Modification de la loi
Le Conseil fédéral fait la chasse aux mariages d'enfants

Actuellement, les mariages de mineurs ne peuvent pas être annulés en Suisse. Le Conseil fédéral veut changer la donne et modifier la loi. Mais entre les cas non déclarés et le manque de preuves de contrainte, beaucoup d'unions restent difficiles à sanctionner.
Publié: 11.03.2024 à 12:22 heures
Andreas Schmid

Elles ont fui l'Afghanistan, la Syrie ou l'Irak pour venir en Suisse: des jeunes femmes, parfois avec leurs parents, parfois non accompagnées. Bien qu'elles ne soient pas majeures, certaines sont déjà mariées. S'ils n'ont pas pu accompagner leurs femmes, les époux sont soit bloqués au pays, soit dans un camp de réfugiés quelque part en Europe.

Les mariages de mineurs conclus à l'étranger sont généralement valables en Suisse, bien qu'ici l'on ne puisse se marier qu'à partir de 18 ans. Malgré cela, ces mariages de jeunes sont très rarement dissous. De plus, beaucoup d'entre eux ne deviennent évidents que lorsque les personnes concernées approchent ou dépassent la majorité.

Dans ces cas, les tribunaux ne touchent généralement pas aux mariages et se réfèrent à une pesée des intérêts, ce qui a pour conséquence que seule une fraction des mariages de mineurs est annulée. Dans un cas marquant de pesée d'intérêts, le tribunal cantonal de Genève avait même reconnu a posteriori un mariage religieux en Iran comme mariage valable, bien que la mariée n'avait que 17 ans au moment de la décision du tribunal. Elle avait été mariée religieusement à l'âge de 14 ans.

Dans certains pays, le mariage des enfants est une pratique courante.
Photo: Pieter Ten Hoopen/VU/laif
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Les mariages de mineurs sont souvent liés à la contrainte, la plupart du temps – mais pas toujours – les femmes sont encore adolescentes. Avec une révision de la loi, le Conseil fédéral veut empêcher de tels mariages ou les sanctionner efficacement. Le Conseil des Etats examinera le projet mardi prochain.

Un grand nombre de cas non déclarés

Chaque année, environ 350 mariages forcés sont signalés en Suisse, et le centre national est sollicité une fois par jour pour une consultation. Près de 40% des dossiers concernent des mariages de mineurs: chaque année, 130 personnes concernées par un mariage à l'adolescence se manifestent. Les spécialistes supposent que le nombre de cas non déclarés est considérable.

L'adaptation du délai d'action en justice pour annuler un mariage est au cœur du nouveau projet de loi. Les personnes mariées alors qu'elles étaient mineures et les autorités devraient à l'avenir pouvoir contester un mariage jusqu'à ce que les deux partenaires aient 25 ans. Jusqu'à présent, ils ne peuvent le faire que jusqu'à leurs 18 ans. Ensuite, selon la pratique actuelle, le mariage d'enfants est considéré comme «guéri» et donc valable.

Anu Sivaganesan, juriste et présidente du Centre national pour les mariages forcés, salue cette modification. Tout comme l'intention de sanctionner non seulement les mariages civils, mais aussi les mariages religieux de mineurs. «Dans les pays d'origine des personnes concernées, ces mariages sont souvent plus répandus et encore plus contraignants que les mariages civils», constate Anu Sivaganesan. Même si en Suisse, un mariage religieux n'est autorisé que si le mariage a été conclu civilement auparavant. Parallèlement, les mariages religieux reconnus à l'étranger sont reconnus dans notre pays.

Mariage pendant les vacances

Anu Sivaganesan connaît des cas où des imams et des prêtres ont marié des jeunes de 15 ans et plus en Suisse lors de cérémonies. Certains de ces mariages se sont même faits en l'absence des époux et via des rencontres en ligne. Les enfants en âge de protection, c'est-à-dire les moins de 16 ans, sont mariés dans certains pays sur ordre de leur famille. Selon la tradition, ils sont présentés à l'homme souhaité par leur entourage avant de pouvoir entamer une relation amoureuse.

La loi révisée doit également empêcher les mariages dits de vacances des enfants. Il arrive régulièrement que des femmes d'origine étrangère vivant en Suisse se marient pendant leurs vacances dans leur pays d'origine. Le service spécialisé dans les mariages forcés enregistre ainsi nettement plus de signalements pendant les semaines d'été que pendant les autres mois de l'année. Les mariages de vacances ont lieu principalement en Turquie, au Sri Lanka, au Kosovo, en Macédoine du Nord, en Erythrée, en Somalie et au Pakistan, explique Anu Sivaganesan.

Malgré les modifications de la loi: Les mariages de mineurs et les mariages forcés continueront d'être difficiles à identifier et à sanctionner devant les tribunaux. La preuve en est: depuis 2013, date de l'entrée en vigueur de la loi fédérale contre les mariages forcés, seules dix condamnations ont été prononcées en Suisse en lien avec ces unions.

Le doute ne profite pas à la victime

Malgré les adaptations apportées à la nouvelle loi, la prévention des mariages de mineurs restera extrêmement exigeante dans la pratique, explique Anu Sivaganesan. Notamment parce que la pesée des intérêts en cas de mariage de mineurs continuera à être ancrée dans la loi. Cela signifie qu'à l'avenir également, de tels mariages pourront être validés, même si les personnes concernées de moins de 18 ans s'y opposent. «On laisse ainsi une faille ouverte», critique la juriste, car il est difficile de prouver qu'une personne ne veut pas se marier. Par conséquent, la révision de la loi, qui doit lutter contre les mariages de mineurs, ne sera pas d'une grande aide.

Anu Sivaganesan fait remarquer que les personnes concernées subissent une forte pression de la part de leurs proches, sont souvent exposées à des menaces, et se font reprocher le fait de porter atteinte à l'honneur et à la réputation de la famille.

Un cas exemplaire à Zurich

Un cas exemplaire, traité récemment par un tribunal zurichois, vient étayer les propos d'Anu Sivaganesan. Une femme fiancée à l'âge de 14 ans en Afghanistan et mariée à 15 ans a avancé qu'elle n'avait pas eu le choix, car elle avait été torturée psychologiquement par la famille de son mari, battue par son époux avec des ceintures et des câbles et menacée par ses propres parents. «Les membres de la famille m'ont dit que je perdrais la face et ma réputation si je n'épousais pas l'élu», a déclaré la femme. 

Pourtant, l'homme ne lui plaisait pas et elle le connaissait à peine. Mais on lui a dit que «dès qu'une fille atteint 14 ou 15 ans, elle doit être fiancée, sinon cela sera considéré comme une honte», peut-on lire dans le dossier. La famille du mari la considérait comme sa propriété. Malgré ces descriptions, le tribunal zurichois n'a pas dissous le mariage et l'a déclaré valable. Les déclarations de la femme n'ont pas pu être prouvées et contredisent les faits invoqués par son mari, est-il précisé dans le jugement.

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