Avant d'entrer au Panthéon
Robert Badinter emporte dans sa tombe la gauche morale française

L'ancien ministre de la Justice français entrera prochainement au Panthéon, le mémorial des grands personnages de la République. Mais son héritage, celui de la gauche morale, est déjà au cimetière.
Publié: 14.02.2024 à 19:43 heures
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Dernière mise à jour: 14.02.2024 à 21:22 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Son entrée prochaine au Panthéon, annoncée par Emmanuel Macron lors de l’hommage national rendu à son action mercredi 14 février, n’a pas de quoi réconforter ceux qui combattirent aux côtés de Robert Badinter au sein de la gauche française. Car l’héritage de cet avocat décédé le 9 février à 95 ans, ressemble plus à un cimetière politique qu’à un terrain d’avenir.

Au-delà du moment historique que fut l’abolition de la peine de mort obtenue en octobre 1981, quelques mois après l’élection du président socialiste François Mitterrand, ce pénaliste était d’abord un réformateur. Ses valeurs de gauche étaient empreintes de morale. Badinter, devenu un grand bourgeois aux côtés de sa femme Elizabeth, héritière de l’empire Publicis, se tenait à l’écart des batailles intestines au sein du parti socialiste, et il ne croyait pas aux discours révolutionnaires, dont il savait bien qu’ils conduisirent souvent, en France, à la guillotine.

Son héros n’était pas Robespierre, la figure du révolutionnaire impitoyable adorée par le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon. Badinter n’était pas non plus Danton, cet autre leader révolutionnaire condamné par le premier à être décapité, le 5 avril 1794. Badinter était plus proche de Mirabeau, mort de maladie en 1791 et célèbre pour sa phrase: «Il y a pire que son bourreau, c’est son valet».

Le président français Emmanuel Macron rend hommage devant le cercueil drapé du drapeau du célèbre avocat et ancien ministre français de la Justice Robert Badinter, à l'origine de l'abolition de la peine de mort en France, lors d'une cérémonie d'hommage national à la Place Vendôme à Paris, en France, le 14 février 2024.
Photo: DUKAS
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Un élan national

Robert Badinter a suscité, depuis l’annonce de sa mort, un élan national. Devant le ministère de la Justice, place Vendôme à Paris, des milliers de personnes sont venues signer le livre de condoléances, avant que la cérémonie d’hommage républicain ne prenne place des lieux, mercredi 14 février. Logique. Cet homme-là, connu pour sa plaidoirie passionnée du tueur Patrick Henry en janvier 1977 (à qui il évita la peine de mort, avant de militer pour l’abolir), faisait partie de ces «justes» qui manquent de plus en plus à la société française.

«Le rappel de la rectitude et de l’intransigeance de l’ancien garde des sceaux apparaît salutaire au moment où le ministre de l’Intérieur oppose la politique au droit, où le rôle du Conseil constitutionnel est contesté et où la surpopulation carcérale atteint des records inquiétants», notait Le Monde dans son éditorial du 10 février. Et d’ajouter: «Son opiniâtreté à défendre les valeurs universalistes et européennes, sa capacité à choisir des combats justes et à les remporter ne peuvent qu’inspirer la gauche, difficilement remise de l’épreuve du pouvoir.»

Les fils tissés par Badinter

La gauche française, de toute façon, a perdu le fil tissé par Badinter. Le parti socialiste, qu’il représenta comme Sénateur de Paris entre 1995 et 2011, n’est plus que l’ombre de la formation qui porta François Mitterrand au pouvoir en 1981, puis Lionel Jospin, premier ministre de la cohabitation entre 1997 et 2002 et François Hollande, président de 2012 à 2017. L’idée sociale-démocrate du compromis est torpillée par la radicalité ambiante, propre à La France insoumise (LFI) et aux Verts.

La France s’est remise à pencher du côté révolutionnaire et contestataire, tandis que l’extrême-droite a mis la main sur des questions telles que la nation ou l’immigration. Symbole de ce basculement et de cette rupture personnelle: la famille Badinter n'a souhaité, ni la présence de LFI (quand même représentée), ni celle du RN à son hommage.

Chez l'avocat, dans son appartement familial du quartier très huppé du Luxembourg, à Paris, deux cuillères en métal étaient dépositaires du passé. Ramenées du camp d’internement français de Rivesaltes et du camp de déportation d’Auschwitz (son père Simon, arrêté à Lyon en 1943, trouva la mort à Sobibor) elles évoquaient à la fois l’espoir et l’humanité terrassés. Seuls objets autorisés dans ces camps, elles disaient aussi la dignité puisque les déportés, sans ces cuillères, n’avaient pas d’autre choix que de laper leur maigre soupe.

Robert Badinter croyait au rôle du parlement plus qu’à celui de la rue pour faire évoluer une société démocratique. Il défendait le droit contre la violence. Il savait que l’économie capitaliste, dont le groupe familial de son épouse est un acteur majeur, est aujourd’hui incontournable. Il avait défendu des criminels et des stars. Mais il était resté de gauche, au nom des valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Pas sûr qu’à l’avenir au Panthéon, aux côtés de Jean Jaurès ou de Victor Hugo, l’exemple de Robert Badinter inspire encore les jeunes générations de militants et d’activistes, plus tentés par le rapport de force que par le combat d'idées.

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