GiedRé, chanteuse «en tournante»
«À Lausanne, il me faudra des culs, de la coke et une loge»

Elle se demande s'il y a assez de place dans un même tiroir de congélo pour y ranger deux bébés. La chanteuse française GiedRé exhibera son humour noir et son millième degré au D! Club de Lausanne, le 12 mai. Grande interview.
Publié: 01.05.2022 à 07:07 heures
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Dernière mise à jour: 18.05.2022 à 14:01 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

Ce mercredi 27 avril 2022 entre midi et deux, GiedRé est dans un train. Après, elle sera sur France Inter pour fredonner une de ses acides chroniques. Entre les deux, elle a un rendez-vous téléphonique avec moi, pour Blick.

ElLe ÉcRiT cOmMe Ça, l’autrice-compositrice-interprète repérée et lancée par Raphaël Mezrahi puis Laurent Baffie. Comme une préadolescente sur un blog beaucoup trop coloré et déjà démodé. Mais ses airs candides et ses boucles d’oreilles en forme de cerises sont un camouflage pour son lance-missile: l’humour noir et absurde.

Dans ses disques et sur scène, la chanteuse française d’origine lituanienne bombarde nos oreilles d’insanités, souhaite la mort de sa grand-mère, se demande comment fait Jamel Debbouze pour mettre du déo et nous invite à fourrer nos sacs en plastique dans le cul de quelqu’un qui a du pouvoir. Sur des rythmes de comptines pour enfant.

«Mes chansons sont mille fois moins choquantes que la réalité, estime l'artiste. Je ne les trouve pas politiquement incorrectes. C’est plutôt la politique que je trouve incorrecte…»
Photo: Pierre Ponce
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J’aurais aussi pu vous dire qu’elle est un exemple de dadaïsme contemporain, que son concept est fondé sur une espèce de fausse naïveté qui entre en collision avec tous les codes qui sont les nôtres, et les explose. Mais ça, la chroniqueuse Natacha Polony l’a déjà fait dans «On n’est pas couché» sur France 2. En 2014.

Je la mets sur haut-parleur. En 17 minutes chrono, GiedRé réussira à parler de poils sous les bras des meufs, de caca (évidemment), d’hommes en Pampers, de son aventure nocturne avec un président français, de son gosse, d’avortement polonais, des réac', d’écologie, des gens qui bandent pour de vrai en regardant un arbre, de la mort aussi. Et d’elle-même. Interview déjantée — mais profonde — pas seulement basée sur les paroles de ses «Chansons romantiques au piano», titre de son dernier album.

J’ai une bite. Vous m’en félicitez?
(Rires) Bien sûr! Vous et tous vos confrères. Vraiment, bravo. Peut-être que maintenant que vous êtes tous conscients que nous sommes toutes très impressionnées, on peut arrêter de les dessiner sur les murs.

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Dans cette chanson, vous parlez de masculinité toxique. Les hommes, c’est un problème?
On va dire not all men, avec le hashtag. But a lot quand même…

Vous parlez de féminisme, mais aussi d’écologie, et de sacs en plastique. Vous faites quoi des vôtres?
J’essaie de ne pas en posséder. Mais bon, après, mon action isolée ne change pas grand-chose. C’est ça que je chante: un petit paradoxe. On nous culpabilise à longueur de journée pour qu’on ferme le robinet quand on utilise de l’eau pour se brosser les dents ou qu’on prend un sac en plastique à la caisse, mais rien n’est fait à une échelle plus globale. Donc, c’est un peu… Un peu fatigant, on va dire. Pour rester polie.

Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour lutter contre les changements climatiques? Vous êtes décroissante?
Ah ben oui, complètement. Il n’y a aucune autre solution, je pense. Notre société de consommation n’a plus de sens: la catastrophe climatique est trop imminente. Il faut arrêter.

Vous invitez les gens à fourrer leurs sacs en plastique dans le cul de quelqu’un qui a du pouvoir ou dans la bouche du ministre de l’environnement. L’intestin d’un président, ça recycle le plastique?
(Rires) Je ne sais pas. Moi, je m’en fous. Une fois que c’est dans ses intestins, c’est plus dans les océans. A partir de là, il se débrouille. Tant que ce n’est pas dans le ventre des dauphins ou sur la tête des tortues, ça me va.

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Vous êtes pleine d’amour! Vous voulez aimer à foison celles et ceux qui n’aiment pas les Noirs, les pédés, les écolos à la con, les Chinois qui rachètent les PME. Les mêmes qui se plaignent de ne plus rien pouvoir dire. C’est vrai ça, non? On ne peut plus rien dire aujourd’hui!
Je crois qu’au contraire beaucoup de gens ne se gênent pas de dire beaucoup de choses. D’un côté, on pense qu’on ne peut plus rien dire, mais d’un autre… En France, on vient de vivre une élection présidentielle. C’était la campagne la plus raciste de l’histoire! Je crois donc qu’on peut dire beaucoup, beaucoup de choses. Et de manière très décomplexée!

Comment expliquez-vous ce paradoxe entre les réac' sur les réseaux sociaux, qui se plaignent d’être censurés, et une parole d’extrême droite complètement libérée?
Peut-être que selon eux, on ne peut plus dire les choses qu’ils trouvaient normales par le passé. Heureusement, avec l’évolution de la société, on comprend que ce n’était pas normal de les dire.

Vous avez des exemples?
Ouais! Peut-être que les blagues sur les minorités, sur celles et ceux qui ne peuvent pas se défendre, ce n’est plus drôle aujourd’hui. Peut-être qu’on peut se moquer d’autres gens maintenant.

De qui?
C’est une grande question. Je n’en sais rien, moi. Je n’ai pas la prétention de dire aux gens de quoi ils peuvent rire. Mais je trouve que c’est plus drôle de se moquer de ceux qui ont du pouvoir que d’humilier ceux qui n’en ont pas.

Vos réac', vous les aimez comment?
Je pense qu’ils manquent de câlins. Et je pense qu’aux méchants, il faut leur faire de vraiment gros bisous. Et s’ils sont très, très, très méchants, il faut leur faire de très gros câlins. Et serrer très fort. Peut-être jusqu’à ce qu’ils arrêtent de respirer. C’est un câlin quand même, hein. Bon, peut-être qu’à la fin ils ne respirent plus, mais ça part d’une bonne intention.

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Le baiser de la mort…
(Rires) Voilà, on va dire ça, c’est une très bonne formule.

Vous chantez: «Soixante-dix ans de combat pour encore s’épiler sous les bras». Combien de temps faudra-t-il encore pour qu’on s’épile les couilles?
Mais ça commence! Après, moi, je suis pour que plus personne ne s’épile. Ce n’est pas parce que nous, on souffre, que les hommes doivent souffrir aussi. J’aimerais bien que personne n’ait mal.

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Les hommes sont donc aussi victimes du patriarcat?
Pas du patriarcat, mais de la société de l’image, du paraître. Et ça, c’est le capitalisme, plutôt. Qui veut que tout le monde soit beau comme sur du papier glacé et qu’on achète des super produits pour que les poils ne repoussent pas ou plus doux et moins drus. Surtout ça. C’est très important d’acheter des trucs!

En parlant de couilles et de ticket de métro: vous nous racontez votre rêve érotique avec Giscard?
C’était comme dans tous les rêves. C’est toujours très étrange. On est en train de faire ses courses, on prend le métro et tout à coup: on est dans un lit avec Giscard d'Estaing. C’est très étonnant. L’inconscient fait des trucs bizarres.

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Vous l’auriez choisi en vrai?
Ah non. Non, non. J’aime les défis, mais j’ai des limites.

Niveau sexe, vous êtes sans tabou dans vos textes. Dans votre précédent album, vous célébrez les hommes qui aiment mettre des couches. C’est votre fétiche préféré?
Heureusement, je ne les connais pas encore tous, les fétiches. Il y en a vraiment beaucoup. J’ai l’impression que dès qu’un truc existe sur terre, il y aura au moins trois personnes pour le trouver excitant. (Elle marque une pause, réfléchit) Des fétiches, il y en a qui m’interpellent plus que d’autres. Celui-là, si j’en ai fait une chanson, c’est qu’il m’a surpris quand je l’ai découvert. Il est dans mon top 3.

Ça vous dégoûte?
Ah non, ça ne me dégoûte pas du tout. En fait, tant qu’on ne fait du mal à personne, il n’est pas interdit de se faire du bien à soi. J’aime bien aussi le fétiche des arbres, ça me revient. Les gens qui ressentent de l’excitation pour les arbres, je trouve ça poétique. Mais pour revenir à celui des couches, je suis très heureuse qu’ils puissent le vivre. Ce qui me rend triste en revanche, c’est que, souvent, les gens qui ont des fétiches comme celui-ci ne peuvent pas en parler à leur entourage et doivent se cacher.

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Vous en avez un, de fétiche?
Bah forcément! Comme tout le monde, non?

Sans doute, oui…
Mais vous voulez que je vous le raconte… Ben non, je ne vais pas vous le raconter. Je préfère parler des autres que de moi. C’est ma petite astuce.

Vous parlez souvent d’enfants, d’ailleurs. Vous en avez?
Ouais. J’en ai un. Tout petit, il a un an.

Et ça se passe bien?
Ben… Il ne dort pas. Donc ça se passe bien. Pendant très longtemps. Sur 24 heures.

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(Rires) Dans l’une de vos chansons, vous jouez le rôle d’une mère au bout du rouleau qui dit «j’aurais dû avaler». Vous avez aussi écrit une ode à la contraception… Jusqu’à quel stade de développement du fœtus faudrait-il autoriser l’avortement?
Jusqu’à 18 ans! Il devrait y avoir un endroit où on peut les rendre, quoi. Enfin, surtout pour leur bien plutôt que pour celui des parents. Pour qu’ils puissent éviter ce monde qu’on leur a laissé. Je suis altruiste.

Ce serait quoi, cet endroit?
Très bonne question… Un endroit où ils s’autogéreraient. Au bout d’un moment, il faut arrêter d’être dépendant des adultes. Il faut prendre sa place dans ce système. Le monde est cruel, il n’y a pas de raison qu’il ne le soit pas pour eux.

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Quand vous voyez le droit à l’avortement de plus en plus remis en cause dans le monde, ça doit vous faire mal!
C’est fou… Je n’arrive même pas à y croire. Je trouve ça dingue! Et dans des pays voisins en plus, en Pologne! Tous ces gens — qui sont souvent des hommes, d’ailleurs — devraient en fait accueillir tous ces enfants non désirés par ces femmes qui n’ont pas envie d’être mères. Qu’ils les prennent, qu’ils les élèvent, qu’ils se réveillent 20 fois dans la nuit, qu’ils les allaitent! Grand bien leur fasse s’ils pensent qu’il faut garder tous les bébés.

Ça, ça vous fâche. Qu’est-ce qui vous rend heureuse, à part vous acheter des habits à 3,80 euros en attendant que les gens au Bangladesh qui gagnent 10 centimes de l’heure demandent à être payés comme des humains?
C’est ça, mon activité préférée. Vous vous en doutez! Ce qui me rend heureuse… C’est quand même — même si je me mens sans doute — d’avoir l’espoir qu’à la fin ce ne sont pas les méchants qui gagnent. Je ne sais pas si ça me rend heureuse, mais c’est le truc qui fait que je ne saute pas par la fenêtre!

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Justement. Vous savez rassurer les gens. Vous leur dites: «Si ta vie est pourrie, t’inquiète, on va tous crever». Vous avez peur de crever, vous?
Ben non, ça sert à rien d’avoir peur de quelque chose d’inévitable. Bon, l’idée ne me réjouit pas non plus. Enfin… Ça dépend des jours. Parfois, je me dis: «Bon, cool, ça va arriver, finalement, tout a une fin!» Non, mais pour moi, la mort a toujours été un moteur. Sans cette fin, on ne ferait rien de notre vie. En tout cas, moi, je resterais sur mon canapé à regarder des séries.

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Ça vous pousse à faire votre art, donc. Et dans votre art, vous êtes féministe, vous défendez les migrants, vous parlez d’écologie, de la surconsommation, des abattoirs, etc. On vous décrit souvent comme politiquement incorrecte. Aux yeux de certains, vous passeriez plutôt pour quelqu’un de politiquement correct…
On me définit comme politiquement incorrecte parce que je dis «bite» dans une chanson. Il faut vraiment être très, très farouche pour s’indigner de ça (elle éclate de rire)! Personnellement, ce n’est pas ça qui me choque. Mes chansons sont mille fois moins choquantes que la réalité. Je ne les trouve pas politiquement incorrectes du tout. C’est plutôt la politique que je trouve incorrecte… (Elle reprend) Ça, c’est une belle phrase! Je vais la ressortir dans toutes les interviews et vous en aurez eu la primeur!

Ah! Merci pour ce cadeau, GiedRé. Vous critiquez vos collègues du show-business — mot que vous utilisez avec autodérision, forcément — qui tapent de la coke sur des culs en loge. Sur votre «rider» à vous, il y a quoi?
Ben il me faut des culs, de la coke et une loge. Parce que moi, je veux faire comme eux. Parce que c’est ça, le vrai rock’n’roll et le vrai showbiz et une tournée! Au fond, je dois être un peu jalouse. Donc je demande des culs, de la coke et une loge.

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Ça va bien avec vos tournantes, petit nom que vous donnez à vos tournées… Quand vous viendrez le 12 mai à Lausanne pour votre concert au D! Club, vous nous laisserez un peu de vous dans nos verres d’eau après être allée au cabinet, comme vous le chantez. Ça vous émeut?
Oui! Je suis toujours contente, bien sûr, d’aller chanter dans des villes et après, quand c’est fini, je suis toujours triste en repartant parce que je sais que je ne reviendrai pas avant huit mois ou un an. Et de cette manière, je me dis que je reste quand même un peu parmi vous. Je vous laisse quelque chose.

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(Rires) Encore un cadeau! J’en arrive à ma dernière question. Tout le monde se demande si vous préférez être obligée d’écrire des SMS en fermant les yeux et sans pouvoir choisir les destinataires jusqu’à la fin de votre vie OU être interdite de pain noir et devoir intégrer des réseaux clandestins de boulangeries pirates…
C’est très compliqué… Mais ça veut dire que je vais devoir faire du pain comme les gens pendant le confinement?! Parce que, vraiment, eux, ce n’est pas possible. Je crois que je préfère encore l’option SMS. Je ne veux pas faire partie des gens qui font leur levain. C’est trop pour moi. Je suis capable de beaucoup de choses dans la vie... Mais je ne veux pas être réduite à poster des photos de mon levain sur Instagram!

C’est noté. Merci beaucoup, GiedRé. Vous préférez ça au cœur avec les mains, alors anus avec les doigts!
Ah ben toujours! Merci beaucoup à vous!

Elle a raccroché. Puis s’est bel et bien rendue dans les studios de France Inter pour célébrer la victoire d’Emmanuel Macron. Et expliquer le masochisme aux gamins…

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