L'application vient d'arriver en Suisse
J'ai testé Timeleft et j'ai mangé des raviolis avec 4 (gentils) inconnus

Disponible depuis peu à Lausanne, Genève et Zurich, cette application organise des dîners avec des groupes d'inconnus (et potentiels amis), dont la compatibilité est estimée par un algorithme. Notre journaliste a testé l'expérience à Lausanne et vous raconte sa soirée.
Publié: 14.03.2024 à 18:22 heures
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Dernière mise à jour: 15.03.2024 à 09:29 heures
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

«Le plus dur est fait!», m'annonce l'application lorsque je finalise mon inscription. Sur le moment, j'avoue que cette promesse m'a un peu rassurée. Je me suis même félicitée d'avoir rassemblé le cran de réserver ce billet aller-retour vers ma «zone d'inconfort»: un dîner au restaurant avec cinq inconnus choisis par un robot. 

Maintenant que j'ai testé l'expérience, je peux toutefois vous garantir que cette petite phrase est un mensonge absolu: le plus dur, ce n'est pas de se motiver, de remplir le questionnaire de personnalité, de payer les 13 fr. d'inscription et d'attendre patiemment que l'algorithme élise le groupe qui partagera votre soirée. Non, le plus dur, c'est de se diriger seul vers le restaurant choisi et d'expliquer au chef qu'on cherche la table numéro 1 pour une «soirée Timeleft». 

Et ce n'est pas terminé: une fois ladite table identifiée, il convient de ne pas rougir, transpirer ou bafouiller en découvrant les quatre ou cinq visages inédits qui se relèvent, alors qu'on s'approche à petits pas hésitants... Spoiler: ma soirée s'est très bien passée. Mais durant ces premiers instants, j'étais plus crispée qu'une nouvelle élève guidée vers la salle de classe par la maîtresse, complètement anxieuse à l'idée que tout le monde la trouve nulle. Ce fut un véritable flashback, le cartable Hello Kitty en moins. 

De gauche à droite, Malika, Alan, Chris, Elodie et moi: nous avons partagé une soirée chez Amici, à Lausanne, alors que nous ne nous connaissions absolument pas.
Photo: DR

Un nouveau concept anti-solitude en Suisse

Avant de vous raconter la suite, rembobinons un peu le temps. Quelques jours plus tôt, intriguée par un arsenal publicitaire déployé sur les réseaux sociaux, j'avais décidé d'offrir une chance à l'application Timeleft, disponible à Genève, Lausanne et Zurich depuis quelques semaines. Alors que la solitude est un fléau moderne des plus redoutables (40% de la population suisse souffre de ses effets néfastes sur la santé), l'idée de tisser de nouvelles amitiés potentielles «en vrai» me semblait follement romantique. 

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Bien que le concept, proche du blind dating amical, n'est pas strictement dédié aux rencontres amoureuses, il se targue quand même de se substituer à Tinder, Hinge ou Bumble, dans la mesure où l'algorithme propose de sélectionner des individus compatibles avec votre personnalité. Pour réussir ce tour de maître, l'application demande à chaque participant de fournir son âge, son occupation et son signe astrologique, avant de lui soumettre une liste de questions plus ciblées: Préférez-vous écouter du rock ou du rap? Quelle importance accordez-vous à la spiritualité? Appréciez-vous l'humour politiquement incorrect? Êtes-vous plutôt drôle ou intelligent? Quelle est la meilleure description d'une soirée idéale pour vous? Êtes-vous une personne stressée, créative, sensible...?

Une fois que l'algorithme vous connaît mieux, il suffit de s'abonner à l'application (environ 20 fr. par mois) ou d'acheter un billet unique pour un seul dîner (environ 13 fr.). Le lieu du dîner et de vagues informations sur vos futurs BFFs ne sont révélés que quelques heures avant le rendez-vous. Une fois le repas terminé, chacun paie sa part, conformément à la fourchette de prix renseignée lors de l'inscription. L'application vous demandera ensuite de noter la compatibilité du groupe («Auriez-vous envie de partager un autre dîner avec cette personne?») et, à condition d'être abonné, vous permet de discuter avec les autres participants via le chat.

«Toi, tu es Capricorne, c'est sûr!»

Dès l'arrivée dans le restaurant, l'application voudrait que chaque participant s'annonce en prononçant les mots «Hello Stranger». Évidemment, je laisse cette jolie consigne s'échapper de mon cerveau et prends simplement place comme si je rejoignais des cousins. Après quelques secondes, saisie d'un élan de panique, l'ingénieuse idée me vient de glapir: «C'est bien la table Timeleft, n'est-ce pas?» Heureusement, je suis au bon endroit. Nous sommes à l'excellent restaurant italien Amici, où l'accueil est aussi ensoleillé que les mets.

Une fois mes quatre coéquipiers installés, on se fixe l'ambitieuse mission de deviner le signe astrologique et le métier de chacun. On se trompe profusément. Impossible d'établir, sans se rabattre sur un processus d'élimination et de hasard, qui est Bélier, Lion ou Balance, et encore moins qui travaille dans la finance, l'hôtellerie ou les médias. «Tu ne peux pas être Poissons, toi! Ah si? Bon ben, désolé...» Les premières impressions sont trompeuses, mais la glace ne tarde pas à fondre: nos rires ne laissent réapparaître le silence qu'au moment où, soudainement très studieux, nous plongeons le nez dans la carte. Ce sera très facile: quatre plats du jour (des raviolis au fromage) et un tartare. 

Pour éviter que l'adrénaline de la rencontre ne retombe comme un soufflé, Timeleft a tout prévu: une demi-heure après le début de la soirée, l'application rend accessible une liste de questions «réalisées par des pros de la communication». On les passe en revue l'une après l'autre, alors que la pétillante Malika fait office de cheffe de cérémonie en les lisant à haute voix. «Racontez un souvenir d'enfance embarrassant ou drôle»: ils n'y vont pas de main morte, chez Timeleft! Je raconte la fois où, à 13 ans, j'étais montée dans la mauvaise voiture en croyant suivre ma mère, pour me retrouver nez-à-nez avec un quinquagénaire en costard hyper choqué. 

«En quel animal auriez-vous envie de vous transformer?» Alan choisit l'aigle, Élodie le chat, Malika le canard («Parce qu'il peut marcher, nager et voler!»). «Quel est votre artiste ou groupe musical préféré?» Je sème l'incompréhension et le désarroi en avouant que j'adore Taylor Swift. «Quelle citation ou mantra vous inspire?» Élodie lance «YOLO» en riant, tandis que Chris aborde carrément les quatre accords toltèques. Nos raviolis (et le tartare) arrivent au moment où on essaie de se rappeler lesquels ils sont... 

Et après le dessert?

Je découvre que l'application peut déjà compter sur un petit réseau de fidèles adeptes: Chris, Malika et Élodie avaient déjà participé à l'une des précédentes soirées Timeleft (toujours organisées le mercredi) et ont désormais quelques amis en commun, qui se retrouvent régulièrement à Lausanne. Le concept a l'air de prendre, comme une bouffée d'air qui apaise notre lassitude des écrans. Et puis bon, quelle autre application permet de rencontrer des inconnus en dévorant un semifreddo (celui d'Amici est excellent) ou un tiramisu? 

Avant que nos chemins se séparent, vers 23h, chacun s'abonne au compte Instagram des autres. J'ai l'impression de connaître ces quatre personnes depuis des lustres, alors qu'on s'est rencontrés il y a trois heures seulement: le temps d'une soirée, on a parlé philo, musique, souvenirs, défauts et accomplissements personnels. Élodie a une répartie incroyable, Chris sait danser la salsa, Malika parle couramment italien et Alan est un grand sportif. On s'inquiétait d'oublier les prénoms, mais voilà qu'on a mémorisé les signes astrologiques des autres!

En s'éloignant du restaurant, on croise un magnifique chat noir posté le long du trottoir. Plusieurs d'entre nous, attendris, émettent des couinements suraigus sans le moindre embarras. On dirait bien que chacun ose déjà être soi-même en compagnie du groupe. Et en plus, on a bien mangé. Timeleft a accompli sa mission. 

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