Un terrain à 62 millions de francs
Conflit d'intérêts à Prilly? Christelle Luisier se défend vigoureusement!

Tancée par la Municipalité de Prilly à la suite des révélations de Blick concernant l'affaire du terrain à 62 millions de francs, la présidente du Conseil d'État vaudois Christelle Luisier Brodard assure ne pas avoir manqué de transparence. Interview cash.
Publié: 29.08.2024 à 13:59 heures
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Dernière mise à jour: 30.08.2024 à 09:37 heures
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

«Conflit d’intérêts» or not «conflit d’intérêts»? À Prilly, dans l’Ouest lausannois, Commune, Canton et acheteurs privés s’écharpent depuis des mois autour d’un terrain à 62 millions de francs. Alors que diverses procédures sont en cours, Blick a remarqué que Christelle Luisier Brodard, présidente du Conseil d’État vaudois, a siégé au sein du conseil de fondation d’Equitim, l’un des acquéreurs évincés par la Ville qui a usé de son droit de préemption pour mettre la main sur la parcelle tant convoitée.

La Municipalité (exécutif) nous assure avoir découvert avec nos questions cette ancienne casquette. Et tombe des nues: «Ces liens nouvellement mis à jour s’ajoutent à un contexte donnant déjà un sentiment de partialité, dès lors que le Conseil d’État a statué sur un recours déposé par le Parti libéral-radical (PLR), l’Union démocratique du centre (UDC) et Le Centre, représentés en son sein. Cela apparaît d’autant plus problématique que le Conseil d’État a donné raison aux partis politiques alors même qu’il avait reconnu leur absence de qualité pour recourir, ce qui aurait dû conduire à une non entrée en matière.»

Confrontée à la prise de position courroucée des autorités locales, la conseillère d’État PLR en charge du Logement conteste vigoureusement par écrit tout «conflit d’intérêts». Elle réfute par ailleurs avoir manqué de transparence dans cette affaire et confie être interpellée par «le manque de confiance à l’égard du gouvernement vaudois» manifesté par l’Exécutif de Prilly. Interview.

Christelle Luisier Brodard, présidente du Conseil d'État vaudois, nie tout «conflit d'intérêts» et estime par ailleurs ne pas avoir manqué de transparence dans l'affaire du terrain à 62 millions de francs de Prilly.
Photo: Keystone

Christelle Luisier Brodard, n’y a-t-il pas un conflit d’intérêts dans l’affaire du terrain de Prilly à 62 millions de francs puisque avant de représenter l’État et ses intérêts, vous avez siégé au sein du conseil de fondation d’Equitim, l’un des acheteurs aujourd’hui mécontents?
Je ne suis plus membre du conseil de fondation depuis plus de quatre ans. Évoquer un conflit d’intérêts me paraît inopportun. Par ailleurs, et c’est très important, dans le cas de Prilly, le Conseil d’État — et non Christelle Luisier Brodard — n’a pas statué sur l’exercice du droit de préemption par la commune, mais sur une décision du Conseil communal autorisant la commune à le faire, une décision qui a fait l’objet d’un recours au motif que le quorum n’était pas atteint au moment du vote du conseil. Après examen de la situation, le gouvernement a admis ce recours qui portait bien sur la validité du vote et non sur l’exercice d’un droit.

Droit de préemption, définition

Dans le canton de Vaud, le droit de préemption permet, depuis 2020, aux communes situées dans des régions en pénurie de logements la possibilité d’acquérir de manière prioritaire — donc de force — un bien-fonds (bâti ou non bâti) sur le point d’être vendu à un privé pour développer des logements d’utilité publique (LUP). Il ne s’agit pas d’une expropriation, mais d’un achat respectant les conditions fixées entre le vendeur et l’acheteur initialement prévu. «La loi ne fait aucune distinction entre les droits à bâtir affectés à l'habitation, à l'industrie, à l'artisanat ou aux constructions et installations publiques, précisent les autorités sur leur site internet. Le moment déterminant est celui de la vente.»

Dans le canton de Vaud, le droit de préemption permet, depuis 2020, aux communes situées dans des régions en pénurie de logements la possibilité d’acquérir de manière prioritaire — donc de force — un bien-fonds (bâti ou non bâti) sur le point d’être vendu à un privé pour développer des logements d’utilité publique (LUP). Il ne s’agit pas d’une expropriation, mais d’un achat respectant les conditions fixées entre le vendeur et l’acheteur initialement prévu. «La loi ne fait aucune distinction entre les droits à bâtir affectés à l'habitation, à l'industrie, à l'artisanat ou aux constructions et installations publiques, précisent les autorités sur leur site internet. Le moment déterminant est celui de la vente.»

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De quand à quand avez-vous siégé au sein du conseil de fondation d’Equitim?
Dès sa création au printemps 2015 et jusqu’au 10 mars 2020, date à laquelle ma démission a pris effet, soit peu après mon élection au Conseil d’État en février 2020 et donc avant mon entrée en fonction au gouvernement.

Pourquoi y avoir siégé?
La Fondation Equitim a été créée dans le but de rapprocher les communes disposant de terrains constructibles et des investisseurs, notamment institutionnels, avec l’objectif commun de créer des logements accessibles pour la classe moyenne, soit à des loyers inférieurs aux prix du marché, et notamment pour que les jeunes souhaitant rester vivre dans leur commune puissent le faire. Cette démarche appuyée sur des partenariats publics-privés m’intéressait en tant que syndique de Payerne pour faire le lien entre la fondation et les communes vaudoises.

Pourquoi avoir quitté ce conseil de fondation?
J’ai évidemment quitté le conseil de fondation en raison de mon élection au gouvernement cantonal.

Comprenez-vous que, dans le cas d’espèce, l’enchaînement de vos deux casquettes interroge?
Il y a l’avant et l’après élection au Conseil d’État. J’ai un certain parcours professionnel et politique, j’ai donc porté et déposé un certain nombre de casquettes au fil de mon chemin. N’est-ce pas la réalité de très nombreuses personnes, en politique ou non?

«
«Je laisse à la Municipalité la responsabilité de ses propos»
Christelle Luisier Brodard, présidente du Conseil d'État vaudois
»

Mais visiblement, la Municipalité de Prilly n’était pas au courant de votre ex-fonction au sein d’Equitim avant que Blick ne la contacte. Par transparence dans cette affaire, n’auriez-vous pas dû la déclarer?
En quoi aurais-je manqué de transparence? Je ne suis plus membre du conseil de fondation Equitim depuis le 10 mars 2020. De plus, je le répète, la décision rendue par le gouvernement vaudois dans le cas de Prilly porte sur le respect de la loi sur les communes, et non de la loi sur la préservation et la promotion du parc locatif qui régit le droit de préemption.

Plus généralement, comment réagissez-vous à la déclaration de la Municipalité de Prilly qui souligne un «sentiment de partialité» et dénonce une décision du Conseil d’État qui n’aurait pas été prise avec «toute la hauteur attendue»?
Je laisse à la Municipalité la responsabilité de ses propos. J’y perçois toutefois un certain manque de confiance à l’égard du gouvernement vaudois et de nos institutions. Cela m’interpelle.

Êtes-vous sereine dans l’attente de la décision du Tribunal fédéral?
La procédure est en cours, je ne la commenterai pas par respect des institutions et de la séparation des pouvoirs.

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