Nouvel ennemi public
Une experte alerte sur les dangers des microplastiques

La planète croule sous le plastique. 460 millions de tonnes sont produits par année. Et en Suisse? Alors que le sommet sur la pollution plastique vient de s’achever à Ottawa, Blick fait le point avec Sarah Perreard, codirectrice de Earth Action.
Publié: 05.05.2024 à 06:09 heures
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Selon l’ONU, le monde produit chaque année 460 millions de tonnes de plastique. Difficile à visualiser? Imaginez l’équivalent d’un camion poubelle rempli de déchets plastiques se déverser chaque minute dans les océans.

Vous y êtes? Bien. Et au rythme actuel, la production de plastique pourrait encore tripler d’ici à 2060. Un accroissement qui s’explique avant tout par la multiplication des emballages et autres plastiques à usage unique.

Les Suisses, champions de la consommation de plastique

Et la Suisse ne fait pas exception. Bien que la petite Helvétie continue de véhiculer l’image d’un pays propre aux trottoirs ripolinés et aux habitants disciplinés veillant à trier scrupuleusement leurs déchets, sa consommation de plastique laisse à désirer. Pire, elle est l’une des plus élevées au monde. 127 kilos par tête de pipe, par année! Et chaque Suisse laisse dans son sillage 95 kilos de déchets annuels, selon un rapport publié en 2023 par l’ONG OceanCare, une organisation internationale basée en Suisse.

La codirectrice d'Earth Action, Sarah Perreard, alerte sur les dangers des microplastiques
Photo: (KEYSTONE/Alexandra Wey)
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«En Suisse, les gens ont l’impression que parce qu'ils recyclent leurs bouteilles en PET et leurs «Tetra Pak», qu’ils font tout bien»
Sarah Perreard, codirectrice de Earth Action
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«En Suisse, un pays où le pouvoir d’achat reste élevé en comparaison mondiale, on achète et on jette facilement. Les gens ont l’impression que parce qu'ils recyclent leurs bouteilles en PET et puis leurs 'Tetra Pak', qu’ils font tout bien», relève Sarah Perreard, co-directrice d’Earth Action, une organisation de recherche de conseils dans le domaine de la pollution plastique.

Si la Suisse est relativement bonne élève dans sa gestion des déchets — ses taux de recyclage du verre et de l'aluminium sont parmi les plus élevés d'Europe — son importante consommation de plastique l’expose aux conséquences des microplastiques. «Il y a une dizaine d’années, quand la pollution plastique est devenue davantage visible, on ne parlait que des déchets dans les océans, sur les plages ou encore des pailles dans les nez des tortues, note l’experte. Mais petit à petit, on s’est rendu compte que ses déchets se cassent avec le temps, le soleil, les vagues. Pour résumer, ils se rompent en toutes petites parties et créent des microparticules lâchées dans l’environnement». Et mauvaise nouvelle, ces microparticules — jusqu’à 70 plus petites que l’épaisseur d’un cheveu — sont partout.

Le microplastique, le nouvel ennemi public

Dans l’air qu’on respire, l’eau que l’on boit, la nourriture que l’on ingurgite. En Suisse, deux-tiers des microplastiques rejetés dans l’environnement proviennent de l’abrasion des pneus selon l'étude d'Earth Action. «Des particules extrêmement toxiques qui sont rejetées dans l’air et qu’on retrouve dans nos maisons quand on ouvre la fenêtre», déplore Sarah Perreard.

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«Quand on respire, les microplastiques passent dans les poumons, ou le sang. On en a même retrouvé dans le cerveau ou dans les placentas»
Sarah Perreard, codirectrice d'Earth Action
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Ces microplastiques sont également présents dans la peinture, sur des textiles synthétiques qu’on passe à la machine à laver ou dans les microbilles des produits de soins personnels et les cosmétiques. «Quand on respire, les microplastiques passent dans les poumons, le sang. On en a même retrouvé dans le cerveau ou dans les placentas», alerte l’experte.

Sources de microplastiques
Photo: Earth Action

Au sommet contre la pollution plastique d’Ottawa au Canada où Sarah Perreard était présente en tant qu’observatrice, des scientifiques sont venus présenter les derniers résultats de leurs recherches. Plutôt alarmants: «Ils ont démontré que ces particules qui s’infiltrent dans nos cellules ont un impact notamment sur l’agressivité des cancers ou encore sur les taux de fertilité», s’inquiète la codirectrice d’Earth Action.

Et de reprendre: «Nous ne sommes qu’aux balbutiements de la recherche. Il faut en financer davantage pour évaluer les impacts réels de ces microplastiques sur la santé. Des postulats ont d’ailleurs été déposés aux Chambres fédérales à Berne pour la session d’été.»

Si l’experte est consciente qu’il est impossible d’éradiquer complètement le plastique de la surface de la terre, elle plaide pour une chimie plus propre. Et pour cela, il faut à nouveau financer des recherches sur le sujet. «Il est indispensable de saisir ce qui crée des maladies, quelles interactions entre le corps et le plastique mettent la santé en danger. Afin de moins utiliser de plastique, mais de l’utiliser mieux.»

La Suisse à la traîne sur les incitations aux producteurs de plastique

Comment lutter contre le microplastique? En réduisant la production et la génération de déchets. Quand on sait que plus de la moitié de la pollution plastique mondiale est causée par 56 entreprises — Nestlé figure dans le top 5 — autant dire qu’il y a du pain sur la planche. «Dans un grand nombre de pays, les producteurs, distributeurs ou marques doivent payer une taxe pour chaque emballage qu’ils mettent sur le marché, constate l’experte. Ceci incite les entreprises à éco-designer leurs emballages, à les rendre plus légers ou facilement recyclables.» La Suisse, elle, traîne les pieds. «On a bien une taxe au sac, mais pas de mesures contraignantes pour les entreprises qui mettent du plastique en circulation.»

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«En l’absence d’une incitation qui vient de plus haut, la Suisse n’a pas un grand appétit pour l’interdiction du plastique à usage unique»
Sarah Perreard, codirectrice d'Earth Action
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Et si la Suisse commençait par interdire les sacs en plastique à usage unique? «C’est un point qui a été discuté au sommet d’Ottawa, qui devrait figurer dans le traité international contre la pollution plastique, renseigne Sarah Perreard. Je pense que la Suisse s’alignera si la mesure venait à être adoptée. Mais on voit qu’en l’absence d’une incitation qui vient de plus haut, la Suisse n’a pas un grand appétit pour l’interdiction.»

Pourtant, bannir le plastique à usage unique, contraindraient les entreprises à innover et revoir leurs pratiques. «C’est une opportunité pour repenser la circulation, revenir à du réutilisable et relocaliser l’économie, assure la codirectrice d’Earth Action. Passer à des modes consommation différents créent des opportunités économiques pour les PME, les innovateurs, qui vont à leur tour créer des emplois. Et donc cela crée un effet vertueux autant sur l’environnement, la santé que l’économie.» Et de conclure: «Les raisons sont nombreuses pour bien faire les choses, mais on trouve aussi souvent des excuses pour ne pas le faire.»

Au Parlement, un été placé sous le signe du plastique

Et à la session d’été, c’est le Parlement à Berne qui va crouler sous le plastique. Emmenée par la conseillère aux États verte, Céline Vara, cette offensive plastique entend placer la problématique au cœur des débats avec vingt interventions portées par des parlementaires issus des Vert-e-s, du Parti socialiste (PS), mais aussi du Parti libéral-radical (PLR), du Mouvement citoyens genevois (MCG) et de l’Union démocratique du centre (UDC). Pour la sénatrice neuchâteloise: «La pollution pastique n’est pas sujet réservé aux écologistes. Cela nous touche toutes et tous, cela impacte notre santé. Cette problématique doit transcender les frontières partisanes.» Car le plastique n’a plus rien de fantastique.

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