Secteur de la santé en alerte
Les postes intérimaires permettent de gagner plus en travaillant moins

Chaque mois, plus de 300 soignants quittent la profession. Pour ceux qui restent, la solution est le travail temporaire. La raison? Un salaire plus élevé et une charge de travail réduite. Mais cela se fait au détriment des employés fixes et des finances de l'hôpital.
Publié: 12.10.2022 à 06:50 heures
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Dernière mise à jour: 12.10.2022 à 07:06 heures
Carla De-Vizzi

Pénurie de personnel, horaires de travail irréguliers et stress permanent – tout le monde connaît les désavantages d’être infirmier, en tout cas depuis la pandémie. Conséquence: de plus en plus de professionnels quittent leur travail.

Selon l’association professionnelle suisse des infirmières et infirmiers, la situation dans le secteur de la santé se détériore rapidement. «Alors que certains tournent le dos à la profession, environ 300 infirmières et infirmiers par mois, beaucoup se tournent vers le travail temporaire», explique Pierre-André Wagner, responsable du service juridique de l’Association suisse des infirmières et infirmiers, à Blick.

Un meilleur horaire

Au lieu d’être employés de manière fixe, les soignants aident donc à la journée, à la semaine ou même au mois dans différents hôpitaux ou maisons de soins qu’ils ont choisis. Ils sont ainsi mieux payés, mais peuvent aussi déterminer eux-mêmes leurs horaires de travail.

Selon l'Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), la situation dans le secteur de la santé se détériore rapidement.
Photo: imago images/Panthermedia
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Fabienne Kunz, infirmière diplômée, est l’une d’entre elles. «Depuis que je travaille en intérim, je suis beaucoup plus flexible. Je peux assumer les services qui me conviennent et même prendre quelques jours de congé consécutifs», détaille-t-elle à Blick. Pour la Zurichoise, qui travaille depuis douze ans dans les soins, c’est un luxe qu'elle n’aurait jamais pu avoir auparavant.

Jusqu’à 1000 francs de plus

Du point de vue du salaire, le travail temporaire est également lucratif. «En tout et pour tout, je gagne environ 1000 francs de plus – et ce, avec un taux d’occupation plus faible», poursuit l’infirmière. Même s'il faut tenir compte du fait que le 13e salaire est déjà inclus et que l’on cotise moins à sa caisse de pension. Helder Gomes, infirmier diplômé, est du même avis: «A la fin du mois, il me reste toujours plus d’argent que si j’avais travaillé de manière fixe.»

Le modèle semble avoir du succès: le marché de l’intérim est en plein essor. Selon une enquête pas encore publiée de l’association des services infirmiers, Swiss Nurse Leaders, les missions temporaires ont augmenté de 60% depuis avant la pandémie. Pierre-André Wagner n’est guère surpris par cette évolution: «Après le oui à l’initiative sur les soins, de nombreuses infirmières et infirmiers attendaient des mesures immédiates. Il ne s’est pratiquement rien passé. Maintenant, les soignants en tirent les conséquences et souhaitent travailler temporairement.»

Si l’hôpital était un chantier, la Suva serait à la porte

Fabienne Kunz n’est pas du tout étonnée de cette évolution: «Il est toujours courant que les soignants travaillent parfois sept jours d’affilée ou qu’ils prennent directement l’équipe du matin après l’équipe du soir.» Elle ne connaît quasiment plus personne qui a un emploi fixe. «Ceux que je connais travaillent soit temporairement, soit ont complètement changé de poste», assure-t-elle.

Claudia Hartmann, infirmière diplômée, confirme que les conditions de travail sont inacceptables. «Si un hôpital était un chantier, la Suva serait venue le fermer depuis longtemps. Mais dans les soins, personne ne le fait.»

Comment faire lorsque c’est insupportable?

Il ne faut donc pas s’étonner de l’exode dans le domaine des soins. «Le système de santé est plus que responsable de cette situation. On aurait eu des décennies pour améliorer les conditions», déclare Claudia Hartmann.

La conclusion est simple: «Si le travail des infirmières et infirmiers salariés n’est pas rendu plus attractif, les gens continueront à l’abandonner, déclare Helder Gomes. Et c’est dommage, car la plupart disent que le métier en soi leur plaît, mais que les conditions ne sont pas adaptées.»

Les temporaires coûtent cher aux hôpitaux

Selon Pierre-André Wagner, l’augmentation du nombre de collaborateurs temporaires est problématique. En effet, si leur proportion dépasse un certain niveau, les employés fixes deviennent des bouche-trous: «Les temporaires choisissent quand ils travaillent et les employés fixes doivent assumer le reste – cela pourrait entraîner une frustration supplémentaire.»

Un autre inconvénient serait d’ordre financier. «Les temporaires sont beaucoup plus chers que les employés fixes. L’hôpital doit non seulement payer l’entreprise de travail temporaire, mais aussi prendre en charge le salaire plus élevé.» Selon lui, cela entraîne rapidement des coûts supplémentaires de plusieurs milliers de francs pour l’établissement, et ce chaque mois par collaborateur temporaire.

Deux des plus grands hôpitaux suisses confirment que le nombre de collaborateurs temporaires est en augmentation. «La part des engagements temporaires augmente aussi depuis un certain temps à l’USZ», écrit Manuela Britschgi de l’hôpital universitaire de Zurich. L’hôpital de l’Île à Berne a pareillement engagé un peu plus de personnel temporaire ces derniers mois.

Bien que l’on ne puisse pas se passer des temporaires en raison du manque de personnel qualifié dans toute la Suisse, la situation est parfois pesante pour les équipes. «Les changements fréquents entraînent un surcroît de travail, les infirmières et infirmiers travaillant à court terme dans le service ne s’intègrent pas de la même manière dans l’équipe et n’assument guère de tâches supplémentaires», explique l’USZ. De plus, les connaissances spéciales et les processus pour les situations de soins complexes dans un hôpital universitaire font parfois défaut.

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