Entretien avec la sexologue Paula Lambert
«Beaucoup de femmes finissent par considérer le sexe comme un service rendu à l’homme»

La sexologue la plus connue d'Allemagne s'est rendue pour la première fois en Suisse ce jeudi 5 octobre pour un événement. Dans une interview avec Blick, Paula Lambert raconte sa pire expérience sexuelle et pourquoi nous osons si rarement la nouveauté au lit.
Publié: 06.10.2023 à 21:59 heures
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Dernière mise à jour: 06.10.2023 à 22:27 heures
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Lea Ernst

Madame Lambert, vous vous êtes produits ce jeudi pour la première fois en Suisse à Langenthal (BE). Quelle est la réputation des Suisses auprès des Allemands? Plutôt sexys ou coincés?
Vous savez quoi? Je ne connais personne qui ait déjà eu des relations sexuelles avec une Suissesse ou un Suisse. Mais en Allemagne, on dit que vous êtes un peu plus agréables que nous. J’imagine donc que l’on peut vivre des expériences plus intenses avec vous, ou que vous êtes un peu plus dans l’ici et maintenant. En tout cas, il est clair que les inventeurs d'un aussi bon dessert que les vermicelles ne peuvent tout simplement pas être mauvais au lit!

Votre nouveau talk s’appelle «Sex Education», il s'agit d'une sorte de cours d’éducation sexuelle devant un public. Aujourd’hui, nous pouvons nous renseigner sur la sexualité en seulement quelques clics, grâce à internet. Ne savons-nous donc pas déjà tout?
Aujourd’hui, on peut bien sûr googler toutes les questions plutôt «techniques» que nous pourrions avoir. Mais que ce soit lors d'événements, avec mon podcast ou en consultation de couple, ce que les gens cherchent réellement c'est des réponses à des questions dans un contexte beaucoup plus personnel: pourquoi suis-je toujours jaloux? Pourquoi mon partenaire atteint-il si rapidement l’orgasme? Pourquoi est-ce que je n’ai pas de rapports sexuels dans mon couple?

Donc l’aspect psychologique.
Exactement. Les situations de vie individuelles. Il s’agit de questions que les gens ne peuvent pas aborder avec leurs amis et amies. Et pourtant, c'est si important de le faire!

Depuis onze ans, Paula Lambert parle publiquement de sexe, d'amour et de relations.
Photo: zVg
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Que je comprenne bien: ces questions intimes, les gens vous les posent ensuite – en public pendant vos événements.
Il est intéressant de constater que cela est plus facile pour beaucoup de gens, oui. Le dernier épisode de mon podcast est un enregistrement en direct d’un événement. Devant 300 personnes, une femme raconte que son mari ne lui parle plus pendant des jours lorsqu’elle ne veut pas avoir de relations sexuelles. Le public lui a donné la force de parler de cet abus psychique, au lieu de ressentir de la honte. C’est dans ces moments-là que je suis fière de mon travail.

Pourquoi avons-nous tant de mal à parler de sexe?
A cause de la peur d’être jugé. Et parce que presque personne ne le fait et que personne ne nous dit à quel point ce serait sain. Nous avons généralement beaucoup de mal à exprimer nos besoins et nos sentiments – parce que la plupart d’entre nous n’ont jamais vraiment appris à le faire. Il suffirait pourtant d’un peu de pratique.

Et cela deviendrait plus facile?
Oui. Et c’est un extrême soulagement.

Vous avez dit une fois que le sexe nous montrait nos chantiers personnels.
C’est certain. Le sexe n’est pas que du sexe. Il nous montre d’une part comment nous nous sentons avec nous-mêmes, et d’autre part comment nous aimerions qu’une autre personne nous fasse resentir. Le sexe nous montre si nous travaillons trop, si nous sommes stressés, ce qui nous empêche de nous détendre. Le sexe permet de savoir où l’on en est. Une fusion, un contact et un engagement avec une autre personne. Ce sont des processus importants.

Nous vivons à une époque d’auto-optimisation. Pourquoi la société se développe-t-elle dans tous les domaines sauf dans celui de la sexualité?
Bonne question. Parce que pour cela, il faudrait se remettre totalement en question et décider consciemment d’y travailler. Le sexe nous rend vulnérables. C’est pourquoi l’idée d’essayer de nouvelles choses est tellement effrayant pour beaucoup de gens, ils préfèrent laisser les choses telles qu’elles sont. Même si le couple en souffre.

Cela arrive-t-il souvent?
Dans presque toutes les relations, à un moment donné: trop peu, trop, trop ennuyeux. Chez la plupart des gens, il y a un contraste énorme entre ce qu’ils pensent devoir faire pendant l'acte et ce qu’ils aimeraient vraiment faire.

Comment découvrir ce qui nous excite vraiment?
En nous éloignant de ce que nous connaissons. Dans la plupart des cas, la relation sexuelle se résume à la pénétration et c’est tout. Pour les femmes en particulier, la pénétration seule n’est pas vraiment satisfaisante. Ce qui fait que beaucoup d’entre elles finissent par considérer le sexe comme un service rendu à l’homme.

Et qu’en est-il pour les hommes?
Ils finissent par croire que les femmes n’ont de toute façon systématiquement plus envie de faire l’amour après avoir été en couple pendant un certain temps.

Très concrètement, que pouvons-nous faire pour y remédier?
Les préférences sexuelles sont extrêmement individuelles, il n’y a pas de «recette secrète». Mais en général, il s’agit d’entrer dans un mode de pensée qui privilégie la curiosité et l’expérimentation. De développer sa propre sexualité et d’en faire toujours une priorité. C’est fou le nombre de couples pour qui il est normal de ne plus avoir de relations sexuelles parce qu’ils sont ensemble depuis si longtemps.

Arrive-t-on un jour à un point où l’on n'a plus besoin de travailler sur soi? Ou est-ce un processus constant?
La vie est toujours un processus! Personnellement, je suis satisfaite de moi lorsque je regarde en arrière et que je constate que les choses avancent. Si je me sens en décalage avec mes actions passées, c’est que je suis sur la bonne voie.

Vous habitez à Berlin. Quel est le rapport entre la localisation et la sexualité?
Ici, à Berlin, il y a une telle liberté sexuelle qu’on n’a presque pas d’autre choix que de s’interroger sur sa propre sexualité – et de l’explorer. A la campagne, c’est plus compliqué, le voisinage parle vite!

Parler tout le temps de sexe – n’est-ce pas aussi un peu trop?
A mon avis, non. Plus on en parle, plus les gens sont en mesure de réfléchir. Qu’est-ce que je veux vraiment? Quelles sont les possibilités qui s’offrent à moi? Est-ce que ce que je vis est ce dont j’ai envie? Il suffit alors d’avoir confiance en soi et de dire: «Let’s go», c’est ce que je veux essayer. Ce n’est qu’en parlant que les gens se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls dans leur situation.

Quel est, selon vous, le plus grand malentendu sur le sexe ou les relations?
Le fait de ne pas pouvoir se montrer tel que l’on est. Si l’on prétend par exemple au début de la relation être une bête de sexe au lit, alors que ce n’est pas le cas, on est sûr d’être malheureux avec le temps. Même si cela demande un peu de courage, ce n’est qu’en étant honnête dès le début de la relation que l’on attire des personnes qui nous correspondent vraiment.

Y a-t-il d’autres malentendus?
Qu’il faut cocher une check-list pour avoir une sexualité épanouie: être jeune, avoir une certaine silhouette et un certain style de vie. Pourtant, il y a de nombreux seniors qui ont une bien meilleure vie sexuelle que les jeunes de 20 ans.

Voilà de bonnes perspectives d'avenir!
Oui, mais pour y parvenir, il faut travailler sur soi et en parler. C’est particulièrement difficile pour les hommes, car ils n’ont jamais appris à le faire.

Mais les jeunes d’aujourd’hui sont déjà dans de meilleures dispositions, non?
Heureusement, oui. Mais il y a aussi des mouvements contraires: Andrew Tate l'influenceur misogyne, par exemple, qui attise la peur de ses followers en leur disant que l'émancipation des femmes leur «prend quelque chose». C’est un dangereux retour en arrière pour tout le monde.

Vous parlez publiquement de sexe depuis environ douze ans. Pourquoi les femmes continuent-elles à être souvent dévalorisées dès que nous parlons de la sexualité?
Seules des personnes stupides traitent les femmes qui parlent de sexe de salopes! Mais eux aussi finiront par comprendre que ce n’est pas la bonne attitude. Personnellement, j’encourage chaque femme à s’exprimer librement sur le plan sexuel. En gardant bien sûr toujours à l’esprit de respecter son bien-être sur le plan émotionnel.

Vous avez deux enfants. Quelle est la meilleure façon de parler de sexualité avec eux?
Il était très important pour moi de leur apprendre dès le début les limites concernant leur propre corps. Personne ne peut les toucher s’ils ne le souhaitent pas. La sexualité, c’est faire en sorte que les gens se sentent bien ensemble.

Aujourd’hui, vos fils ont 16 et 19 ans. Dans quelle mesure votre famille est-elle ouverte sur le sujet de la sexualité?
Je ne leur ai jamais caché que j’étais une personne active sur le plan sexuel. Beaucoup d’enfants pensent que leurs parents ressemblent à Ken et Barbie en bas – qu’il n’y a rien et qu’il ne se passe rien sur ce plan. Mes enfants savent que j’ai un corps et un partenaire. Si l’on apprend à ses enfants que le sexe est un acte honteux, ils internalisent cette honte. Cela peut avoir de graves conséquences.

De quelle manière?
Premièrement, il est beaucoup plus difficile pour eux de se développer sexuellement. Deuxièmement, ils n’osent pas raconter quand quelque chose de désagréable s’est produit. Qu’il s’agisse d’agressions, ou en cas de grossesse non désirée! Pour moi, le pire est qu’un enfant sente qu’il ne peut pas vous faire entièrement confiance. Mes enfants échangent beaucoup avec moi, je peux même parfois être leur conseillère. Cela me rend fière, car c’est le signe qu’ils me font confiance.

Pour terminer, puis-je vous poser une question personnelle?
S’il vous plaît!

Quels ont été les meilleurs et les pires rapports sexuels que vous ayez eus?
Les meilleurs étaient clairement avec mon partenaire actuel. Et je ne dis pas cela uniquement parce qu’il est assis à côté de moi (rires). Je ne me suis jamais sentie aussi libre, surtout émotionnellement. Concernant le pire rapport sexuel, je peux même vous dire la date exacte...

A ce point! C'est que c’était vraiment mauvais, alors.
Et comment! C’était en 1993 avec un beau Français qui s’appelait François. Il est venu après environ six secondes et a dit: «J'ai fini, c'est tout bon.» J’étais consternée par cette absence totale de volonté d’entrer en contact avec la personne avec laquelle on se trouve. Si j'avais su à l'époque ce que j'ai appris depuis toutes ces années, j’aurais chassé François de chez moi.

Mais comme vous l’avez dit tout à l’heure – quand nous nous sentons en décalage avec nos actions passées, c'est que nous sommes sur la bonne voie.
C’est vrai. C’est à cette époque que j’ai appris qu’il ne faut pas se laisser aveugler par les apparences. François n’a jamais eu à faire d’efforts, les filles lui tombaient dans les bras comme par magie. Au lieu de lui dire ce que j’en pensais, je me suis dit: «Wow, j’ai vraiment couché avec lui!» Même si ce n’était que pour six secondes. Mais ça, personne ne le savait.

Sauf moi, maintenant. Et tout le lectorat de Blick.
Oui, c’est bien! Mes salutations au sud de la France!

Mais qui sait, peut-être que le beau François a lui aussi appris quelque chose entre-temps. Si j’ai retenu quelque chose de notre conversation, c’est qu’il y a de l’espoir pour tous.
J'espère. Et pour ceux qui en doutent encore, je n’ai rencontré l’homme de mes rêves, avec qui j’expérimente le meilleur sexe de ma vie, qu’à 48 ans.

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