Un élu socialiste valaisan au front
«Déclarons la guerre aux riches, pas aux vieux hommes blancs!»

Après la votation sur la réforme de l'AVS, la conseillère nationale socialiste Tamara Funiciello avait «déclaré la guerre aux hommes blancs, riches et âgés». «Déçu», son camarade, le député-suppléant valaisan Valentin Aymon, lui a écrit une lettre ouverte. Interview.
Publié: 19.10.2022 à 05:50 heures
|
Dernière mise à jour: 20.10.2022 à 00:51 heures
AmitJuillard.png
Amit JuillardJournaliste Blick

Son «chère camarade» annonce en fait une lettre ouverte fratricide, ou presque. Ce 16 octobre, le socialiste valaisan Valentin Aymon attaque Tamara Funiciello, conseillère nationale bernoise du même parti, sur la place publique. Motif: il a été «déçu» par une déclaration de sa collègue. Au lendemain de l’acceptation par le peuple du rehaussement de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans, l’ancienne présidente de la Jeunesse socialiste avait «déclaré la guerre aux hommes blancs, riches et âgés», accusés d’avoir fait pencher la balance. Les sondages post-électoraux montrent en tout cas un clivage de genre, en plus d’un Röstigraben marqué: près de deux hommes sur trois (65%) ont soutenu cette réforme le 25 septembre, contre 37% des femmes.

Pour Valentin Aymon, Tamara Funiciello se trompe de cible: le résultat des urnes n’est pas une question de genre, de couleur de peau ou d'âge, mais de classes sociales. Ce sont avant tout les «'riches', des 'privilégiés', des 'possédants', des 'bourgeois'» — femmes et hommes, Noirs et Blancs, vieux et jeunes — qui ont soutenu le projet AVS 21 et qu’il faut combattre, développe le conseiller communal (exécutif) de Savièse, commune de 8200 âmes, et député-suppléant au Grand Conseil. Dans son texte publié sur le site Peuple.vs, média très proche du Parti socialiste du Valais romand (PSVR), l’élu de 29 ans déplore «l’individualisation des luttes» — comprenez, cette gauche qui se concentre sur le féminisme, l’antiracisme et la lutte contre les discriminations — aux dépens de la lutte anticapitaliste et des classes ouvrières, des pauvres.

Diffusée sur son profil Facebook, sa missive fait vivement réagir, au sein de son propre camp. Dans cette interview accordée à Blick, le syndicaliste s’explique mais persiste: la gauche doit «retrouver le moyen de parler aux petites gens, qui ont tendance à glisser vers l’UDC» en empoignant les questions sociales, même «s’il est plus facile d’aller conquérir un nouvel électorat, plus intellectuel, en mettant l’accent sur les questions de société».

«D'une certaine manière, je me suis senti visé, oui, confie Valentin Aymon, député-suppléant au Grand Conseil valaisan. J'ai distribué des tracts dans les rues et beaucoup travaillé pour mener campagne contre cette réforme de l'AVS. C'est un peu bête de se retrouver dans le camp des méchants juste parce qu'on est un homme blanc.»
Photo: KEYSTONE/PETER SCHNEIDER/DR

Valentin Aymon, est-ce devenu difficile d’être un homme blanc cishétéro au sein du Parti socialiste (PS)?
Vous êtes un peu dur. Je ne dirais pas que c’est difficile. Le PS est ouvert à tout le monde, depuis longtemps. Mais c’est vrai qu’il y a eu un changement de ligne. Il y a toute une frange de nos membres qui met l’accent sur les différences — entre les hommes et les femmes, les Blancs et les Noirs, les hétéros et les homos, sur la défense des minorités plutôt que sur la défense des plus pauvres. Il y a une vraie tendance à l’individualisation des luttes, surtout chez les plus jeunes. Et à la fin, on privilégie la forme au détriment du fond.

Privilégier la forme, c’est ce qu’a fait votre camarade de parti, la conseillère nationale bernoise Tamara Funiciello lorsque, au lendemain de l’acceptation par le peuple du rehaussement de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans, elle a «déclaré la guerre aux hommes blancs, riches et âgés»?
Oui. Elle a utilisé des mots pour choquer l’opinion publique. Alors qu’au fond, elle aurait aussi pu parler des femmes blanches de droite, qui ont milité pour cette réforme de l’AVS. Le résultat catastrophique de cette votation n’est ni une question de genre ni une question d’âge. Dans notre société, c’est parce qu’on est riche qu’on a du pouvoir et parce qu’on est pauvre qu’on est oppressé. Les classes sociales n’ont ni genre, ni couleur de peau, ni âge.

Sa prise de position durant cette manifestation à Berne vous a choqué?
J'ai été déçu. Moi, j’aurais déclaré la guerre aux riches et à la grande bourgeoisie, qui ne se soucient pas de leur prochain, pas aux vieux hommes blancs! Il faut se battre contre un état de fait, pas contre des personnes parce qu’elles sont qui elles sont. Prenons Daniel Vasella (ndlr: ancien directeur de l’entreprise pharmaceutique Novartis): c’est pour ses gestes et son idéologie que nous devons le combattre, pas parce que c’est un homme blanc.

Vous vous êtes senti visé par les propos de Tamara Funiciello?
Pas complètement, parce que je viens d’un milieu ouvrier et paysan. Mon père est maçon, ma mère infirmière. Mais d’une certaine manière, je me suis senti visé, oui. J’ai distribué des tracts dans les rues et beaucoup travaillé pour mener campagne contre cette réforme. C’est un peu bête de se retrouver dans le camp des méchants juste parce qu’on est un homme blanc.

On pourrait aussi comprendre la déclaration de votre camarade comme une sorte d’allégorie. Ne sont-ce pas justement les hommes, plutôt âgés, des classes sociales élevées et non racisés qui votent le plus et décident donc de l’issue des votations populaires?
Ce sont les personnes qui ont de l’argent, les membres de la grande bourgeoisie, qui ont aussi le pouvoir et qui influencent le plus la population, notamment à travers des médias de droite puissants comme la «NZZ». Il faut se battre contre la concentration du pouvoir dans les mains de ce petit 1% qui possède plus que 99% des gens. Encore une fois, ce n’est pas une question d’âge ou de couleur de peau: il y a aussi de vieux hommes blancs qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois.

Pourquoi publier une lettre ouverte et laver votre linge sale en public plutôt que de rechercher le dialogue avec votre collègue de parti?
C’est une bonne question! (Il rit) De manière générale, il n’est pas toujours facile d’entrer en contact avec une conseillère nationale. D'autre part, autour de moi, beaucoup de camarades sont de mon avis: je voulais donc montrer que, au sein du PS, on n’est pas toujours d’accord. C’est sain. Et je ne l’ai pas crucifiée, non plus.

Vous préféreriez que vos collègues de gauche ne s’occupent pas de féminisme, de racisme ou de transphobie?
Non. La gauche doit s’occuper de ces problèmes et lutter contre les discriminations parce que personne d’autre ne le fait. Je ne reproche pas à mes camarades d’en faire trop d’un côté, je leur reproche d’en faire trop peu de l’autre. Il ne faut pas abandonner les questions sociales et commettre les mêmes erreurs qu’en France. Même s’il est plus facile d’aller conquérir un nouvel électorat, plus intellectuel, en mettant l’accent sur les questions de société. Il faut mener les deux combats de front. Sans oublier qu’il y a deux combats. Nous devons retrouver le moyen de parler aux petites gens, qui ont tendance à glisser vers l’UDC.

Comment?
Par exemple, à la suite de cette votation sur l’AVS, il faut s’attaquer aux inégalités. Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes? Pourquoi les professions dites féminines sont-elles sous-payées? Pourquoi des femmes de ménage qui travaillent le soir dans les entreprises sont-elles exploitées? Il faut aussi continuer de se battre pour une meilleure répartition des richesses à travers l’impôt, contre les cadeaux fiscaux faits aux riches, pour l'accès à la santé, au logement et à la formation. Ça, ça parle aux gens.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la