serait-elle prête à rempiler pour des mesures de contrôle d’une pandémie? Et puis, c’est quoi une «maladie comme le Covid-19»? De nouveaux symptômes, un nouveau vaccin? Le médecin Bertrand Kiefer, également éthicien et rédacteur en chef de la revue médicale suisse et théologien, aide à y voir plus clair parmi ces infos inquiétantes qui tombent tous azimuts.

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«Le monde doit en tout cas se préparer à une nouvelle maladie comme le Covid-19»
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D’abord, quand la chercheuse parle de «nouvelle maladie», elle peut entendre plusieurs choses. Il s’agit à ce stade de surveiller les variants de la même souche de coronavirus qu’est le Covid-19. «Les variants qui continuent d’apparaître ne sont pas très menaçants, nos anticorps et le vaccin restent très protecteurs, tempère Bertrand Kiefer lors d’un appel avec Blick. Le variant qui s’impose en ce moment est Pirola, il est très transmissible, mais s’avère peu pathogène.» En clair: sa gravité pour la santé des personnes bien portantes n’est pas inquiétante.

Nouvelle souche, nouvelles mesures

Dès lors, deux scénarios pourraient changer la donne: un variant qui «résisterait» à nos anticorps, et une nouvelle souche. «On peut se demander si nos anticorps vont être efficaces pour lutter contre toutes les sortes de variants, en effet, s’interroge le médecin. Nous ne sommes jamais à l’abri d'une surprise. Le vaccin est très efficace, mais faudra-t-il l’adapter à cause de ces variants?»

Par ailleurs, «il est tout à fait possible qu’une nouvelle souche de virus entraîne une nouvelle pandémie. Il n’y a même aucune raison de penser le contraire». Mais selon Bertrand Kiefer, «tout le monde le saurait», à commencer par la communauté scientifique internationale. Ça n’est donc pas sur le tapis, là, tout de suite.

Plus revivre les années Covid

Davantage qu’un nouveau variant, c’est donc un nouveau virus qui serait le plus à même d’engendrer une nouvelle pandémie. Et quant à savoir si le pays serait prêt à accepter les mêmes mesures sanitaires, la réponse est plutôt négative.

«Les gens n’ont plus envie de vivre les années Covid. On aurait beaucoup de mal à prendre des mesures de quarantaine face à une nouvelle souche qui ferait exactement la même chose», soit toucher particulièrement les personnes âgées et vulnérables, analyse l’éthicien.

La déforestation, source de maladies

C’est principalement en détruisant l’habitat naturel des animaux que l’homme s’est retrouvé en contact avec des maladies émergentes, transmises d’une espèce à la nôtre. Bertrand Kiefer explique qu’en abattant des portions de jungle en Chine par exemple, l’homme a imposé un contact entre certaines chauves-souris et lui. Les chiroptères sont des «réservoirs à virus», dû à un modus vivendi particulier: les virus ne tuent pas la chauve-souris, qui en échange les transporte. Mais ces animaux sont censés vivre dans un écosystème particulier et fermé. En détruisant leur habitat, l’homme dérègle ce système et entre en contact avec leurs virus, souvent via un autre animal qui sert d’hôte intermédiaire. Par ailleurs, «nous voyageons beaucoup et avons de multiples contacts. Ainsi, une fois infecté, un
individu peut rapidement diffuser des pathogènes partout dans le monde. Notre biologie n’est pas préparée à cela.» Sept coronavirus sont déjà passés chez l’homme, dont quatre provoquent des infections respiratoires et des rhumes qui sont devenus banals.» Le Sars, entre 2002 et 2004, s’est éteint. Le Mers a provoqué des épidémies au Moyen-Orient. Et le Covid-19 a touché le monde entier.

C’est principalement en détruisant l’habitat naturel des animaux que l’homme s’est retrouvé en contact avec des maladies émergentes, transmises d’une espèce à la nôtre. Bertrand Kiefer explique qu’en abattant des portions de jungle en Chine par exemple, l’homme a imposé un contact entre certaines chauves-souris et lui. Les chiroptères sont des «réservoirs à virus», dû à un modus vivendi particulier: les virus ne tuent pas la chauve-souris, qui en échange les transporte. Mais ces animaux sont censés vivre dans un écosystème particulier et fermé. En détruisant leur habitat, l’homme dérègle ce système et entre en contact avec leurs virus, souvent via un autre animal qui sert d’hôte intermédiaire. Par ailleurs, «nous voyageons beaucoup et avons de multiples contacts. Ainsi, une fois infecté, un
individu peut rapidement diffuser des pathogènes partout dans le monde. Notre biologie n’est pas préparée à cela.» Sept coronavirus sont déjà passés chez l’homme, dont quatre provoquent des infections respiratoires et des rhumes qui sont devenus banals.» Le Sars, entre 2002 et 2004, s’est éteint. Le Mers a provoqué des épidémies au Moyen-Orient. Et le Covid-19 a touché le monde entier.

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Agir si une souche «fait mourir les enfants»

Un rebondissement «tout à fait imaginable» serait l’apparition d’une souche qui, plutôt que d’affecter surtout les seniors, ferait avant tout mourir les enfants ou les jeunes. Dans un tel cas de figure, les gens seraient probablement d’accord de faire beaucoup, estime Bertrand Kiefer.

Une autre possibilité est que la prochaine pandémie ne soit pas respiratoire, mais transmise par ingestion, ou par voie sexuelle, par exemple. Sa gestion serait alors très différente.

Tout est possible, en somme, sauf anticiper l’avenir. Se reposer sur ce qu’on a vécu, en revanche, est une force. «Une chose est certaine: la prochaine pandémie se passera différemment. On a appris de la science pour mettre en place des mesures différentes, on n’a plus envie de revivre la même chose.»

Isoler les seniors a tué

Comme les coronavirus touchent principalement les voies respiratoires, les réserves de masques sont essentielles. Mais la prévention ne serait pas du tout le point fort de la Suisse, un peu en retard à différents niveaux.

«On a été très bons pour gérer l’urgence, mais pas vraiment pour en tirer des leçons et se préparer au futur, considère le médecin. On est très en retard dans le partage des données, par exemple grâce au dossier électronique des patients, alors que ce partage permet de comprendre ce qui se passe et de lutter contre la pandémie.» Il enchaîne: «On devrait aussi anticiper une meilleure répartition des tâches en cas de surcharge, en repensant notre système trop hospitalo-centré.»

Le rédacteur en chef de la «Revue médicale suisse» prêche pour des mesures ambulatoires plus ambitieuses, comme prévoir une prise en charge avec distribution d’oxygène dans les EMS. «On a trop isolé les personnes âgées, les priver de visites a aussi tué.»

Les conspirationnistes, «principal danger»

Mais comment imaginer des mesures préventives, qui nécessitent des investissements, quand la population a envie de tourner la page? Que les Suisses en ont marre du vaccin? Et qu’une partie croit dur comme fer à une vaste manipulation?

Les conspirationnistes sont «le principal danger» des mesures de prévention, avance Bertrand Kiefer, qui cherche aussi à les comprendre. «Être anti-science, c’est une manière de se protéger contre l’angoisse d’un monde qu’on ne comprend pas. La meilleure prévention, c’est de comprendre que la science est faite non pas de certitudes, mais de connaissances qui progressent. Même si elle avance parfois en tâtonnant, c’est elle qui doit servir de support à la médecine et à la politique lorsqu’il s’agit de faire face à une pandémie.»

Bulles d’opinion

A l’inverse, les pays où la politique a décidé à la place de la science, «et surtout contre la science», ajoute l’expert, «ont eu des résultats catastrophiques en termes de maladies graves et de mortalité.» Nous voilà prévenus.

L’éthicien cherche à rationaliser. «Quand les gens souffrent d’un cancer, presque tous acceptent le diagnostic et les recommandations des médecins. Or, c’est la même science… C’est aussi la même science qui fait avancer un avion ou fonctionner un téléphone portable. Les phénomènes de bulles d’opinion sur internet sont très bruyants, mais combien de personnes ces conspirationnistes représentent-ils vraiment?»

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