Un gros créancier sort la sulfateuse
«La façon dont nous sommes traités par Vibiscum Festival est inadmissible!»

Vincent Albasini, CEO d'Avesco Rent, entreprise leader en Suisse dans la location de machines, réclame près de 150'000 francs au Vibiscum Festival qui a annulé sa 3e édition. Interview de l'entrepreneur qui dézingue William von Stockalper, boss de l'événement «mort-né».
Publié: 24.05.2024 à 16:54 heures
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Dernière mise à jour: 24.05.2024 à 16:55 heures
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Avesco Rent. Le nom de cette entreprise ne vous dit probablement rien. Pourtant, presque aucun festival digne de ce nom ne se passe de ses services en Suisse. «Nous ne sommes jamais sur le devant de la scène, mais toujours derrière», glisse à Blick son CEO Vincent Albasini.

La société, qui emploie environ 150 personnes, est leader dans la location de machines et d’équipements dans tout le pays. Son savoir-faire, aussi solide que sa réputation, l’a amenée à œuvrer pour les infrastructures de la Fête des Vignerons, du Tour de Romandie, de la course Internationale de ski du Lauberhorn à Wengen (BE) ou encore… du Vibiscum Festival, à Vevey (VD).

Pour le coup, vous avez certainement dû entendre parler de ce dernier grand raout tourné vers les musiques urbaines, dont la 3e édition a été annulée avec fracas le 16 mai, à la suite d’un flop en billetterie. Conséquence: le jeune festival dirigé par William von Stockalper, président du Vevey-Sports, est «mort-né», selon les mots assassins de Michael Drieberg, boss de Live Music Production et de Sion sous les étoiles.

Vincent Albasini, CEO d'Avesco Rent, assure à Blick qu'il fera tout ce qu'il peut «pour être payé» par Vibiscum Festival.
Photo: GABRIEL MONNET

Pire! L’ardoise laissée derrière la grand-messe musicale aux ambitions jugées démesurées par beaucoup serait vertigineuse, malgré des soutiens prestigieux tels que le géant Nestlé et la Fondation Casino Barrière Montreux. Plusieurs prestataires, dont Avesco Rent, n’auraient pas été payés, révélions-nous. Au moins un artiste non plus, dévoilait pour sa part «24 heures». Le plus criant? Les quelque 9000 festivaliers à avoir acheté un billet — d’après l’organisation — ne sont toujours pas sûrs d’être remboursés à l’heure où ces lignes sont écrites.

Pour la première fois, Vincent Albasini raconte sa vérité. L’entrepreneur, au naturel pudique, accepte de sortir de sa retenue. Celui dont l’accent valaisan ne cache pas son émotion se mouille pour défendre une branche qu’il dit salie «par les agissements d’un homme égotique» et pour qu’un tel fiasco ne se reproduise plus jamais. Interview sans langue de bois.

Vincent Albasini, vous êtes le CEO d’Avesco Rent et vous réclamez près de 150’000 francs à Vibiscum Festival. Que s’est-il passé?
Pour comprendre, il faut remonter à sa première édition, en 2022. Notre entreprise est active depuis plus de 20 ans dans l’événementiel. Vibiscum Festival nous a mandatés pour la fourniture d’espace provisoire et de machines de levage. Comme nous avions été payés, nous avions accepté de repartir pour la seconde édition. C’est là qu’il y a eu des turbulences.

Lesquelles?
Malgré des stars apparemment achetées à grand prix (ndlr: le rappeur Orelsan aurait notamment été payé 500’000 francs pour venir à Vevey plutôt qu’à Festi’neuch, ce que dément Vibiscum Festival), l’événement n’a pas attiré autant de monde qu’espéré. Le jeu de la surenchère s’est retourné contre lui. Derrière, nous n’avons pas été payés, malgré des promesses écrites. Nous n’avons par conséquent pas eu d’autre choix que de mettre l’organisation aux poursuites.

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«C’est la première fois que nous nous trouvons face à quelqu’un, ici William von Stockalper, qui se cache et refuse de trouver des solutions»
Vincent Albasini, CEO d'Avesco Rent
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Vous travaillez avec les plus grandes structures depuis plus de deux décennies. Étiez-vous déjà arrivé à une telle extrémité?
Non, jamais. Bien sûr, nous avons déjà travaillé avec des manifestations qui ont eu des difficultés. Mais c’est la première fois que nous nous trouvons face à quelqu’un, ici William von Stockalper, qui se cache et refuse de trouver des solutions.

Vous n’êtes plus en contact avec lui?
Non. Il ne répond ni à nos appels, ni à nos courriers. Je n’ai jamais vu ça. La façon dont nous sommes traités est inadmissible!

Vous peinez à contenir votre colère…
Vous savez, je ne comptais pas accepter votre demande d’interview. Nous sommes au service des autres et par définition dans leur ombre, ce qui nous va très bien. Mais quand j’ai lu les déclarations de ce Monsieur dans la presse, j’ai changé d’avis.

Vous faites allusion à un interview de «24 heures» dans lequel William von Stockalper dit en substance que vous n’êtes pas sa priorité. Cela vous fait hurler?
Les agissements de cet homme égotique salissent toute la profession. Par ailleurs, en disant qu’il ne sait pas si les détenteurs d’un billet seront remboursés, il menace le lien de confiance entre les clients et les professionnels de l’événementiel. C’est dramatique. La branche, dans son ensemble, doit faire entendre sa voix et rassurer le public. C’est ce que je veux faire aujourd’hui.

Vincent Albasini est à la tête d'une entreprise qui travaille dans l'événementiel depuis plus de 20 ans. Pourtant, il assure que c'est la première fois qu'il vit pareille situation.
Photo: GABRIEL MONNET

Si vous pouviez faire passer un message à William von Stockalper, quel serait-il?
Je lui dirais la même chose que Michael Drieberg sur les plateformes de Blick: on ne peut pas fanfaronner quand tout va bien et se défiler quand le bateau coule. Il doit assumer!

Que représentent pour vous les 150’000 francs que vous réclamez?
C’est une somme importante. Ce qui me chagrine, c’est de penser aux efforts de nos collaborateurs. Ils se sont investis pour du vent. Aujourd’hui, avec notre service juridique, nous sommes déterminés à ne pas nous laisser faire. Toutes les options sont sur la table pour être payés.

À votre connaissance, d’autres entreprises ont aussi des factures impayées?
Oui, mais je ne sais pas combien. Certaines m’ont dit qu’elles agiraient également contre le festival.

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«Je me pose une question fondamentale: où est l’argent?»
Vincent Albasini, CEO d'Avesco Rent
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Vous estimez l’ardoise totale de Vibiscum Festival à combien?
Je n’ai pas toutes les cartes en main. Mais elle est conséquente, c’est certain.

Vous parlez «d’une sorte de jeu de l’avion» pour qualifier le business plan de l’événement. Vous pouvez expliquer?
Je me pose une question fondamentale: où est l’argent? William von Stockalper s’est souvent félicité de compter Nestlé comme partenaire principal ou encore la Fondation Casino Barrière Montreux comme donateur. Le festival a donc reçu de l’argent. Mais pour faire quoi?

Quelle est votre lecture?
On peut imaginer que le festival était dans une fuite en avant et qu’il essayait d’éponger ses dettes avec les entrées qui devaient servir à financer la future édition. Comment expliquer sinon qu’il n’est pas capable de promettre le remboursement des billets pour un festival qui n’aura pas lieu?

En lieu et place de la grande scène du Vibiscum Festival qui aurait dû occuper la place du marché de Vevey, des voitures attendent leur propriétaire, comme d'habitude.
Photo: GABRIEL MONNET

Selon vous, l’image prestigieuse des sponsors aurait en quelque sorte à calmer les ardeurs des créanciers dont vous faites partie. Sans Nestlé et la Fondation Casino Barrière Montreux, auriez-vous vraiment dégainé plus tôt?
Cela ne sert à rien d’avoir des regrets. Mais si c’était à refaire, nous aurions lancé nos poursuites en octobre dernier et non pas début mai. Je me dis que cela aurait pu changer la donne. Peut-être que si le festival avait fait l’objet de ce genre de procédures, Nestlé et les autres se seraient posé des questions. Mais nous n’avons pas agi précisément parce qu’il y avait Nestlé et les autres. Leur image nous a rassurés. C’est le serpent qui se mord la queue.

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«On peut toutefois se demander si ces partenaires de renom n’ont pas fait preuve d’un peu de légèreté»
Vincent Albasini, CEO d'Avesco Rent
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Vous en voulez à Nestlé et aux autres sponsors bling-bling?
Non, je pense que tout le monde s’est fait trahir. On peut toutefois se demander si ces partenaires de renom n’ont pas fait preuve d’un peu de légèreté avant d’affilier leur nom au naufrage du Vibiscum Festival.

Dans le fond, n’êtes-vous pas en train de reprocher à un organisateur d’avoir eu le courage de ses ambitions? Ce n’est pas à vous que l’on va apprendre que l’événementiel est un monde risqué, où beaucoup se cassent les dents…
Il est vrai que c’est un petit monde, où tout le monde se connaît, et dans lequel on ne met pas un orteil si on a peur du risque de faillite. Mais là, le problème, c’est le comportement irresponsable d’un organisateur omnipotent qui ne sait pas ce qu’il fait. À nous, professionnels, de dénoncer cette situation et d’en tirer les leçons.

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