Léonore Porchet au front contre AVS 21
«Les femmes travaillent déjà plus que les hommes»

En première ligne contre le projet de hausse de la retraite des femmes à 65 ans, Léonore Porchet va plus loin. À contre-courant des récentes déclarations d’Alain Berset, la conseillère nationale verte appelle à repenser notre approche au travail.
Publié: 18.01.2022 à 05:58 heures
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Dernière mise à jour: 18.01.2022 à 16:56 heures
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Offrir des rentes décentes aux femmes, c’est le combat de Léonore Porchet. Et plutôt trois fois qu’une: après la rue et le Parlement, c’est dans les urnes que la conseillère nationale vaudoise espère infléchir le projet fédéral d’une hausse de l’âge de l’AVS de 64 à 65 ans. «Les femmes sont déjà massivement désavantagées et doivent encore payer pour cette réforme, c'est intolérable», dénonçait-elle sous sa casquette de vice-présidente de Travail.Suisse peu avant Noël.

Aux yeux de l'écologiste, le projet dessiné par le Parlement est un crachat au visage du demi-million de femmes qui s’est rassemblé dans la rue voilà deux ans et demi à l’occasion de la Grève féministe. En visite dans les locaux de Blick pour répondre à ses «haters» sur les réseaux sociaux, la conseillère nationale vaudoise en a profité pour élargir son champ de vision et réfléchir sur notre rapport au travail.

Le poing levé, Léonore Porchet proteste contre cette mesure «intolérable» pour les femmes.
Photo: Keystone

Vous portez régulièrement une broche «65 ans, c’est toujours non». Les femmes ne travailleront donc jamais aussi longtemps que les hommes?
C’est toujours non parce que l’on a déjà voté deux fois sur le sujet. La population a refusé à deux reprises de relever l’âge de la retraite des femmes, à juste titre. C’est inacceptable que cela revienne, encore plus en tant que mesure centrale du paquet AVS.

Photo: KEYSTONE

Tout de même, la Suisse reste un cas à part, ou presque. Au sein de l’OCDE, il n’y a plus que la Hongrie, Israël, la Pologne et la Turquie qui n’aient pas égalisé l’âge de la retraite. Cette position est-elle tenable?
On y arrivera peut-être, mais à 64 ans! En tout cas, on ne peut vraiment pas accepter ce projet en l’état, avec 10 milliards de francs économisés sur le dos des femmes. L’égalité ne doit pas se faire en défaveur des femmes, qui souffrent de discriminations tout au long de leur carrière.

Votre référendum pourrait bien aboutir, mais il ne fera que geler la situation. Or, l’AVS fait face à un gros problème de financement. Comment fait-on?
Calmons-nous un peu: l’AVS ne va pas faire faillite demain. C’est une assurance qui est solide et qu’on n’a pas besoin de «sauver» comme je peux l’entendre parfois. Elle n’est pas dans une situation d’urgence. Nous faisons face à un problème ponctuel, les baby-boomers qui arrivent à la retraite, que nous pouvons traiter avec des solutions ponctuelles.

Mais tout de même, vous souhaiteriez «augmenter l’AVS». Avec quel argent?
De l’argent, il y en a à foison! On peut imaginer plusieurs possibilités: faire appel aux réserves gargantuesques de la Banque nationale suisse (BNS) ou alors vendre ses actions carbonées. Ou alors introduire une microtaxe sur les transactions financières, mieux lutter contre la fraude fiscale… Les solutions existent.

Au-delà de la question des «boomers», l’espérance de vie augmente. C’est mathématique: il y aura donc toujours plus de retraités pour toujours moins de cotisants. Même si vous remportez ce référendum, les Jeunes PLR arrivent avec une nouvelle salve pour lier le départ à la retraite à l’espérance de vie…
Je ne sais même pas par où commencer tant cette idée me paraît fausse à tellement d’égards… Prenons un exemple: si mes prédécesseurs au Parlement avaient décidé d’indexer l’âge de la retraite à l’espérance de vie il y a quelques décennies, nous travaillerions jusqu’à 71 ans aujourd’hui. Or, il faut rappeler que l’espérance de vie en bonne santé s’élève à 68 ans, pour les hommes et les femmes. On ne peut pas compter l’année où l’on meurt sous respirateur comme une année d’espérance de «vie».

Selon des documents obtenus par Blick, Alain Berset a récemment étonné et provoqué le courroux de son coprésident de parti en estimant qu’une hausse de l’âge de la retraite était «inévitable». Un tabou va-t-il sauter à gauche?
Les attaques contre l’AVS sont constantes, parce qu’elle fonctionne de manière solidaire et ne rapporte pas d’argent aux assureurs. Alors les milieux qui y ont un intérêt sapent depuis des années la confiance dans la première institution sociale du pays, cela touche aussi certaines personnes à gauche. Mais l’élévation de l’âge de la retraite des femmes est une des manières les moins efficaces de financer l’AVS. Même le Conseil fédéral admet dans son message que cela n’est pas un financement durable.

La conseillère nationale en première ligne aux côtés de Pierre-Yves Maillard, en septembre dernier à Berne.
Photo: Keystone

A quel âge devrions-nous aller à la retraite, selon vous?
Nous aurions les moyens de financer une retraite digne à partir de 60 ans, si l’on veut. J’aimerais qu’on arrive d’abord à 64 ans pour tout le monde, puis pourquoi pas 62 ans. Ce n’est pas vraiment une question de mathématiques ou de statistiques, c’est une affaire de volonté politique.

Justement: la politique, c’est aussi une affaire de majorités. L’AVS piétine au Parlement depuis plus de 20 ans…
Tous les échecs passés ont donné lieu à un accord ponctuel de financement. On va trouver des compromis pour passer l’épaule de ce baby-boom, je suis optimiste. Mais il faut que ça soit dans le système solidaire et social mis sur pied par nos prédécesseurs. Une femme sur dix se retrouve dans la précarité au moment d’arriver à la retraite et le Parlement leur répond «Tant pis, bossez un an de plus»? Ça ne va pas!

Comment expliquez-vous que ce soit aussi dur sous la Coupole pour vous faire entendre?
Nos élus actuels, en particulier à droite, sont très pingres. Il y a une vraie volonté de ne pas afficher un visage social, alors qu’il faut rappeler que ce sont les radicaux qui ont créé l’AVS. Aujourd’hui, ils et elles ne font pas honneur à leur passé. Par exemple, tout le bloc bourgeois a fait front contre la prise en compte des bonifications pour tâches d’assistance — en gros, lorsque vous devez vous occuper de vos enfants par exemple — dans le calcul des compensations à l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. Ce refus de la part du Centre, autoproclamé parti de la famille, m’étonne.

Selon les statistiques de l’AVS pour 2020, les femmes représentent 46% des cotisants, mais 53% des bénéficiaires. D’autre part, elles cotisent sur 34% des revenus soumis à l’AVS mais reçoivent 55% de la somme des rentes. Cela ne semble pas les léser, à première vue.
Si on cumule le travail non salarié et salarié, les femmes travaillent plus que les hommes. C’est simplement qu’elles offrent du travail gratuit à leur famille et à la société. À 64 ans, les grands-mamans ne vont pas à la plage, elles s’occupent des petits-enfants! Sans ce travail bénévole, les besoins en matière de crèches exploseraient et se reporteraient sur les familles. Idem pour les proches qui ont besoin d’aide.

Comment valoriser ce travail de «Care»? En le rémunérant?
La question est légitime, mais je trouve très triste de devoir la formuler ainsi, monétiser ces efforts serait ainsi le seul moyen pour qu’ils trouvent de la valeur aux yeux de la société. Si l’on devait arriver à un modèle rémunérateur, alors je soutiendrais un revenu de base.

Revenu de base de retour cinq ans après un refus dans les urnes, semaine de quatre jours à l’essai dans certaines entreprises alémaniques: sommes-nous face à un virage qui rendrait l’AVS obsolète?
Au contraire, l’objectif est d’étendre le concept de l’AVS: permettre à toute la population de vivre sans s’inquiéter de sa subsistance. Et tant mieux si cela incite à moins travailler, même si toutes les enquêtes montrent que les gens resteraient actifs. Nous sommes face à une urgence sociale et climatique, à laquelle s’ajoute une urgence sanitaire en ce moment. Les gens ont besoin de temps pour prendre soin d’eux, de leurs proches et pour mettre en œuvre les changements de mode de vie indispensable au tournant énergétique: se déplacer à vélo, cuisiner, réparer, faire ses courses directement auprès des producteurs, etc.

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