La chronique de Myret Zaki
Explosion des primes maladie: l’heure de dire stop

Des primes impossibles à payer pour un tiers des ménages en Suisse, qui sont financées par des milliards de subsides, et donc par les contribuables, sont une aberration économique. Il est temps de limiter les primes à 8% - 10% des revenus.
Publié: 05.06.2023 à 18:36 heures
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

On le sait, en Suisse les ménages ont subi une hausse de 145% des primes d’assurance maladie entre 1996 et 2020. Et cela n’inclut pas la hausse vertigineuse de 6,6% en 2023, qui sera suivie d’une autre de même ampleur en 2024.

Sur 28 ans, l’explosion des primes sera donc supérieure à 145%. Et surtout, elle dépasse de loin la hausse des salaires et de l’inflation sur la même période, et représente facilement plus de 14% des revenus modestes.

Le contribuable paie à double

Conséquence, les assurés sont toujours plus nombreux à ne pas pouvoir payer leurs primes. Aujourd’hui, pas moins de 37% des ménages en Suisse sont obligés de recourir à l’Etat afin qu’il s’acquitte des primes à leur place, en tout ou en partie, via des subsides. Et la demande de subsides ne fait qu’augmenter. Résultat, c’est l’Etat, c’est-à-dire les contribuables, qui contribuent démesurément aux revenus des caisses maladies privées.

Les prix des primes maladie explosent: il faut dire stop.
Photo: KEYSTONE/CHRISTIAN BEUTLER

Le montant des subsides avoisine actuellement les 6 milliards de francs par an: c’est donc cela qui sort des caisses publiques pour alimenter les profits privés des compagnies d’assurances. Cela veut dire, en outre, qu’un contribuable de la classe moyenne paie à double titre: il paie aux assureurs sa propre prime, puis ses impôts paient aux assureurs les primes des assurés moins bien lotis. Finalement, ça n’est donc rien moins qu’un impôt obligatoire qui alimente des profits privés. Comment une telle aberration économique peut-elle perdurer?

Le double de ménages subventionnés

Depuis 1996, les primes ont augmenté de manière aussi incontrôlable qu’antisociale, et comme on le voit, cela se répercute non pas seulement sur les assurés précaires, mais sur toute la population. Il n’est pas difficile d’aller consulter les statistiques fédérales pour voir l’évolution insoutenable des trois dernières décennies. Les primes explosent, et les salaires ne suivent absolument pas.

Par exemple, entre 2007 et 2017, les primes maladie ont augmenté 4 fois plus que les salaires bruts (y compris l’allocation de renchérissement et le 13ème salaire), avait calculé le magazine Bilan. La conséquence directe est qu’entre 1996 et 2020, le nombre de ménages touchant des subsides à l’assurance maladie a doublé en Suisse, tout comme le montant moyen du subside par ménage.

La population a augmenté deux fois moins, au cours de cette période, que le nombre de bénéficiaires de subsides. Si l’on prend le montant de subside annuel moyen versé par bénéficiaire (plutôt que par ménage), il a quant à lui triplé. Par ailleurs, les montants par assuré mis aux poursuites ont constamment augmenté depuis 15 ans. Comment n’irait-on pas dans le mur en pompant à ce rythme l’argent public et celui des contribuables?

Nos impôts paient les assureurs

Peu importe de quel côté on prend le problème, l’évidence est là: l’explosion des subsides trahit la captation croissante, par des primes maladie, de l’argent public et des caisses du social. Pareille inefficience devrait faire réfléchir la classe politique à une solution urgente à ces augmentations du coût de l’assurance, qui ne tiennent pas compte du niveau des revenus et de l’impossibilité pour un nombre croissant de personnes de suivre.

Verser plus de subsides n’est pas une solution si cela se paie par une explosion des dépenses sociales et des impôts, surtout au niveau cantonal. En effet, la part des cantons aux versements des subsides est passée de 20% en 1996 à 48% en 2020. Et cela ne s’arrangera pas, car les contribuables devront financer encore davantage, à l’avenir, les subsides des plus précaires. Finalement, ce sont donc essentiellement les impôts cantonaux qui enrichissent les compagnies d’assurances.

Un secteur plus que lucratif

Le secteur des assurances maladie est un secteur lucratif, dans lequel les patrons des dix plus grands groupes gagnent entre 500'000 et 1 million de francs de salaire annuel. En outre, les assureurs gèrent une fortune placée en bourse, qui alimente des réserves confortables destinées à couvrir une année supplémentaire de solvabilité.

Ces réserves étaient largement excédentaires ces dernières années. Elles ont culminé à 12 milliards en 2021, ce qui représentait le double des 6 milliards exigés au niveau légal. L’an dernier, elles sont descendues à 9,5 milliards en raison de la mauvaise performance boursière, ce qui représente toujours un surplus de 3,5 milliards par rapport à ce qu’exige la loi.

Quelles solutions?

Malgré cela, le surplus de 3,5 milliards des caisses maladie n’est pas utilisé pour amortir la brutalité des hausses de primes. Pourtant, une année de hausse de 6% des primes représente environ 2 milliards de francs. L’augmentation pourrait donc être couverte, même en partie, par ces réserves excédentaires, sans même que celles-ci ne soient entièrement utilisées.

Mais cette option n’est pas sur la table; nous en parlons ici à titre de démonstration pour montrer comment une part des réserves, censément superflues, pourrait avoir une utilité publique et soulager la population du choc d’une hausse de 6% des primes, qui mène à un surplus subsides, ce qui ne fait que déplacer le problème. Mais les assureurs ne souhaitent pas puiser dans leurs réserves. Tout au plus ont-ils remboursé des réserves au titre de l’année 2022 à leurs assurés pour quelques dizaines de millions de francs par groupe.

L’option évidente est celle de fixer les primes à un pourcentage vivable des revenus: 10% ou 8%, comme le proposent les Socialistes, ce qui soulagerait les personnes entraînées dans la précarité par ces primes. Comme déjà évoqué, des primes non proportionnelles aux revenus, qui augmentent chaque année, sont une aberration économique. Les coûts supplémentaires de cette mesure ne seraient pas, selon toute vraisemblance, supérieurs aux 5,5 milliards que coûtent actuellement les subsides chaque année.

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