Commentaire de Richard Werly
Qui veut encore être socialiste en France en 2023?

Vu de l'étranger, le PS français est en ruines. Cette formation qui dirigea la France sous François Mitterrand (président de 1981 à 1995), Lionel Jospin (Premier ministre de 1997 à 2002) et François Hollande (président de 2012 à 2017) ouvre son Congrès le 12 janvier.
Publié: 11.01.2023 à 19:58 heures
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Dernière mise à jour: 12.01.2023 à 10:40 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Que veut dire être socialiste en France en 2023? Qui veut encore militer dans un parti abonné depuis plusieurs années aux pires scores électoraux de son histoire? Ce jeudi 12 janvier, le PS qui fut jadis celui de François Mitterrand se présente tel un fantôme à son Congrès, destiné à désigner son Premier secrétaire.

Sa photo d’identité? 28 députés (contre 295 en 2012) et 64 sénateurs, plombés par un chiffre qui les hante: les 1,74% des suffrages recueillis par Anne Hidalgo au premier tour de l’élection présidentielle d’avril 2022. La maire de Paris, retournée à son poste après cette humiliante défaite, est devenue le symbole d’un parti déboussolé: une impopularité chronique, un bilan très contesté à la tête de la capitale, et un refus d’en tirer les conséquences. «Le parti socialiste est confronté à une infernale spirale de l’échec», commente le politologue Pascal Perrineau, auteur d’un essai sur «Le vote clivé» (Ed. Presses Universitaires de Grenoble).

Mouvance sociale-démocrate

L’actualité française est pourtant, en théorie, propice à la mouvance sociale-démocrate que le PS incarne. Ce mardi, le gouvernement a présenté un projet de réforme des retraites qui va mettre les syndicats dans la rue le 19 janvier, et que la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon a promis de combattre, avec sa propre manifestation annoncée pour le 21 janvier. L’argument de cette réforme, défendue depuis 2017 par Emmanuel Macron, est de sauver le «modèle social français» en remédiant au déficit chronique du régime des retraites qui accusera, si rien n’est fait, un trou de 13,5 milliards d’euros en 2030. Les mesures proposées, comme le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans à cette date, et l’obligation de cotiser 43 ans à partir de 2027, soulèvent à la fois un débat économique et un débat de société.

Un débat télévisé a été organisé le 6 janvier entre les candidats à la tête du PS, dont le congrès s'ouvre ce jeudi 12 janvier. De gauche à droite: Olivier Faure, Premier secrétaire depuis 2018, Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin (Rhône), et Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen (Seine-Maritime).
Photo: DUKAS

Problème: le PS n'est nulle part. La dernière réforme des retraites en date, celle de 2013 menée par l’ancienne ministre Marisol Touraine, était pourtant estampillée socialiste. Le président de la République était à l’époque l’ex-Premier secrétaire du PS François Hollande. La ministre elle-même était une ancienne fidèle de Michel Rocard, autre figure tutélaire de cette formation. Mais voilà: le PS français est englué dans ses affaires internes. À gauche, le patron est désormais Jean-Luc Mélenchon, un homme qui s’est juré de tuer son ancien parti depuis qu’il l’a quitté avec fracas en 2008.

En 2023, un PS à terre et fracturé

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Le PS existe pourtant encore sur une carte politique de la France. Il contrôle des villes, comme Nantes ou Rouen, dont le maire, Nicolas Mayer-Rossignol, est candidat pour succéder à l’actuel patron des socialistes, le député Olivier Faure. La formation tient cinq des treize régions françaises. Mais ce parti d’élus locaux a vu fondre le nombre de ses militants, tombé autour de 30'000. Pire: il ne signifie plus grand-chose dans l’opinion publique.

Au sortir du quinquennat de François Hollande, 77% des Français avaient une mauvaise image du PS. Depuis, ce dernier a vendu son siège cossu de la rue de Solférino à Paris, et s’est installé à Ivry, en banlieue. Le masque est tombé. L’écologie, la radicalité politique des jeunes générations et l’absorption d’une partie du centre-gauche par Emmanuel Macron l’ont dévitalisé. «Les élections locales avaient donné l’illusion que c’était un parti de premier plan», complète le politologue Rémi Lefebvre dans son livre «Faut-il désespérer de la gauche». Celui-ci estime que la page est tournée. «Le PS est mort, Vive la gauche», a-t-il écrit en 2022 dans une tribune.

Un vassal qui s’aligne sur Mélenchon

La raison de cette déconfiture en forme de précipice est simple: le PS français, hier moteur de la gauche, est devenu un vassal contraint de s’aligner sur plus fort que lui. Son ancrage pro-européen, dont François Mitterrand avait fait un socle, s'est relâché face à la vague souverainiste et eurosceptique des mélenchonistes. Son implication dans les luttes sociales est devenue marginale. «Le PS a tourné le dos à la France des barbecues et du travail», assène, meeting après meeting, le communiste Fabien Roussel.

Présent dans les métropoles, ce parti qui irriguait hier le débat d’idées en France et dans la haute administration, a été contaminé par son urbanisation. «Le métropolitain est d’abord défini par son lifestyle caractérisé par une forme d’entre-soi», notait en 2019 une étude de la Fondapol.

Olivier Faure, un premier secrétaire contesté:

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Le résultat? Un parti miné par les divisions, devenu croupion par rapport à son homologue allemand, le SPD aujourd’hui la tête de la coalition au pouvoir à Berlin. Et ce, alors que le Labour, le parti travailliste, semble bien placé pour prendre le pouvoir aux futures élections au Royaume-Uni, que les socialistes sont au pouvoir en Espagne… Ses cadres l’ont déserté. Ses caciques comme Julien Dray, un ex-élu très influent de l’Essonne, traînent leur déprime sur les plateaux TV. «30% de départs en cinq ans: au Parti socialiste, la fuite massive des cadres», titrait «Le Monde» en 2020.

François Hollande, un ex-président sans troupes

Un homme symbolise à la fois la gloire passée et l’abîme du présent: l’ancien président François Hollande. C’est sous son quinquennat que plusieurs promesses sociales fortes ont été trahies, que la réforme du marché du travail a commencé, et surtout que le recentrage du parti a eu lieu, d’abord sous la houlette de l’ancien Premier ministre Manuel Valls, puis avec Emmanuel Macron, issu du PS mais jamais élu avant d’accéder à l’Élysée.

Aujourd’hui, François Hollande rejette les options de son ancien parti. Il rêve de réinventer le socialisme. Mais il n’a pas de troupes. L’alliance électorale législative avec Jean-Luc Mélenchon et les Verts au sein de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) en 2022 est passée par là. «Vous sortez quand du coma?» s’énervait en juin dernier l’un de ses élus.

Fini, le PS? Il lui reste une structure. Une implantation géographique. Une histoire sur laquelle planent des noms comme ceux de Jean Jaurès, Léon Blum ou François Mitterrand. Il lui reste un laboratoire d’idées: la Fondation Jean-Jaurès, dont le parti pourrait reprendre les locaux parisiens. Il lui reste le talent manœuvrier d’Olivier Faure. Bref, un appareil.

«Programmé pour devenir un tout petit parti»

«Le PS est programmé pour devenir un tout petit parti», juge Julien Dray. Et d’ajouter, à propos de la gauche, dans l’un de ses éditos sur la chaîne CNews: «Jean-Luc Mélenchon est d’une habilité totale. Il est très malin, car il va juste laisser les partis avec la tête hors de l’eau. Un jour il sera avec les Verts, un autre avec le Parti socialiste. Tout ça ne tient pas debout.»

Résultat: le parti socialiste français fondé en 1969, continuation de la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO), ne marche plus qu’avec des béquilles. Et son congrès, ponctué par l’élection d’un nouveau patron du parti le 19 janvier, ne réglera pas la question centrale. Il est, dans le débat politique français, devenu aussi inaudible qu’inutile.

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