Lorsqu’on parle de Roger Federer en Suisse romande, on pense bien évidemment à Marc Rosset. Le champion olympique 1992 avait une relation particulière avec «RF». Blick l’a contacté pour avoir sa réaction à la suite de l’annonce de la retraite du Bâlois. Avec l’utilisation du tutoiement, comme il est d’usage dans le monde du sport. Interview.
Quelle est ta réaction, à chaud?
Mitigée, car on savait que ce jour allait arriver. Le fait qu’il n’ait pas joué depuis une année, on ne va pas dire que ça rend la chose plus facile à avaler, mais ça amortit le choc.
Mais?
Mon rapport avec Roger a toujours été différent que celui que vous, les journalistes, pouvez avoir avec lui. Sa carrière sportive est bien sûr extraordinaire. Mais ce qui m’intéressait c’était de savoir comment il allait, comment il se sentait, s’il était heureux. Ma préoccupation par rapport à sa retraite, c’est qu’il soit en paix avec cette décision et que ce soit quelque chose de réfléchi. Bien sûr, il y a un aspect physique, lorsque le corps dit: «J’en peux plus.»
Donc, c'est un mélange d’émotions pour toi?
Oui, je suis triste de ne plus voir le joueur, mais je suis heureux pour lui, sa famille et ses enfants. Ils auront une vie un peu plus «normale». Il voyageait avec des répétiteurs pour ses enfants, qui étaient trimballés de droite à gauche. Peut-être qu’ils auront une scolarité, des copains d’école. Enfin des c*nneries qu’on ne peut pas imaginer mais qui sont importantes pour sa famille.
Comment as-tu appris la nouvelle?
J’ai reçu un message ce jeudi matin mais je ne suis pas le seul à qui il a envoyé un SMS. Il y a pas mal de personnes qui ont dû recevoir l’info. Je trouve ce geste très classe et touchant de sa part d’écrire à ses proches pour leur annoncer ça. C’est du Roger.
Et toi, tu l’as appelé?
Je lui ai répondu mais je ne vais pas l’appeler maintenant. Je pense que c’est sa journée et je n’ai pas envie de lui casser la tête. Je l’appellerai dans les prochains jours, quand ce sera un peu plus tranquille.
Il avait annoncé son retour sur le court à Bâle. Tu t’attendais à ce qu’il prenne cette décision aujourd’hui?
Ça a quand même été un choc ce matin (ndlr: jeudi) en recevant ce message. Mon souhait, qui est très égoïste, aurait été de le voir jouer à l’US Open, à Roland-Garros, à Wimbledon et à l’Open d’Australie l’année prochaine. Comme j’aurais aimé le voir jouer à Bâle cette année. Mais là, c’est le fan de tennis qui parle. J’espère qu’il y aura quand même une cérémonie à Bâle, qu’on ait l’occasion de discuter ensemble tranquillement. Ça fait drôle parce qu’il était dans le paysage depuis je ne sais combien d’années mais, comme je l’ai dit, c’était avant tout l’être humain, comme un petit frère. Cela m’intéressait plus que le sportif.
Tu as prévu d’aller le voir à la Laver Cup, pour son dernier tournoi?
Je n’en ai aucune idée. Je suis plutôt là lorsque les gens ont besoin de moi et que j’ai l’impression de pouvoir leur apporter un soutien moral. Je ne suis pas là par pure gloriole. Je préfère le voir tranquillement, discuter avec lui peinard et refaire la vie autour d’une bonne bouteille que d’aller dans un truc où il y a 150’000 personnes. Ce n’est pas mon style.
Tu as également coaché Roger Federer en Coupe Davis. Il ne t’a jamais agacé?
Non (rires). Même quand il faisait des c*nneries, ça me faisait marrer.
Quel est ton meilleur souvenir de lui?
Dans sa carrière tennistique, tu ne peux pas pointer un souvenir, c’est trop compliqué. Et des anecdotes et des fous rires, il y en a 50’000 avec lui, donc c’est également compliqué. Mais si je dois pointer quelque chose… (il réfléchit) C’est rare que je dise ça de quelqu’un, mais mon souvenir, c’est que j’aime ce mec, humainement.
Est-ce que pour toi, Roger Federer est le plus grand joueur de tous les temps?
Ça dépend où tu mets le curseur. Si tu prends les victoires en Grand Chelem, c’est Nadal qui a le plus beau palmarès car il a aussi été champion olympique en simple et il a gagné la Coupe Davis plusieurs fois. On dira peut-être aussi que c’est Djokovic.
Et si on prend une autre échelle?
Avec l’impact qu’il a eu dans le tennis… Si ce sport est ce qu’il est maintenant, que ce soit le niveau de compétition ou les prize money, il y est pour énormément. C’est comme Michael Jordan ou Tiger Woods. Qu’est-ce qu’on s’en fout si Michael Jordan a le plus grand palmarès de l’histoire de la NBA? Il y a eu le basket avant et après Jordan. Peu importe si tu as le plus grand palmarès, si tu es la personne la plus impactante dans ton sport. Ces débats, ce sont comme les pro- et les anti-Covid: tu n’arriveras jamais à mettre tout le monde d’accord là-dessus.
Et donc, Roger Federer est une personnalité impactante du tennis...
Il y a eu le tennis que j’ai connu avec Sampras et Agassi, puis il y a Roger qui est arrivé et qui a amené ce sport à un autre niveau. Bien sûr, après, Djokovic et Nadal sont arrivés, ils lui ont posé des problèmes et ont amené le tennis à un autre niveau également, mais Roger est le détonateur de tout ça. Il ne faut pas aussi oublier qu’ils se sont tous rendus service en se tirant la bourre. C’est ça qui a rendu le tennis aussi populaire, avec des matches de légende.
Quel sera l’héritage qu’il laissera au tennis suisse?
C’est par exemple Dominic Stricker. Mais il faut regarder 5-10 ans après si ça a donné des vocations à des jeunes joueurs. Mais pour Roger, c’est peut-être plus au niveau mondial que suisse. Carlos Alcaraz a 19 ans et il a certainement dû regarder des matches de Nadal et Federer… Sans doute avec un favori.
Dernière question: ton téléphone ne chauffe pas trop depuis l’annonce?
J’étais en rendez-vous. J’ai vu je-ne-sais-pas combien de messages et d’appels en absence. Je me suis dit que quelque chose s’était passé. Et c’est peut-être la seule bonne nouvelle par rapport à son arrêt — et ça, je lui ai dit à Roger: c’est la dernière fois que je parle aux journalistes par rapport à Roger Federer!