Jamais mieux séduit que par soi-même #3
Malick Reinhard nous parle du lien entre féminité et handicap

Le journaliste Malick Reinhard, dans cette mini-série, questionne le lien quasi intouchable entre vie sexuelle et handicap. Cette semaine, il s’intéresse au vécu de la féminité, avec le témoignage de Pamela Ruga. Interview.
Publié: 12.03.2022 à 18:16 heures
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Dernière mise à jour: 14.03.2022 à 10:31 heures
Malick Reinhard

Mardi, violet sous les fenêtres, on a «fêté» la Journée internationale des droits des femmes. Et, en attendant qu’on ait plus besoin de la célébrer (dans un futur dystopique où l’équité des droits est acquise), je me suis posé une vraie question de mâle maladroit: on vit comment sa féminité, quand on est en situation de handicap? Poser cette question, est-ce que c’est légitime ou alors carrément réducteur? Et puis, comment traiter du sujet, justement, dans mon rôle de gaillard – et ne surtout pas m’exprimer à la place des personnes concernées? Bref, à balbutier des idées inhabiles, je me suis retrouvé, là, perdu. Comme un «valide» qui parlerait de handicap pour la première fois.

J’ai terminé mon introspection et j’ai décidé de passer un coup de fil à Pamela Ruga. Pamela, elle a 29 ans depuis deux semaines. Je l’ai rencontrée il y a bien une décennie, dans une manifestation de gymnastique, à Lausanne, la Gymnaestrada. Encore un gros cliché de pékin: Pamela, elle m’a toujours inspiré la féminité, bien dans ses baskets et imperméable aux qu’en-dira-t-on. Je lui ai donc demandé ce que ça voulait dire, pour elle, «être une femme» – Michel Sardou étant indisponible.

Salut Pamela. Dis-moi, aujourd’hui, est-ce que tu te sens femme?
Pamela: Écoute, jusqu’à ce que tu me proposes cette discussion, je ne m’étais jamais vraiment posé la question. Actuellement, oui, je me sens femme, cisgenre, et bien dans ma peau. Adolescente, c’était déjà un peu plus compliqué. Mais certainement comme tout le monde.

«Actuellement, oui, je me sens femme, cisgenre, et bien dans ma peau. Adolescente, c’était déjà un peu plus compliqué. Mais certainement comme tout le monde.»
Photo: Blick
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«Compliqué», c’est-à-dire?
S’accepter en tant que femme, en situation de handicap, ça m’a pris du temps. Beaucoup de choses, bien sûr, se sont construites avec la maturité. On vieillit, on apprend.

Ado, le plus difficile, sans surprise, c’était le regard des autres. Aller à la piscine en maillot de bain, comme j’ai une scoliose prononcée, c’était une torture pour moi. J’étais complexée par ce corps tout «tordu». Je me sentais observée. Je suis quelqu’un d’assez pudique, et il m’arrivait de renoncer à certaines activités, pour éviter cette pression. Après, je suis née avec un handicap, alors, il m’est difficile de me comparer avec une femme qui n’en a pas.

Évidemment. Mais, du coup, maintenant, ta féminité, elle s’exprime comment?
Je me sens toujours plus féminine en été qu’en hiver. Mon apparence est beaucoup plus maîtrisable quand il fait chaud. Durant la saison froide, puisque je bouge très peu dans mon fauteuil roulant, je dois mettre des grosses vestes, des couvertures… Parce que, moi, je préfère avoir chaud que d’avoir du style. Par contre, ça entrave ma féminité, c’est sûr. Car, celle-ci, pour moi, passe aussi par l’habillement.

Et, au-delà des saisons, d’ordinaire, est-ce que tu arrives à mettre tous les vêtements que tu souhaites?
Bon, déjà, il faut accepter son corps. Mais c’est clair que je sais davantage me mettre en valeur qu’il y a quelques années. Après, on ne va pas se mentir, avec des talons aiguilles de quinze centimètres, je ne vais pas être très bien.

Je me souviens, par contre, avoir trouvé une parade, pour le mariage de ma cousine. Je suis allée avec mes talons chez le cordonnier, en lui demandant de les scier un peu. Il m’a dit que c’était une mauvaise idée, car on ne pourrait plus marcher avec. Je lui ai répondu qu’on s’en foutait, parce que, de toute façon, je ne marche pas.

À part les habits, qu’est-ce qui caractérise cette féminité que tu revendiques?
C’est compliqué. Je ne me maquille pas, à part de temps en temps. Ce n’est pas quelque chose qui me permet de faire ressortir ma féminité. Moi, j’aime bien être naturelle, en fait. Être féminine, ça ne passe pas seulement par la beauté physique, le maquillage. C'est un mélange de beaucoup de choses. Mais, actuellement, je me sens femme par rapport aux autres femmes. Et ça, ça me va bien!

Selon toi, la société te voit avant tout comme une personne handicapée, une femme, ou Pamela, dans son ensemble?
Bonne question… Ça dépend avec qui, je dirais! Je pense que ceux qui ne me connaissent pas me voient d’abord comme une personne handicapée. Les personnes qui me connaissent, elles, me considèrent sans doute plus comme Pamela, une femme de 29 ans, qui habite dans la région d’Yverdon et adore son chien d’assistance, Bali. (rires)

Mais, honnêtement, que l’on me considère d’abord comme une personne handicapée, je crois bien que ça m’est égal… Enfin, non, je pense que ça dépend des jours. Il y’en a où je n’en ai rien a carrer et d’autres où ça me révolte beaucoup. Par contre, je pense que ça peut se présenter pour tout le monde, femmes ou hommes.

En parlant d’hommes – car tu es une femme cisgenre et hétérosexuelle –, comment ça se passe, l’amour, la drague, toutes ces joyeusetés sociales?
Je pense que c’est plus difficile de séduire quand on est en situation de handicap. En soirées, j’ai l’habitude de me faire draguer frontalement. Mais uniquement par des gars bourrés. Jamais par d’autres. (rires)

Blague à part, sur les applications de rencontres, c’est pareil. C’est difficile. Il y a quelques mois, j’ai rencontré un gars. Ça avait l’air de bien passer, il y’avait le feeling. On s’est vu et, au moment où c’est devenu «un peu plus sérieux», il m’a dit: «T’es cool, je t’aime bien, mais je ne voudrais surtout pas devenir ton soignant.» Je lui ai expliqué que ce ne serait pas le cas, car j’ai des assistants de vie qui sont là pour m’aider. Quelques jours plus tard, il m’a écrit pour me dire qu’il s’était mis en couple avec une autre fille. Est-ce que ça n’aurait pas été le cas sans mon handicap? Peut-être…

En tout cas, je pense qu’être en situation de handicap, en étant une femme hétérosexuelle, sur ce point, c’est plus difficile que d’être un homme hétérosexuel. Les hommes ont peut-être moins ce côté «maternel» que peut avoir une femme.

La maternité, justement, tu y penses?
Bien sûr! Et, par instant, ça me travaille pas mal. Est-ce que j'ai envie d'un enfant, avec mon handicap? Ce sont des questions probablement un peu plus compliquées que pour une femme sans handicap. Ça me questionne. Vraiment.

Ma cousine, qui est plus jeune que moi, est devenue maman en 2020. Cet épisode, ça a été très dur pour moi. Finalement, c'est là que je me suis rendu compte que, peut-être, je n’aurais jamais d’enfant. Notamment parce que la société n'est pas prête à ça. Elle n'est pas habituée et ne va pas forcément l’encourager. Mais ça ne m'empêche pas d'espérer accéder à la maternité, un jour. Par contre, mère célibataire, avec ma situation, ça me semble un peu compromis. Déjà un chien, je ne t’explique pas… Alors, reste à me trouver un compagnon! (rires)

Pamela, merci.

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