Document confidentiel dévoilé
L'excision n'est pas un motif d'asile pour les Érythréennes

Ni l'excision ni le mariage forcé ne sont des motifs pour octroyer le statut de réfugiées aux Érythréennes, met en lumière un document confidentiel, dont Blick a obtenu copie. Le conseiller national vert valaisan Christophe Clivaz monte au filet.
Publié: 22.11.2023 à 11:44 heures
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Dernière mise à jour: 23.11.2023 à 15:27 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

C'est le résultat du long combat de l'avocat vaudois Gaspard Genton. Après plusieurs années de procédure, le Tribunal fédéral a tranché en sa faveur le 9 août: le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) a été forcé de lui livrer un document jusqu'ici gardé bien secret, dont Blick a obtenu copie. Celui-ci met en lumière des pratiques inconnues du grand public.

Sur 33 pages, la pratique suisse en matière d'asile pour l'Érythrée y est détaillée. Concrètement, c'est la feuille de route que suit le personnel de la Confédération pour poser des questions aux requérantes et requérants d'asile originaires du pays de la Corne de l'Afrique. Et pour choisir qui a le droit de rester ou non.

À la lecture, deux éléments sautent aux yeux. Une Érythréenne ne peut pas obtenir le statut de réfugiée en invoquant le fait d'avoir subi une excision (ablation du clitoris et des lèvres du vagin). Et il en va de même pour le mariage forcé.

Si elles veulent obtenir l'asile pour ce motif, les Érythréennes doivent notamment démontrer qu'elles ont demandé l'aide de la police du pays qu'elles fuient ou de l'organisation féminine Hamade pour s'opposer à leur excision.
Photo: KEYSTONE/Jean-Christophe Bott

83% des Érythréennes de 15 à 49 ans concernées

Concernant les mutilations génitales féminines (MGF), le SEM écrit: «En l'absence de crainte fondée, les demandes correspondantes sont généralement rejetées.» En clair, seule une crainte de future MGF est déterminante et non celle déjà subie. Pour les autres pays d'origine, c'est pareil, et l'information était déjà publique. «C'est un principe fondamental du droit d'asile: l'asile est accordé pour des préjudices à craindre et non comme 'réparation' pour des préjudices déjà subis», appuie Anne Césard, porte-parole du SEM, contactée par Blick.

Selon le texte du SEM en notre possession, il «convient d'examiner qui [exactement] exigerait et pratiquerait une excision contre la volonté des personnes concernées [...] et pourquoi ces dernières se verraient concrètement dans l'impossibilité de s'y opposer avec succès.» Il peut être demandé aux Érythréennes de démontrer qu'elles ont sollicité l'aide de... la police du pays qu'elles fuient ou de l'organisation féminine Hamade.

Malgré l'interdiction des MGF en 2007, 83% des Érythréennes âgées de 15 à 49 ans en ont enduré, selon les chiffres de l'UNICEF, mis à jour en mai 2023. Seuls six pays font moins bien.

Pour le mariage forcé, pourtant jugé contraire aux droits humains par le SEM, c'est la même musique. «Dans la procédure d'asile, ce qui compte, c'est de savoir s'il y a une crainte d'un futur mariage forcé et non si un tel mariage a déjà eu lieu.»

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«En clair, c'est à peu près impossible d'obtenir une protection pour ces motifs lorsqu'on est Érythréenne»
Christophe Clivaz, conseiller national vert valaisan
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En revanche, «la crainte crédible et fondée de mutilations génitales ou d'un mariage forcé peuvent conduire à l'octroi du statut de réfugié», insiste Anne Césard, dans un e-mail adressé à Blick ce lundi. Toutefois, «même en cas de crainte de mariage forcé, la personne concernée doit pouvoir expliquer pourquoi elle ne se sent pas en mesure de s'y opposer avec succès, le cas échéant avec l'aide des autorités» de cette dictature, l'une des plus fermées du monde. La crainte doit être rendue «vraisemblable». «Chaque cas est toujours examiné individuellement», précise-t-elle encore.

«Problématique»

«En clair, c'est à peu près impossible d'obtenir une protection pour ces motifs lorsqu'on est Érythréenne», déplore Christophe Clivaz, joint par Blick ce mardi. En outre, «il est problématique que les autorités suisses se cachent derrière le fait que le gouvernement érythréen a pris des mesures pour lutter contre ces fléaux, peste le conseiller national valaisan, qui intervient régulièrement à ce sujet sous la Coupole (lire encadré). Surtout lorsque ledit gouvernement est connu pour grandement malmener sa population.»

Depuis 2016, la Confédération a durci sa politique d'asile envers les personnes originaires d'Érythrée. En 2014, elles étaient 6900 à déposer une demande. En 2022, un peu plus de 1800. Parmi celles-ci, 426 émanaient de personnes débarquant sur le territoire. L'immense majorité des autres concernait des enfants de parents érythréens et venus au monde en Suisse.

La même année, «sur un total de 1789 cas réglés, 1168 Érythréen-ne-s ont obtenu l’asile et 329 ont obtenu une admission provisoire», relève l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés. Le SEM a prononcé 148 renvois.

La Suisse régulièrement condamnée par le Comité contre la torture

Le 27 septembre, Christophe Clivaz a notamment déposé une interpellation sur les régulières condamnations de la Suisse par le Comité contre la torture des Nations Unies (CAT) — cinq fois en 2022 et 2023 — pour les décisions de renvoi prononcées contre des Érythréennes et Érythréens. Renvois prononcés alors que, dans les faits, ils ne sont pas exécutables, souligne l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR).

Résultat: «Un nombre croissant de personnes se retrouvent à l'aide d'urgence, obligées de vivre dans des situations extrêmement précaires, depuis le durcissement de la pratique des renvois», s'attriste l'OSAR. «On ne les laisse pas s'intégrer, en les laissant dans le flou quant à leur avenir», regrette quant à lui le conseiller national valaisan.

Le Conseil fédéral n'a pas encore répondu à cet élu écologiste.

Le 27 septembre, Christophe Clivaz a notamment déposé une interpellation sur les régulières condamnations de la Suisse par le Comité contre la torture des Nations Unies (CAT) — cinq fois en 2022 et 2023 — pour les décisions de renvoi prononcées contre des Érythréennes et Érythréens. Renvois prononcés alors que, dans les faits, ils ne sont pas exécutables, souligne l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR).

Résultat: «Un nombre croissant de personnes se retrouvent à l'aide d'urgence, obligées de vivre dans des situations extrêmement précaires, depuis le durcissement de la pratique des renvois», s'attriste l'OSAR. «On ne les laisse pas s'intégrer, en les laissant dans le flou quant à leur avenir», regrette quant à lui le conseiller national valaisan.

Le Conseil fédéral n'a pas encore répondu à cet élu écologiste.

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