Les formes avancées de la maladie ne diminuent pas
Comment reconnaître un mélanome et quand consulter

Alors que le mélanome touche environ 3200 personnes par an en Suisse et que les formes avancées de la maladie ne diminuent pas, un récent article rédigé par une équipe des HUG discute du manque d’efficacité des critères de dépistage utilisés et propose de les revoir.
Publié: 24.06.2024 à 16:52 heures
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Dernière mise à jour: 25.06.2024 à 09:37 heures
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

On pense souvent au mélanome en été, lorsque les manches se retroussent et que les habituelles garnisons de crèmes solaires regagnent leur position dans les rayons. On a incroyablement tort: il faudrait y penser toute l’année, même quand un tenace stratus tente de nous faire oublier l’existence même des lunettes de soleil et des parasols. 

Car la Suisse reste le pays d’Europe le plus concerné par le cancer de la peau de type non-mélanome, avec 20’000 à 25’000 cas par an. Le mélanome lui-même, étant le type le plus agressif, présente environ 3200 nouveaux cas et entraîne 300 décès chaque année, d’après les chiffres de la Ligue suisse contre le cancer. Il s’agit du cinquième type de cancer le plus fréquent au niveau national et son nom suffit pour glacer les sangs, alors qu’on porte un regard furtif à ce grain de beauté, là, qui nous semble un peu bizarre… 

Cependant, l’angoisse que suscite cette maladie de la peau ne suffit pas à la rendre moins mortelle. Au contraire! Dans un article publié ce printemps dans la Revue médicale suisse, des spécialistes soulignent que le taux de formes avancées de la maladie ne baisse pas, malgré plusieurs décennies d'efforts et de dépistage. 

Dans un article publié ce printemps dans la Revue médicale suisse, des spécialistes soulignent que le taux de mortalité lié au mélanome ne baisse pas, malgré plusieurs décennies d’efforts et de dépistage.
Photo: Shutterstock

Des cabinets saturés

«Beaucoup de personnes s’imaginent qu’elles doivent absolument faire contrôler leurs grains de beauté régulièrement, mais en trente ans, ce type de dépistage n’est jamais parvenu à faire baisser la mortalité liée au mélanome, résume le Dr. Rastine Merat, médecin adjoint à l’Unité d’onco-dermatologie des HUG et l’un des auteurs de la publication. Si toute la population devait montrer ses grains de beauté, il n’y aurait tout d’abord pas assez de dermatologues pour cela et surtout cette démarche entrainerait une saturation des cabinets de dermatologie, si bien que les individus ayant vraiment besoin d’une prise en charge ne serait reçus qu’après des mois d’attente.» 

Pour cette raison, les auteurs de l’article appellent à revoir les recommandations, afin que le dépistage soit plus efficace, en insistant notamment sur les facteurs de risque et en corrigeant certaines fausses idées concernant le mélanome. 

Qui est vraiment à risque?

En premier lieu, le Dr. Merat souligne que le fait d’avoir beaucoup de grains de beauté ne signifie pas forcément qu’on est plus à risque: «D’anciennes études ont permis d’observer que les personnes ayant un nombre important de grains de beauté ont un risque plus élevé de développer un mélanome, explique le spécialiste. Or, on constate aujourd’hui que ce paramètre est bien trop large, et pas forcément pertinent pour identifier les personnes à risque. Ce critère très perceptible par la population elle-même est source d’une anxiété croissante et à l’origine de demandes de consultation auprès des dermatologues, alors qu’il ne représente pas une situation ‘pathologique’ mais ‘physiologique’. En d’autres termes, il est tout à fait normal d’être porteur de grains de beauté.»

Les auteurs de l’article estiment en effet que la population devrait prendre en considération d’autres facteurs de risque, qui semblent plus pertinents que le nombre de grains de beauté. Parmi ceux-ci, le Dr. Merat cite notamment l’antécédent personnel ou familial de mélanomes, un état d’immunosuppression en particulier induit par certains médicaments, sans oublier la combinaison d’une peau claire et le fait d’avoir reçu, durant les premières décennies de la vie, des coups de soleil à répétition. 

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Quand faut-il s’inquiéter d’un grain de beauté?

Vous avez sans doute déjà entendu parler de l’acronyme ABCDE (asymétrie, bordure irrégulière, couleur hétérogène, grand diamètre et évolution), réputé pour permettre d’identifier facilement une lésion suspecte… Si cette méthode constitue une bonne base didactique, le Dr Merat considère qu'elle n'est pas très efficace et incite à des demandes d'avis non pertinentes: «Cette règle n’est pas très efficace, dans la mesure où ces cinq critères s’appliquent très souvent aux verrues séborrhéiques, des croissances bénignes et communes qui touchent la majorité des gens après 40 ans».

Dans ce cas, comment savoir s’il faut s’inquiéter d’un grain de beauté? Pour le Dr. Merat, la méthode qui consiste à guetter le «vilain petit canard», soit une lésion qui sort du lot et qui est différente de toutes les autres, est probablement plus efficace que la règle ABCDE: «Cette méthode s’applique aussi bien aux personnes qui ont peu ou même aucun grain de beauté qu'à celles qui en ont beaucoup». D’ailleurs, le Dr Merat souligne que souvent, les personnes qui développent des mélanomes agressifs n’ont aucun ou peu de grains de beauté sur le corps: «Il s’agit là d’une constatation clinique pour laquelle nous ne disposons pas encore suffisamment de données, mais c’est quelque chose qu’on observe fréquemment».

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Excisions pas forcément utiles

Notre intervenant souligne ainsi que la peau est un organe facile d'accès pour des ablations de lésions «suspectes», contrairement aux organes internes, ce qui engendre un nombre incalculable d'excisions «préventives»: «Cette démarche de plus en plus prônée, n'a pour autant jamais démontré son efficacité pour réduire la mortalité liée au mélanome à l'échelle d'une population, déplore-t-il. En revanche, elle est probablement à l'origine d'un nombre important de surdiagnostics, à savoir d'excision de lésions qui sont étiquetées de mélanomes, mais qui n'auraient pas nécessairement eu un comportement malin. Ces excisions en grand nombre expliquent probablement ‘l'épidémie de mélanome’ mais qui fort heureusement ne s'est jamais accompagnée, au cours des dernières décennies, d'une augmentation de la mortalité liée au mélanome comme on aurait pu s'y attendre.»

Le Dr Merat observe en effet que la seule augmentation objective de la mortalité liée au mélanome n'est constatée qu'au sein de la proportion croissante de la population vieillissante (comme beaucoup d'autres cancers).

Comment prévenir le mélanome?

Si l’autosurveillance joue un rôle crucial, la prévention primaire reste la mesure la plus efficace: «Il s’agit simplement de s’exposer le moins possible, au soleil, surtout de l’adolescence à la trentaine, et de protéger la peau des jeunes enfants», recommande notre expert. 

Les personnes qui remarquent une nouvelle lésion évolutive et qui diffère des autres devraient, quant à elles, consulter un ou une dermatologue.

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