L'addition est salée
Ce que la colère des Français coûte à la France (et à ses voisins)

C'est un sujet quasi tabou. Depuis la mi-janvier, les manifestations contre la réforme des retraites ont mis l'économie française entre parenthèses. Tableau du coût de trois mois de colère sociale.
Publié: 01.05.2023 à 15:04 heures
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Dernière mise à jour: 01.05.2023 à 15:05 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

«L’impasse politique et les mouvements sociaux (parfois violents) constituent un risque pour le programme de réformes d'Emmanuel Macron et pourraient créer des pressions en faveur d’une politique budgétaire plus expansionniste ou d’un renversement des réformes précédentes, favorisant les forces radicales et anti-establishment».

Cette phrase est celle que tous les médias français ont repris, dans la motivation donnée le 28 avril par l’agence de notation Fitch Ratings pour sa dégradation de la note de la France, passée de AA à AA -.

Faut-il y voir un vrai risque économique pour le pays, alors que la mobilisation sociale s’annonce massive pour ce défilé traditionnel du 1er mai, qui a conduit les forces de police à cadenasser le centre de Paris et de plusieurs métropoles (Nantes, rennes, Toulouse, Lyon, Bordeaux, Marseille..)? La réponse est oui. Parce que ces manifestations coûtent cher. Explications.

Pour la première fois depuis 1936, les syndicats français ont choisi de défiler sous une bannière unitaire ce 1er mai. La pression sociale est donc encore plus forte.
Photo: DUKAS
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Des dégâts économiques directs importants

L’un des drames économiques de la France est la désertion des centres-villes par les consommateurs. Plusieurs rapports ont démontré que cette dévitalisation des villes est vécue comme un traumatisme par la population, qui consomme de plus en plus dans des zones commerciales accessibles en voiture.

Rien à voir avec les manifestations contre les retraites qui ont scandé le début de l’année 2023? Au contraire! L’un des nouveaux points de cette colère sociale est qu’elle a essaimé partout dans le pays, en particulier dans les villes moyennes. C’est aussi dans les centres-villes que se concentrent les violences urbaines, symbolisées ces dernières semaines par les feux de poubelles.

Nantes et Bordeaux, métropoles de la façade atlantique souvent citée comme la partie la plus dynamique du pays, ont été fortement touchées. Vitrines cassées, magasins obligés de fermer, quartiers devenus inaccessibles aux clients en raison des barrages policiers… Tout le secteur du commerce et de l’artisanat se retrouve en difficulté. A plusieurs reprises, des commerçants en colère ont protesté. Les grandes banques menacent maintenant de fermer encore plus d’agences bancaires, fréquemment visées par les émeutiers.

Des réformes encore plus impopulaires

Emmanuel Macron et le gouvernement le répètent en permanence: malgré la colère sociale et les douze journées d’action et de grèves, malgré les blocages, et malgré le refus (pour le moment) des syndicats de reprendre les négociations… Les réformes vont continuer.

C’est pour cela que la première ministre a présenté, le 26 avril, sa «feuille de route» pour les 100 prochains jours, dans le but de relancer le pays d’ici à la fête nationale du 14 juillet. Mais peut-on réformer un pays en crise? Et quelle longévité auront ces réformes que les partis politiques, comme le Rassemblement national ou la France Insoumise, promettent d’abroger s’ils parviennent au pouvoir?

Comment est-il possible, surtout, de réduire les dépenses publiques alors que la priorité est de faire taire la colère populaire, dans un pays où les dépenses sociales représentent entre 30 et 35% du produit intérieur brut annuel, un record européen?

La vérité est qu’Emmanuel Macron veut poursuivre les réformes. Son agenda est clair. Le pays n’est pas bloqué. C’est l’idée même de réforme qui est en revanche gravement blessée. Une partie importante de la population n’est pas prête à entendre les arguments de l’exécutif, qui brandit le taux de chômage historiquement en baisse, et le nombre important de créations d’emplois. Ce 1er Mai, s’il mobilise massivement les Français, sera la consécration d’un certain immobilisme national, dangereux pour l’économie.

Une dette publique très vulnérable aux taux d’intérêt

Les agences de notation, on le sait, ont leur propre agenda. Leur grille de lecture des économies nationales est tout, sauf objective. La crise financière de 2008-2010 a montré leur aveuglement et les limites de leurs méthodes, qui ne prennent par exemple pas en compte l’importance de la cohésion sociale ou le coût des services publics. Soit. La dégradation de la note de la France par Fitch Ratings le 28 avril (de AA à AA-, comme le Royaume-Uni ou la Belgique) n’est donc pas un tremblement de terre.

Mais les chiffres n’en donnent pas moins le vertige. La dette publique française flirte avec les 3000 milliards d’euros. Selon le ministère français des Finances, la charge de la dette va déjà augmenter de 10 milliards de plus que prévu à l’horizon 2027 pour les emprunts à dix ans, alors que le déficit programmé du régime des retraites d’ici à 2030, avec l’âge de départ à 62 ans, était de… Treize milliards d’euros.

Qui dit taux d’intérêt dit perception du risque français. Ce qui pose aussi la question des relations politiques et économiques entre la France et son principal partenaire, l’Allemagne. Berlin a souvent servi de bouclier à Paris. Or, les Allemands n’aiment pas voir la colère sociale persister en France. Ils redoutent la droite nationale populiste qui pourrait en profiter politiquement. Idem pour ses autres voisins et partenaires comme la Suisse.

Une autre question politico-économique se pose enfin: même si les protestations baissent, la colère restera ancrée et elle se retrouvera sans doute dans les urnes lors de la prochaine échéance électorale: les européennes de mai 2024. Pile dans un an. Le ciel français de ce 1er mai 2023? Plein de nuages, au sens propre comme au sens figuré.

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