Plus si extraordinaires
Comment les séries déconstruisent leurs super-héros

La plateforme Disney+ vient de sortir «Extraordinary», série britannique hilarante qui imagine un monde où tout le monde a un super-pouvoir. Un pas de plus dans la déconstruction méthodique des super-héros sur le petit écran.
Publié: 26.01.2023 à 19:02 heures
|
Dernière mise à jour: 27.01.2023 à 16:21 heures
image00003.jpeg
Margaux BaralonJournaliste Blick

Et si tout le monde avait un super-pouvoir? Voilà le postulat de départ d’«Extraordinary», sitcom britannique disponible depuis mercredi 25 janvier sur Disney+. Dans ce monde imaginé par la très jeune (28 ans) scénariste irlandaise Emma Moran, tous les individus de plus de 18 ans développent une habilité extraordinaire, de la plus utile (voler ou inverser le temps) à la plus stupide (changer de coupe de cheveux), en passant par la plus gênante (donner un orgasme immédiat à tous ceux qu’on touche). Au milieu de tout ça, Jen, 25 ans, fait partie de ces rares personnes qui n’ont jamais développé de super-pouvoir et cherchent, en vain, à le déclencher. En découlent bien sûr des situations hilarantes qui font d’«Extraordinary» une petite pépite d’humour trash.

Ici, les super-pouvoirs sont une métaphore longuement et habilement filée des injonctions à la performance de la société moderne. Et Jen, désespérée de constater qu’elle n’est pas au niveau, va jusqu’à envisager un suivi coûteux en clinique spécialisée pour devenir, elle aussi, une super-héroïne. Mais si tout le monde est extraordinaire, de facto plus personne ne l’est. En cela, «Extraordinary» prend complètement à revers le concept du super-héros.

Faire le ménage plutôt que sauver le monde

Et ce n’est d’ailleurs pas la seule série à casser des codes toujours rebattus au cinéma par les interminables franchises Marvel et DC. Lorsque Disney+ sort «WandaVision» en 2021, la plateforme prend tout le monde de cours. Les super-héros, Wanda la Sorcière Rouge et Vision, ne sont pas du tout occupés à sauver le monde… mais bien à vivre une vie pavillonnaire tranquille, faire le ménage et essayer de sympathiser avec leurs voisins. Chaque épisode rend d’ailleurs hommage à une grande sitcom américaine, de «I Love Lucy» à «Modern Family». Exit l’action pétaradante et les faits d’armes, les super-héros aspirent à fonder un foyer et font un usage extrêmement trivial de leurs pouvoirs, bien pratique pour ranger la vaisselle sans se fatiguer.

Dans «Extraordinary», tous les individus de plus de 18 ans ont des super-pouvoirs.
Photo: Natalie Seery/Disney+

Le même procédé est à l'œuvre dans les premiers épisodes d’«Umbrella Academy», série de super-héros diffusée sur Netflix. Cette fois, sept enfants dotés de super-pouvoirs et adoptés par le même milliardaire se retrouvent, une fois adultes, dans le manoir de leur jeunesse. Et la série est d’abord centrée sur leurs relations intrafamiliales, avant de toucher aux grandes menaces sur le monde qu’ils pourraient potentiellement déjouer. Bref, les super-héros n’emploient pas tant que ça leurs super-pouvoirs et surtout, ne sont plus définis par leur envie ou leur capacité à faire le bien sur la planète.

Dans «Extraordinary», les habilités extraordinaires font partie intégrante du quotidien. Carrie, la meilleure amie et colocataire de Jen, a le pouvoir de faire parler les morts à travers elle. Et travaille dans un cabinet d’avocat qui fait appel à ses services pour régler des successions difficiles ou enregistrer l’album posthume d’une ancienne gloire de la country. L’une des premières scènes de la sitcom montre aussi cette pauvre Jen en entretien d’embauche face à une recruteuse dont le super-pouvoir est d’obliger les gens en face d’elle à dire… toute la vérité. Absolument terrifiant, mais diablement utile, il faut le reconnaître, tout comme la capacité à s’envoler par le balcon comme bon lui semble pour un amant complètement lâche.

Des super-héros plus si super

Car évidemment, si les super-héros sont partout, ils ne sont statistiquement pas tous si super que ça. C’est d’ailleurs parce qu’elle les trouvait trop lisses au cinéma qu’Emma Moran, la créatrice d’«Extraordinary», a eu l’idée de les parodier dans sa série. «J’aime beaucoup ces films mais je me disais ‘Mon Dieu, ils sont tous géniaux. Pourquoi sont-ils bons dans tout ce qu’ils font?’», a-t-elle expliqué dans une interview à «Stylist».

Aucune série n’a poussé le curseur aussi loin sur le sujet que «The Boys», produite par Prime Video. Dans cette fiction-là, les super-héros ne sont pas nombreux. En revanche, ils appartiennent à une multinationale sans foi ni loi qui exploite leur image et leur pardonne tout, de leurs petits vices aux plus gros comportements déviants. Pervers, harceleurs, agresseurs, tricheurs, menteurs, quand ils ne sont pas carrément des meurtriers: les «Super» n’ont plus rien d’héroïque et certains hommes sans aucun pouvoir sont bien déterminés à les faire tomber. La déconstruction du mythe est telle qu’ils ne sont pas seulement indifférents à la destruction du monde, ils l’encouragent et la provoquent. De quoi fournir une série diablement trash, délicieusement politiquement incorrecte, et renouveler un genre qui plaît toujours autant.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la