Une asso de victimes critique le choix du Pape
Saint-Maurice: «Ceux qui ont le pouvoir dans l'Église veulent le garder»

Un chanoine du Grand-Saint-Bernard surveillera bientôt ceux de Saint-Maurice. Une décision du Vatican qui laisse songeur des catholiques romands, des associations de victime et même le principal intéressé.
Publié: 30.11.2023 à 16:57 heures
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Dernière mise à jour: 30.05.2024 à 15:05 heures
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Etienne DamanJournaliste Blick

Il est des choix qui tiennent parfois du mystère. La nomination, ce mardi 28 novembre, de Jean-Michel Girard comme administrateur apostolique à l'abbaye de Saint-Maurice fait partie de cette catégorie-là. Quelles raisons ont bien pu pousser le Vatican à nommer l'ancien prévôt du Grand-Saint-Bernard à ce poste? Le profil surprend. Le choix interroge… à commencer par Jean-Michel Girard lui-même. 

Dans une interview accordée à la RTS mercredi, l'homme de foi se confie: «Je ne sais pas qui ils avaient sur leur liste. J'aurais bien préféré ne pas avoir besoin de le faire. Mais je le ferai pour leur rendre service.» Des mots pas vraiment de nature à rassurer les membres de l'abbaye de Saint-Maurice. 

L'institution est traversée par un véritable séisme depuis quelques semaines et les révélations par les médias de cas d'abus sexuels en son sein. Ce mercredi encore, le Ministère public valaisan annonçait une dizaine de signalements concernant de «potentiels abus liés à l'abbaye ou au milieu ecclésial». Saint-Maurice avait besoin d'un roc sur lequel s'accrocher. C'est finalement un homme au parcours controversé qui entrera en fonction. 

Dans une intervention pour la RTS, le chanoine a avoué: «Je ne sais pas qui ils avaient sur leur liste. J'aurais bien préféré ne pas avoir besoin de le faire.»

Un choix «troublant»

Alors prévôt du Grand-Saint-Bernard, Jean-Michel Girard a lui-même été confronté à des affaires d'abus au sein de l'institution qu'il dirigeait. En 2022, il avait été contraint de présenter ses excuses après avoir célébré une messe en présence d'un membre de sa congrégation impliqué dans un cas de pédophilie. 

En 2023 encore, deux chanoines impliqués dans des affaires d'abus avaient à leur tour suscité la controverse. Leur présence au sein de la congrégation lors de l'élection d'un nouveau prévôt avait «outré» une victime, révélait au moment des faits «Le Nouvelliste», ternissant encore un peu l'image de Jean-Michel Girard.

«Beaucoup ne comprennent pas la décision du pape», glisse à Blick un observateur de la vie catholique romande. Témoin de plusieurs discussions entre des acteurs de l'Église en Valais, il affirme que «certains reprochent [à Jean-Michel Girard] d'être quelqu'un de froid, en décalage avec les lignes plus progressistes, et éloigné des préoccupations des jeunes qui s'engagent aujourd'hui dans la vie catholique.» Comment interprètent-ils ce choix du pape? «Ils trouvent cela troublant.»

«Ceux qui ont le pouvoir veulent le garder»

Jacques Nuoffer, président du Groupe de soutien aux abusé-e-s dans une relation d’autorité religieuses (SAPEC), se montre, lui aussi, dubitatif quant à cette nouvelle nomination: «Quand on s'arrête sur ses antécédents, on voit que son comportement n'a pas toujours été clair, notamment vis-à-vis des abuseurs.» L'épisode illustre bien que le grand nettoyage des arrières boutiques de l'Église catholique n'est pas encore arrivé.

Un constat partagé par le président du Groupe SAPEC: «Il aurait été nettement plus intéressant pour Saint-Maurice de pouvoir compter sur quelqu'un de plus intègre.» Un profil laïque, par exemple? «Pas forcément», répond-il. «On peut comprendre que l'institution cherche quelqu'un de la même Église. Certains prêtres ont déjà fait du bon travail. Je pense notamment à Mgr Martin Werlen qui avait lancé une enquête en 2011 à Einseideln et appelé les anciens élèves à venir témoigner ou écrire en cas d'abus.» En effet, l'ancien Abbé avait lancé cette procédure alors que quinze moines y avaient commis des agressions durant plusieurs décennies.

«Le pape aurait pu faire appel à un profil venant de l'extérieur, comme un prêtre français par exemple», ajoute Jacques Nuoffer. Pour lui, le problème est plus vaste: «Il faudrait que l'Église puisse se transformer, remettre en question le célibat des prêtres et le pouvoir donné aux évêques.» Tout un programme! Il conclut, réaliste face aux rouages du Vatican: «Ceux qui ont le pouvoir veulent le garder et ne font rien pour que les choses changent.»

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