Le chef des Sports à la RTS
«En Chine, on a vraiment affaire à une dictature sanitaire»

Les Jeux olympiques de Pékin se sont achevés dimanche. Depuis, la majorité du personnel de la RTS envoyé sur place est de retour en Suisse. Un réel soulagement pour Massimo Lorenzi, chef des Sports. Interview.
Publié: 23.02.2022 à 11:37 heures
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Dernière mise à jour: 23.02.2022 à 13:33 heures
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Matthias DavetJournaliste Blick

Il y a un mois, nous avons parlé au téléphone et vous me disiez être stressé juste avant les Jeux olympiques. Vous allez mieux?
Je suis d’abord content que tout le monde soit rentré sain et sauf. Mon travail est aussi de faire en sorte que la santé des collaborateurs ne soit pas en danger. Ce souci est passé.

Et d’un point de vue technique?
Les Jeux olympiques sont une très grosse opération, avec des centaines d'heures de direct. Tout peut arriver, des pannes et des malades. Et nous avions un effectif limité. Heureusement, les choses se sont bien passées et je suis soulagé.

Quel bilan tirez-vous de ces Jeux olympiques de Pékin?
Compte tenu du décalage horaire et de la perception qu’ont les gens de la Chine, je m’attendais à quelque chose d’assez frileux. Mais ces JO ont malgré tout été bien suivis. Il y a même eu des pics d’audience le matin grâce au ski alpin. Au final, ce n’est pas un mauvais résultat. À titre personnel, je maintiens que des Jeux olympiques dans une dictature sont une absurdité.

La SSR était chargée de la technique au niveau des courses de ski alpin.
Photo: keystone-sda.ch

Et vous aviez également une émission le soir, après le Téléjournal.
Oui, nous avions notre émission «Au cœur des Jeux» qui a réuni plus de 50’000 Romands tous les soirs. C’est beaucoup de monde à 20h05, il y a une énorme concurrence à cette heure-là. Ça prouve qu’il y avait une attente de la part du public. Je pense qu’on a fait du bon boulot. Je suis très content de mes équipes.

Pourtant, entre les Jeux de Pyeongchang et ceux de Pékin, on passe de 758’000 à 625’000 téléspectateurs, soit une perte d’audience de 21%. Comment expliquez-vous cela?
Je ne l’explique pas en détail. Si je dois trouver deux facteurs, je pense que les critiques justifiées envers ces Jeux dans une dictature ont pu repousser une partie du public – peut-être 10%. Il y a peut-être aussi une désillusion concernant ces méga-événements… Ça ne prend plus autant qu’avant, surtout avec le décalage horaire. Il s’agit des troisièmes Jeux avec un horaire négatif ici. À la longue, ça fatigue sans doute le public et ça nous distancie de l’événement. Il y a aussi des facteurs qu’on ne maîtrise pas, comme les performances des Suisses.

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Et peut-être le fait que la plupart des compétitions se déroulaient à huis clos et que les gens avaient de la peine à vivre les émotions devant leur télévision…
Je n’y avais pas pensé tant ce facteur est une évidence, mais c’est une bonne remarque. Sans doute que le fait qu’on ne sente aucune euphorie sur place ne donne pas envie de suivre l’événement.

A posteriori, entre les audiences en baisse et la difficulté des conditions de travail sur place, la RTS se devait-elle vraiment de couvrir ces Jeux?
Oui, oui. Il y a près de 150’000 personnes qui se sont levées pour voir Marco Odermatt. Imaginez si on n’avait rien fait, surtout avec l’importance du ski dans ce pays… Au plan strictement sportif, ça faisait parfaitement sens d’y aller. De plus, c’était tout bonnement impossible de tout couvrir depuis Genève. Il fallait être sur place pour des raisons d’ordre technique.

Pourtant, une partie du public a préféré boycotter ces JO.
Je reçois les critiques qui disent qu’il fallait boycotter ces Jeux et je pense que la discussion doit être tenue. Mais vis-à-vis du public – et quand on regarde la consommation sur le web entre autres – il fallait les couvrir. Le cas échéant, on nous aurait reproché de ne pas l’avoir fait.

La RTS s’est également occupée de la diffusion du ski alpin pour le monde entier. Le bilan est-il également positif?
Nous n’avons pas encore eu le temps de débriefer car mes équipes sont à peine rentrées (ndlr: la plupart des employés sont arrivés en Suisse lundi et notre téléphone avec Massimo Lorenzi a eu lieu mardi). Mais les images du ski étaient bonnes, dans des conditions difficiles – avec un froid jamais vécu auparavant. Et je crois qu’ils ont reçu de bons retours.

Vos collaborateurs ont-ils rencontré des problèmes liés au Covid-19?
Deux caméramans sont restés plusieurs jours en isolement car leur taux de guérison n’était pas assez bon pour les autorités chinoises.

Ont-ils pu sortir d’isolement pour travailler?
L’un oui, après un certain nombre de jours. L’autre est rentré en Suisse après avoir passé onze jours enfermé.

Vous l’avez donc rapatrié?
Il nous a dit qu’il en avait ras-le-bol. Après onze jours d’isolement, il était écœuré. D’autant plus qu’il était guéri, mais pas pour les Chinois. On a donc pris conjointement la décision qu’il rentrerait.

Tous vos employés ont-ils pu rentrer en Suisse?
Oui, sauf ceux qui sont en train de ramener les camions-régies.

Certains ont crié à la dictature sanitaire en Suisse. En Chine, vos équipes ont dû faire face à une véritable dictature sanitaire. Racontez-nous.
Là-bas, ça ne rigole pas. Tout le monde est masqué, mes collaborateurs n’ont quasiment jamais vu de visage. Ils le portaient en permanence sauf quand ils rentraient dans leur chambre pour dormir. Ils devaient également être testés tous les jours. Heureusement, ils ont été très solidaires entre eux et il y avait un très bon climat de travail. Mais ils ont aussi trouvé l’ambiance pesante. Il n’y avait pas de ferveur. Comme le disait un de mes journalistes, c’étaient les Jeux de l’absurde. On bascule dans un autre degré. Là, on a vraiment affaire à une dictature sanitaire.

Avant les Jeux, vous nous aviez dit que parler des JO, c’était parler de tout ce qui n’allait pas avec le régime chinois. Estimez-vous que c'est mission accomplie?
Nous en avons parlé quinze minutes dans Sport Dimanche avant les JO, pendant la cérémonie d’ouverture ou dans certaines de nos émissions. Avant, on peut en parler mais durant l’événement, on est obligé de nous intéresser au sport. On ne peut quand même pas dire: «Aujourd’hui Marco Odermatt a fait une médaille d’or, mais nous allons vous parler des Ouïghours.» Je n’ai d’ailleurs pas vu beaucoup de papiers sur la question des Ouïghours sur votre site.

Marco Odermatt est devenu champion olympique de géant.
Photo: keystone-sda.ch

Mais étant sur place, n’auriez vous pas pu en faire plus?
Nous n’avons rien occulté de ce que nous avons vu. Mais nous n’avons pu quitter les bulles sanitaires dans lesquelles nous étions enfermés. C’est une dictature! Ce qu’on a pu faire, on l’a fait. Ce qu’on a vu, on l’a dit. Mais mes collaborateurs ne pouvaient pas sortir et tout ce qu’ils voyaient, c’était un contrôle omniprésent. De mon côté, j’ai quand même l’impression que nous avons passablement parlé des droits de l’homme en Chine, mais on ne peut pas changer une dictature comme ça. Pour Xi Jinping, c’est une opération de propagande interne et il a réussi son coup.

Les Jeux paralympiques vont bientôt s’ouvrir. Comment la RTS va-t-elle les couvrir?
Comme on peut. Je n’ai pas une rédaction élastique et l’actualité reprend. Il me faudrait deux rédactions pour couvrir les paralympiques comme nous l’avons fait avec les Jeux olympiques. Je ne peux pas mobiliser encore une fois 75 personnes non-stop, c’est impossible. Il faut faire des choix. Nous allons couvrir les paralympiques, mais d’une autre manière. Et toutes les compétitions dans lesquelles seront embarqués des Suisses seront diffusées sur le web. Hélas, c’est impossible de couvrir les deux de manière équivalente.

Le prochain grand événement pour la RTS et le monde du sport est la Coupe du monde au Qatar. Connaissez-vous déjà votre dispositif?
Non, pas dans le détail. Mais nous allons diffuser tous les matches, puisque nous avons un contrat. Je pense qu’il ne sera pas facile de travailler au Qatar pour faire des reportages puisque c’est également un régime autoritaire. Mais le public pourra tout voir. Une Coupe du monde est moins compliquée à couvrir que des JO, puisqu’il n’y a pas quinze compétitions en même temps.

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