L'édition de 2024 était la dernière
La mort du Salon de l'auto, c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle?

Le Salon international de l'automobile de Genève a rendu son dernier souffle, lors de l'édition de 2024. Bonne ou mauvaise nouvelle? Tim Guillemin, responsable du pôle Sport, et Daniella Gorbunova, journaliste au pôle News et Enquête, en débattent.
Publié: 03.06.2024 à 17:48 heures
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Dernière mise à jour: 03.06.2024 à 19:35 heures

Un message, a priori banal et sans conséquences, de Daniella Gorbunova dans la messagerie interne de la rédaction a provoqué un tremblement de terre à l'autre bout de la Suisse, vendredi passé. De Saint-Gall, où il se trouvait pour couvrir l'actualité de l'équipe de Suisse avant l'Euro, Tim Guillemin a été outré par le fait que sa collègue se réjouisse de la mort du Salon de l'auto genevois, annoncée en fin de semaine dernière.

«Le Grand soir est enfin arrivé», a jubilé Daniella. De quoi agacer Tim, qui n'a pas réussi à garder ses sentiments enfouis. Un ou deux échanges de messages ont suivi, ponctués par un téléphone plus ou moins amical. Et, enfin, nos deux journalistes se sont engouffrés dans une profonde conversation WhatsApp. Alors, la mort du Salon de l'auto, c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle? Blick débat.

Daniella, je crois que tu n'imagines pas à quel point j'ai été choqué en lisant ces deux lignes dans notre messagerie interne. Comment peux-tu te réjouir de la fin du Salon de l'Auto et de toutes les conséquences qui en découlent?

La mort du Salon de l'auto, c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle? Nos deux journalistes en débattent par messages.
Photo: Canva

Les emplois directs et indirects, l'attractivité de la Suisse romande, les nuits d'hôtel, l'impact positif pour l'économie... En fait, je vais te poser la question autrement: n'as-tu pas honte de te réjouir d'une nouvelle aussi triste?

Tim, je réitère très volontiers ma réjouissance face à l'annonce de la mort de cet évènement complètement dépassé, qui était déjà en train de couler depuis des années: concessionnaires insatisfaits, popularité qui s'essouffle avant le Covid déjà, et puis la pandémie a donné le coup de grâce.

Je te rappelle que, face aux complications organisationnelles et à une notable baisse de popularité, l'édition de 2023 s'est déroulée... au Qatar! Ça fait une belle jambe à l'économie locale, un salon de l'auto à Doha. Donc l'annulation annoncée n'est que la suite logique, cette manifestation — sexiste et tout sauf écolo friendly — appartient au passé!

Doha et Genève pouvaient très bien exister en parallèle. Je ne conteste pas que la manifestation s'essoufflait, mais tu ne pourras pas m'empêcher d'être triste qu'elle n'ait pas réussi à se réinventer et à avoir une deuxième chance après l'édition 2024 qui devait être celle du renouveau. Je n'aime pas vivre dans le passé, mais je suis nostalgique de cette belle manifestation, qui fédérait un pays entier autour d'elle. Je me rappelle ces samedis matin, où, gamin, je montais dans la voiture (oui, pardon) avec mon père pour me rendre à Genève et y retrouver des visiteurs venus d'Appenzell et d'Argovie.

Le Salon de l'Auto était un rendez-vous, de ceux qui cimentent la nation, et je suis triste, oui, vraiment triste, de voir tous ces événements se déliter gentiment. La Suisse (romande en l'occurrence) perd de son attractivité année après année. Je me fous des symboles: que le Cervin ne figure plus sur les Toblerone ne m'intéresse pas. Mais, concrètement, que l'on perde des emplois et de l'attractivité me chagrine. Le Salon de l'Auto ne t'intéressait pas. Soit. Il te suffisait de ne pas y aller. Pas de te réjouir de sa mort.

Ce renouveau raté prouve bien qu’on ne fait pas d’un chien un chat: le culte de la voiture est dépassé, voilà tout. Et puis tu parles de tes souvenirs d’enfance, de ce Salon comme d'une madeleine de Proust — je comprends et compatis. Moi, j’ai d’autres souvenirs de jeunesse, avec cet événement: par exemple celui de mes deux copines, Claire et Margaux, qui étaient hôtesses pour des concessionnaires. Elles avaient à peine 18 ou 19 ans, et elles me racontaient comment elles se faisaient reluquer par des vieux hommes baveux à longueur de journée, qui parfois même avaient des gestes déplacés...

Bref, moi ça m’évoque surtout un monde viriliste, le culte des gros moteurs et des nanas en mini-jupe devant. Des images peut-être nostalgiques pour toi, mais un peu révoltantes pour ma génération. Ne serait-ce pas, enfin, l’occasion de créer une nouvelle manifestation, d’avantage dans l’air du temps? Un nouvel événement qui nous permettrait de nous «fédérer», comme tu dis, mais autour d’autre chose que la bagnole (qui, pour rappel, est l’une des principales causes du réchauffement climatique…).

Je ne suis pas nostalgique des comportements dont tu parles, mais ceux-ci appartiennent comme tu le dis au passé. Le Salon était justement en train de se réinventer et l'édition 2024 était exemptée de ces comportements sexistes. L'argument tombe à l'eau.

Et en ce qui concerne l'écologie, justement, ce Salon était aussi l'occasion de découvrir les dernières avancées technologiques et de construire l'automobile de demain. La fin de l'édition genevoise du Salon ne signifie pas la fin de l'automobile, je suis désolé de te le dire.

Quand tu parles de découvrir les dernières avancées technologiques, tu parles des deux ou trois malheureux stands de voitures électriques présents à la dernière édition? C’est du green washing! Cela fait de plus en plus consensus dans les milieux scientifiques: l’automobile écologique «de demain» n’existe pas (pour le moment, du moins).

La solution, c’est de limiter au maximum toutes les voitures, électriques comprises… Au lieu de remuer les souvenirs du passé, tu devrais aller en créer de nouveaux au Salon du vélo de Genève, Tim!

Ou pas. Chacun est libre. Je ne réclame pas la fin du Salon du vélo, ni ne me réjouirais qu'il disparaisse. Je suis fatigué de cette intolérance, Daniella. Je roule dans une petite voiture, ne suis pas un acharné de l'automobile, mais voir la Suisse romande perdre de son attractivité me chagrine. Tu vois, jamais de ma vie je ne suis allé à Paléo, même pour écouter mes chanteurs préférés. Ça ne m'intéresse pas.

Est-ce que pour autant, si ce festival se cassait la gueule et était délocalisé au Qatar, j'en serais heureux et te dirais que ce festival était rempli de drogués et d'alcooliques sous prétexte que quelqu'un un jour y a fumé un joint ou bu une bière? Non. Même si le Paléo n'est pas mon truc, je suis heureux qu'il crée de la richesse culturelle, financière et sociétale à la Suisse romande. Ouvre ton esprit, Daniella.

Là où je te rejoins dans cette comparaison, c’est en termes de beaufitude: Non, Paléo ne vaut pas mieux que le Salon de l’auto, sur ce point, j’te l'accorde... En revanche, Paléo n’est pas un événement à la gloire d’une machine qui contribue à saccager la planète! Et dont même les plus grands fans semblent se désintéresser, ces dernières années — le déclin du Salon n’est pas arrivé à cause des sales «wokes» comme moi qui n’y vont pas, mais à cause des habitués qui n’y vont plus, entre autres!

Force est de constater que la «réinvention» de cette foire coïncide avec son arrêt de mort… Cela signifie que le public qui y tient encore ne veut pas d’un renouveau pseudo-écolo: mais des grosses bagnoles qui font vrooum et des jolies filles devant! Bref, pour moi, la fin du Salon est comme la mort naturelle d’une vielle dame de 120 ans, qui a bien assez vécu… Et il en faudra plus pour tuer l’économie genevoise, ne t’inquiète pas pour ça.

Le problème, ce n'est pas la voiture ou pas la voiture. C'est que la Suisse perde encore un repère. Vivement le mondial de la fondue au Mexique. Allez, Daniella, promis: le jour où la FIFA quitte la Suisse pour aller en Arabie saoudite, que Rolex délocalise son siège en Inde ou que les avions de Swiss restent cloués au tarmac, j'éviterai d'ouvrir notre messagerie interne pour voir ta réaction enjouée.

Bonne suite de journée à pied ou à vélo, je dois y aller pour éviter les bouchons pour rentrer chez moi (vivement la troisième voie sur l'autoroute).

C’est vrai que ce n'est pas comme si la Suisse était toujours dans le top 10 mondial des pays qui comptent le plus de richesses et de milliardaires au monde… Je pense que nous n’avons pas trop de soucis à nous faire pour notre attractivité! Mais, s’il fallait s’en faire, la mort du Salon de l’auto est l'occasion de repenser le rôle que doit jouer la Suisse sur la scène internationale, via ce genre de gros événements: veut-on faire survivoter des manifestations qui rapportaient gros par le passé, ou regarder vers l’avenir, et innover? À savoir faire naître un événement tout aussi glam, mais qui sent moins le Diesel et la pipe à tabac à grand-papa...

Allez, bon retour dans les bouchons, Tim, moi je saute dans le train avec mon AG — que je paie 3,7% de plus que l’année dernière (comme quoi, tu n’es pas le seul à ne pas être à la page, en termes de mobilité douce...).

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