Lukas Engelberger, président de la Conférence des directeurs de la santé
«Les caisses-maladie se sont largement trompées»

La Confédération doit-elle prendre le relais dans la planification hospitalière? Lukas Engelberger, président de la Conférence des directeurs de la santé, s'oppose à la perte de pouvoir des cantons et fait l'éloge de notre système de santé. Interview.
Publié: 01.10.2023 à 05:59 heures
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Dernière mise à jour: 01.10.2023 à 08:19 heures
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Peter Aeschlimann

C’est très certainement l’information de la semaine. L’année prochaine, les primes d’assurance maladie augmenteront en moyenne de 8,7% et feront encore un peu saigner les portefeuilles suisses. Entre-temps les propositions visant à freiner la hausse des coûts n’ont pas tardé à pulluler. Chaque parti a une solution en réserve. Les caisses d’assurance maladie participent, elles aussi, à ce brainstorming national.

Dans les journaux de Tamedia, le président de Santésuisse Martin Landolt demande que la planification hospitalière soit déléguée à la Confédération. Un sujet encore tabou qui a du mal à passer auprès des cantons. A cette occasion, Blick a rencontré Lukas Engelberger, le président de la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS) dans son bureau, à Bâle. Le conseiller d’Etat bâlois du Centre répond à toutes les questions, y compris à celles qui fâchent. Interview.

Lukas Engelberger, le président de l’association des caisses maladie Santésuisse souhaite retirer aux cantons leur compétence en matière de planification hospitalière. Comment jugez-vous cette proposition?
Pointer simplement du doigt d’autres acteurs du système de santé me semble trop facile. Les caisses-maladie se sont largement trompées dans leurs prévisions de recettes de primes. Elles ont aussi obtenu de mauvais résultats sur leurs placements. C’est en partie à cause de cela que nous nous traversons actuellement un automne difficile en matière de primes.

Le directeur bâlois de la santé, Lukas Engelberger, s'oppose à ce que les cantons soient dépossédés de leur pouvoir en matière de planification hospitalière.
Photo: STEFAN BOHRER
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Pourtant, les mauvaises nouvelles concernant les primes reviennent chaque automne. Les cantons ne seraient-ils pas responsables de la croissance des coûts?
Nous devons nous améliorer en matière de planification et collaborer encore plus étroitement. Mais le fait est que là où les cantons peuvent intervenir, c’est-à-dire majoritairement dans le domaine hospitalier stationnaire, les coûts augmentent plus modérément qu’ailleurs en comparaison annuelle. L’affirmation du président de Santésuisse selon laquelle nous nous permettons d’avoir des hôpitaux trop chers n’est donc pas correcte. Nous devons chercher ensemble des solutions dans le système existant. Je rejette les idées semi-révolutionnaires.

Le dernier mot pourrait revenir au peuple. Comment vous positionneriez-vous face à une initiative?
Je ne veux pas anticiper cette discussion. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agirait d’un changement radical de système. Tout ce qui va de soi aujourd’hui devrait être remis en question. Les cantons paient plus de la moitié des traitements hospitaliers stationnaires. Pourquoi continueraient-ils à le faire si la planification leur était retirée? Ce problème deviendrait aussi celui de la Confédération.

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Beaucoup de voix se sont élevées en faveur d’une caisse unique. C’est une perspective inquiétante pour les caisses maladie
Lukas Engelberger, président de la Conférence des directeurs de la santé
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Croyez-vous que la Confédération soit capable d’effectuer une bonne planification hospitalière?
Aujourd’hui, la Confédération est assez éloignée du quotidien des soins de santé. Pour en être capable, elle devrait mettre en place des structures et acquérir le savoir-faire nécessaire — ce serait une énorme transformation du système. Et puis, imaginez ce que penserait la population des cantons si un office fédéral fermait un de leurs hôpitaux. C’est une solution qui ne correspond tout simplement pas à notre système de démocratie directe.

Personne n’aime céder du pouvoir. La CDS a-t-elle mis en place une cellule de crise?
Non. Je constate simplement une grande agitation dans le débat public. Chacun s’affaire à ressortir une solution miracle de derrière les fagots. Les directrices et directeurs de la santé sont favorables à une amélioration progressive et opposés à un changement radical du système.

Pourquoi les assureurs attaquent maintenant ce sujet?
Les assureurs se sentent sous pression. Beaucoup de voix se sont élevées en faveur d’une caisse unique. C’est une perspective inquiétante pour les caisses maladie.

La caisse unique réclamée par le Parti socialiste (PS) est-elle aussi une solution enviable pour la CDS?
Nous ne sommes pas encore parvenus à nous mettre d’accord sur une position.

Quelle est votre opinion personnelle?
Je suis très sceptique quant à la possibilité d’obtenir quelque chose avec une telle transformation du système. La plupart de ces propositions s’attaquent au financement. Or, ce sont les coûts qui constituent le grand défi. Les gens vivent plus longtemps et bénéficient plus longtemps de prestations de santé qui sont de plus en plus performantes et souvent aussi plus chères. Il s’agit à présent de trouver comment chacun puisse en avoir les moyens, et ce, de façon durable.

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Le nombre d’hôpitaux n’est pas déterminant. Ce qui compte, c’est leur efficacité
Lukas Engelberger, président de la Conférence des directeurs de la santé
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A Saint-Gall, les hôpitaux vont mettre 440 personnes au chômage. Y a-t-il encore trop d’hôpitaux là-bas?
Dans toute la Suisse, la situation financière des hôpitaux s’est nettement détériorée. Comme toutes les entreprises, ils sont touchés par le renchérissement, notamment en ce qui concerne les coûts de l’énergie. Mais la pression est également forte dans le domaine du personnel. Il est devenu difficile de trouver suffisamment de personnel qualifié. Cela oblige à faire des compromis avec les collaborateurs: les réductions du temps de travail et les augmentations de salaires entraînent à leur tour une augmentation des coûts. Du côté des recettes, les tarifs sont en revanche inflexibles. Il faudra du temps pour que l’augmentation du renchérissement de ces dernières années soit reflétée. Mais il faudra en tenir compte.

Les Pays-Bas comptent une centaine d’hôpitaux alors que la population y est deux fois plus nombreuse qu’en Suisse. Or chez nous, il y en a trois fois plus. Les assureurs disent que les hôpitaux superflus sont un important facteur de coûts dans le système de santé. Êtes-vous d’accord avec cela?
En ce qui concerne les traitements stationnaires, on ne voit pas cela dans la comparaison sur plusieurs années. Encore une fois, les assureurs simplifient l’équation. Le nombre d’hôpitaux n’est pas déterminant. Ce qui est bien plus important, c’est l’efficacité de l’organisation des hôpitaux. La Suisse n’est pas les Pays-Bas. Nous avons une autre topographie, nous sommes un pays multilingue et organisé de manière fédéraliste.

Mais l’équation est claire: là où l’offre est importante, on consomme davantage de prestations de santé. Les primes d’assurance maladie sont les plus chères là où il y a beaucoup de médecins.
Les cantons de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne ont une planification hospitalière commune. Nous avons constaté à cette occasion que nous avions effectivement parfois un taux de recours à certains traitements médicaux bien supérieur à la moyenne. Nous avons alors essayé de limiter les mandats de prestations. Mais nous n’y sommes parvenus que partiellement. Certaines mesures ont été portées devant les tribunaux. Il s’agit de procédures juridiquement exigeantes qui ne peuvent pas être réglées en appuyant sur un bouton. La Confédération en ferait également l’expérience si elle devait reprendre la planification hospitalière.

A-t-on vraiment besoin de douze hôpitaux en Suisse pour effectuer des opérations de pontage?
On pourrait effectivement organiser cela de manière plus efficace. En tant que société, nous avons des exigences élevées en matière de disponibilité et d’accessibilité. Nous voulons être hospitalisés rapidement et ne pas avoir à attendre longtemps. Dans les pays où la médecine est très contrôlée, les patients peuvent attendre des mois ou des années pour une opération de remplacement d’articulation. Cela rend le système de santé bon marché — mais savoir si cela a un sens sur le plan économique est une autre question.

Et que répondez-vous à cette question?
Les personnes qui doivent attendre longtemps pour une prothèse de hanche sont limitées dans leur capacité de travail et de performance. C’est donc aussi grâce à notre système de santé que nous avons une productivité aussi élevée en Suisse. N’oubliez pas que le système de santé est un facteur d’implantation! Si on économisait ce système, cela finirait par nous coûter plus cher d’un point de vue économique global.

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Les angoisses changent avec les saisons. En janvier, les gens se demandent: aurai-je un lit d’hôpital si j’en ai besoin?
Lukas Engelberger, président de la Conférence des directeurs de la santé
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Mais la croissance effrénée des coûts a pour conséquence que les revendications pour une caisse unique deviennent plus populaires. On risquerait alors de se retrouver dans une situation comparable à celle de l’Angleterre.
C’est vrai, la pression pour agir augmente. Nous devons maintenant nous rassembler pour endiguer la croissance des volumes, qui est un des principaux facteurs de coûts.

Or, le Parlement n’y parvient pas. La semaine dernière, le Conseil national a fait passer à la trappe des projets qui, selon le conseiller fédéral de la santé Alain Berset, auraient offert le plus grand potentiel d’économies.
Ces dossiers étaient en discussion depuis longtemps. Elles n’ont pas soudainement pris une autre direction. Les décisions préliminaires dans les commissions et les groupes parlementaires avaient été prises depuis longtemps. Nous devons regarder vers l’avant: les partenaires tarifaires, les assureurs et les fournisseurs de prestations sont maintenant appelés à trouver des accords raisonnables. La CDS a en tout cas soutenu sur le fond le projet de maîtrise des coûts du Conseil fédéral.

Nous nous plaignons de l’explosion des primes tout en courant aux urgences pour une broutille. Comment expliquez-vous cette contradiction?
C’est profondément humain. Chaque saison connaît ses soucis spécifiques. En octobre, ce sont les primes d’assurance maladie. En janvier ou février, lorsque les hôpitaux sont pleins de malades de la grippe, les angoisses tournent autour des capacités: aurai-je un lit d’hôpital si j’en ai besoin? En fin de compte, les gens accordent toujours plus d’importance à la sécurité des soins et à la qualité qu’à l’aspect des coûts.

Et pourtant, la charge des primes devient maintenant critique pour la classe moyenne.
Nous devons prendre ce problème au sérieux. En tant que cantons, nous avons la responsabilité de veiller à un équilibre social par le biais de réductions de primes individuelles. Nous ne devons pas laisser tomber ceux qui vivent dans des conditions modestes.

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