Une stratégie bien rodée
L'extrême droite s'appuie sur l'UDC pour attaquer la communauté LGBT

Les extrémistes de droite ciblent avec plus en plus de violence les minorités sexuelles et de genre. Ils exploitent les débats de société et cherchent à trouver des relais dans la droite traditionnelle. Une stratégie bien rodée et dangereuse.
Publié: 31.10.2022 à 06:13 heures
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Dernière mise à jour: 31.10.2022 à 06:47 heures
Fabian Eberhard

Il faut se pincer pour le lire. Et pourtant... Le conseiller fédéral Ueli Maurer et des néonazis suisses suscitent la consternation sur une même thématique depuis quelques semaines: la gender diversity. La diversité de genre, en français.

Tout est parti d'une déclaration lors de l'annonce de la démission du Zurichois. Le ministre UDC sur le départ, interrogé au sujet de sa succession, avait répondu: «Un homme ou une femme? Peu importe, tant que ce n'est pas un 'ça'». Une pique qui a aussitôt suscité l'effroi de la communauté LGBTQIA+. Les organisations concernées ont exigé des excuses.

Deux semaines plus tard, des néonazis cagoulés ont pris d'assaut une séance de lecture pour enfants organisée par des drag-queens, à la Maison de la danse de Zurich. Leur mot d'ordre: «La famille plutôt que l'idéologie du genre.» Les débats sur les libertés sexuelles et de genre ont donc atteint une violence inédite dans notre pays. La droite s'empare du sujet à coup de déclarations choc, tandis que des néonazis mènent des actions coup de poing sur le terrain.

Le groupe d'extrême droite Junge Tat lors d'une action anti-LGBTQ au Tanzhaus de Zurich.
Photo: Screenshot Telegram
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Dans les milieux d'extrême droite suisses, la communauté LGBTQIA+ est une nouvelle cible. Si les ennemis principaux étaient jusqu'à présent toujours les mêmes — les musulmans, les réfugiés ou les gauchistes —, ils sont désormais rejoints par les queers et les personnes trans.

Certes, ce rejet des diversités ne date pas d'hier dans ces cercles, masculinistes au plus haut point. Ils ont toujours vu dans certaines évolutions sociales une menace pour la famille blanche traditionnelle. Ce qui est nouveau en revanche, c'est que le combat sur la thématique du genre devient leur champ d'action principal.

L'UDC aide-t-elle les néonazis?

Et cela n'est pas un hasard. L'extrême droite se rattache à des débats actuels. Sa stratégie vise à exploiter des ressentiments qui sont ancrés au cœur de la société. Lorsque l'UDC tire à boulets rouges sur le «gag du genre des moralistes verts et de gauche», les néonazis se sentent pousser des ailes et leur seuil d'inhibition diminue.

Le mouvement Junge Tat s'illustre publiquement sur ce thème. Ce groupe d'extrême droite a revendiqué en début de semaine l'action lors de la séance de lecture à Zurich. En juin déjà, il s'en était pris à un service religieux lors de la Pride dans la même ville. Le Ministère public a d'ailleurs ouvert une enquête sur ce point.

Avec ses vidéos de propagande produites de manière professionnelle, Junge Tat parvient à rendre l'extrémisme de droite attractif et tendance. En luttant contre la diversité de genres, le mouvement espère trouver des relais dans le camp de la droite et des chrétiens conservateurs.

Mercredi dernier, tous les groupes politiques du conseil municipal de Zurich ont condamné l'attaque de la Tanzhaus. Tous? Non: l'UDC n'a pas souhaité prendre ses distances. Bien au contraire: ses conseillers municipaux ont repris les critiques des néonazis et ont exigé l'annulation immédiate de la série de manifestations en lien avec l'événement.

Le plus grand parti du pays aide-t-il à faire passer des revendications néonazies? Un membre important de la Junge Tat n'a du moins pas hésité à s'en réjouir sur Twitter: «Nous nous en félicitons. L'activisme fonctionne!»

Dans les critiques qui fusent contre la communauté LGBTQIA+, la rhétorique est la même et les slogans se ressemblent. Des mots clés communs aux extrémistes de droite se diffusent de plus en plus: Gender Mainstreaming, Trans-Hype, Queer-Ideologie. Les réactions hostiles se conceptualisent.

Un phénomène international

Pour la Junge Tat, la stratégie est payante. Son défilé devant la Tanzhaus lui a valu deux premières pages dans «20 Minuten», la semaine dernière. Plus ou moins au même moment, le parti Le Centre a lâché un «j'aime» sous un post Instagram du groupe — par erreur, soi-disant. A ce sujet, «20 Minuten» a fait voter ses lecteurs en ligne. 26% d'entre eux ont voté en estimant «trouver ça bien. Dommage que le centre ait maintenant supprimé le like». Le portail a ensuite supprimé le sondage.

En Suisse comme chez nos voisins, les campagnes contre les libertés sexuelles et de genre devraient s'intensifier dans les mois et années à venir. En Allemagne, le Service de protection de la constitution a mis en garde: «Comme les thèmes de la diversité et de l'égalité des droits sont de plus en plus au centre des préoccupations de la société, il faut s'attendre à ce que les extrémistes de droite tentent à l'avenir d'occuper ces thèmes de manière encore plus idéologique.»

L'attaque contre les droits des LGBTQIA+ est un phénomène international. Des groupes néonazis, des partis chrétiens conservateurs ou encore des gouvernements autoritaires tentent toujours plus d'imposer leur conception morale de la société. En Occident, les Etats-Unis font figure de pionnier peu glorieux. Depuis des années, une panique morale s'est répandue dans le pays, attisée par l'Alt-Right et les évangéliques. Le Parti républicain a lui aussi emboîter le pas depuis longtemps et tente, dans les Etats où il est majoritaire, de restreindre les droits des personnes queer et des personnes trans.

Un néonazi abat deux homosexuels

Les milieux d'extrême droite européens ont emprunté leur stratégie anti LGBTQIA+ à leurs camarades américains. En juin dernier, des dizaines de miliciens du Front patriotique ont voulu attaquer une Pride dans l'Idaho. La police a pu les arrêter de justesse.

Les hommes arrêtés étaient cagoulés et portaient des écharpes blanches, tout comme les perturbateurs de l'événement zurichois. Des actions similaires ont également eu lieu ces derniers mois en Autriche, en Allemagne et en France.

Il y a deux semaines, un drame en Slovaquie a révélé comment la rhétorique militante des néonazis pouvait conduire à la violence. A Bratislava, un extrémiste de droite a tué deux homosexuels qui se tenaient devant un club LGBTQ. Peu avant son acte, l'auteur a publié sur Twitter un manifeste de 60 pages rempli de haine et d'homophobie.

En Suisse, on en reste pour le moment à des hostilités verbales et des actions d'intimidation. Le climat est déjà bien délétère et pourrait l'être encore davantage. Lorsque l'auteur suisse non binaire Kim de l'Horizon a remporté le prix du livre allemand, les commentaires haineux ont explosé sur les réseaux sociaux. L'auteur a été qualifié de «monstruosité», de «pédophile» et de «psychopathe». Son livre primé est une «connerie», une «idéologie malsaine» et une «œuvre du diable». Suite à des menaces, la maison d'édition a engagé un service de sécurité pour protéger Kim de l'Horizon.

L'auteur a même pris position dans un essai très remarqué dans la «NZZ». Ueli Maurer est interpellé, lui qui avait dévalorisé des personnes non binaires en les qualifiant de «ça»: «Ils m'envoient des poings, je les embrasse. Ils nient mon existence, je m'épanouis, écrit Kim de l'Horizon avant de se tourner vers le ministre: Pour ma part, j'aimerais mieux vous comprendre. C'est pourquoi je vous invite à me rencontrer autour d'une bière.» Le conseiller fédéral a refusé l'offre.

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