Un acquis «sociopolitique» flanche
La retraite à 60 ans des travailleurs du bâtiment en danger

Les travailleurs du bâtiment craignent la votation du 3 mars sur l'initiative des jeunes libéraux-radicaux sur les retraites. Si celle-ci passe, cela signifiera la fin de la retraite anticipée à 60 ans.
Publié: 05.01.2024 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 05.01.2024 à 06:55 heures
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Ruedi Studer

Il y a tout juste six mois, les syndicats et les entrepreneurs se tapaient dans le dos pour célébrer une réussite commune: le 20e anniversaire de la fondation FAR pour la retraite flexible dans le secteur principal de la construction. Depuis 2003, les constructeurs de routes, les maçons ou les ferrailleurs peuvent, grâce à cette solution de partenariat social, prendre leur retraite à 60 ans déjà par le biais de déductions salariales supplémentaires.

Une manière de tenir compte de la forte charge physique des ouvriers du bâtiment et d'atténuer les troubles qui en découlent à la retraite. Les syndicats évoquent un «acquis sociopolitique» et les entrepreneurs louent également ce «modèle pionnier». Plus de 28'000 travailleurs y ont eu recours jusqu'à présent.

«A partir de 50 ans, c'est de plus en plus difficile»

L'un d'entre eux est le Bernois Peter Leuenberger. À 64 ans, il a travaillé pendant plus de quatre décennies dans le bâtiment, en dernier lieu comme contremaître dans l'entreprise Marti AG. Son grand-père et deux de ses oncles travaillaient déjà dans le bâtiment, et lui-même prenait déjà part à des chantiers lorsqu'il était adolescent. Il est resté fidèle au secteur toute sa vie, à l'exception d'une interruption d'un an en tant que chauffeur.

La charge physique dans le bâtiment est lourde. C'est pourquoi il existe depuis 20 ans un modèle de préretraite à partir de 60 ans.
Photo: PIUS KOLLER
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Depuis 2019, il est certes retraité FAR, mais il n'est pas rare de le croiser sur des chantiers temporaires à l'hôpital de l'Île de Berne. Il est par exemple actuellement occupé à des travaux de transformation dans les salles d'opération. «Je travaille ainsi trois ou quatre jours par mois, cela me fait tout simplement plaisir», affirme-t-il.

Il est néanmoins heureux de prendre une retraite anticipée. «Même avec des machines, c'est toujours dur de travailler dans le bâtiment.» L'humidité et le froid, en particulier, donnent du fil à retordre aux ouvriers, explique Peter Leuenberger. «On le ressent de plus en plus dans les os. À partir de 50 ans, c'est de plus en plus difficile.»

Chez lui aussi, le travail s'est fait sentir dans son corps. «J'ai des pincements ici et là, par exemple des douleurs aux épaules et aux articulations», rapporte le retraité. C'est surtout en hiver que les rhumatismes se font sentir. «Il y a eu des jours où je pouvais à peine appuyer sur l'embrayage dans ma voiture de fonction à cause de la douleur.»

Mais beaucoup de ses collègues ont des problèmes de santé plus importants que lui, souligne-t-il. Ce syndicaliste est d'autant plus préoccupé par le fait que l'âge de la retraite pourrait à nouveau augmenter pour les employés de bureau.

Une initiative populaire qui a des conséquences

En cause, l'initiative sur les retraites des jeunes libéraux-radicaux, qui sera soumise aux urnes le 3 mars. Celle-ci met en danger la retraite des ouvriers du bâtiment à 60 ans. En cas de oui, l'âge de la retraite passerait progressivement de 65 à 66 ans d'ici à 2033, puis serait lié à l'espérance de vie: il augmenterait de 0,8 mois par mois d'espérance de vie supplémentaire. Vers 67, 68 ou plus. De manière automatique.

L'âge de la retraite FAR serait ainsi également revu à la hausse. Car la convention collective de travail stipule expressément que la période de prestation est «limitée aux cinq dernières années précédant l'âge ordinaire de la retraite AVS». Si l'initiative sur les retraites passe, la limite pour les travailleurs du bâtiment passera donc également à 61, 62 ans ou plus.

«Cela va totalement à l'encontre de l'intention initiale», déplore Nico Lutz, responsable du secteur de la construction du syndicat Unia. Avant l'introduction du modèle FAR, seul un cinquième environ des travailleurs de la construction aurait atteint l'âge de la retraite en bonne santé, le reste ayant quitté son emploi avant cette échéance. Environ un cinquième serait décédé ou aurait fini à l'AI, précise Nico Lutz. 40% auraient changé de branche en raison de la charge de travail. «A 60 ans, de nombreux ouvriers du bâtiment en ont assez physiquement, ils ne peuvent pas supporter un ou deux ans de plus», indique-t-il encore.

La préretraite menacée dans d'autres branches

Les syndicats se mobiliseront ainsi sur un large front contre l'initiative des jeunes libéraux-radicaux. Peter Leuenberger s'engagera lui aussi. Il faut dire qu'il n'y a pas que dans le bâtiment que la retraite anticipée est menacée. Les règles seraient également remises en question dans d'autres branches. Ainsi, le secteur de la peinture et de la plâtrerie, celui du marbre et du granit ou encore le second œuvre en Suisse romande connaissent des sorts similaires. «Dans ces branches, un âge de la retraite plus élevé est tout simplement déconnecté de la réalité», reproche Nico Lutz.

Ce n'est pas l'avis de la Société suisse des entrepreneurs, qui soutient l'initiative sur les retraites malgré les conséquences pour le modèle FAR. Ceci par responsabilité sociale globale, afin de garantir la prévoyance vieillesse à moyen terme, selon le vice-directeur Marcel Sennhauser.

Selon ce dernier, le relèvement progressif de l'âge de la retraite, associé à la récente réforme de l'AVS, permettrait d'assurer l'équilibre financier de celle-ci jusqu'en 2045. Il fait en outre remarquer qu'aujourd'hui déjà, certains salariés continueraient à travailler au-delà de 60 ans, voire au-delà de l'âge de la retraite. 

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