Le Conseil constitutionnel doit décider
Le référendum sur les retraites, un tabou politique français

Le Conseil constitutionnel français s'est prononcé ce vendredi 14 avril sur la réforme des retraites et il a rejeté la tenue possible d'un futur référendum. Très peu, en France, considèrent en effet possible cette voie référendaire.
Publié: 14.04.2023 à 16:23 heures
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Dernière mise à jour: 14.04.2023 à 18:06 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Dernière minute. Vendredi 14 avril, 18h05: Le Conseil constitutionnel rejette la proposition de référendum sur les retraites. Les neuf sages ont rejeté une demande d’un référendum d’initiative partagée (RIP) déposée par la gauche. La seconde demande, déposée jeudi 13 avril, doit faire l’objet d’une nouvelle décision le 3 mai.

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Les Français seront sans doute privés d’un référendum sur les retraites que près de 70% souhaitent, selon les sondages. Sans doute? Oui, presque certainement. Car en France, le référendum est tabou. Le Général de Gaulle, inspirateur de l’actuelle Constitution promulguée en 1958, estimait pourtant indispensable le retour vers le peuple pour trancher les grandes questions de société, ou les défis politiques majeurs.

Mais en 2023, l’idée de demander aux électeurs français s’ils sont pour ou contre le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans (au lieu de 62 actuellement, comme le prévoit le projet de réforme du régime des retraites) n’a pas la cote. Une motion de Référendum d'initiative partagée (RIP) été déposée en ce sens devant le Conseil constitutionnel. Lequel doit donc décider ce vendredi 14 avril d’ouvrir ou non la voie à cette voie référendaire qui n'a jusque-là jamais abouti. Mieux: une seconde proposition de RIP vient d'être déposée jeudi 13 avril au cas où la première serait retoquée parce que mal rédigé. Mais rares sont ceux qui croient possible une décision favorable des neuf juges constitutionnels.

Un rejet politique

La raison de ce rejet est d’abord politique. A part quelques voix, comme celle de la politologue Laurence Morel dans «Le Monde», ce 14 avril, très peu de personnalités françaises défendent le retour aux urnes pour décider ou révoquer une loi. «Le référendum-veto d’initiative citoyenne, tel qu’il est pratiqué en Suisse, est la meilleure garantie d’inclusion des citoyens dans l’élaboration des politiques» affirme pourtant la politologue dans une tribune au quotidien français.

Jeudi 13 avril, la douzième journée d'action et de grèves contre la réforme des retraites a encore mobilisé des centaines de milliers de manifestants en France.
Photo: DUKAS
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C’est aussi l’avis du député Bertrand Pancher, président du groupe LIOT à l’Assemblée nationale: «La situation de notre pays étant bloquée, le Conseil constitutionnel doit permettre à nos concitoyens de s’exprimer et donc valider le référendum d’initiative partagée (RIP) sous peine de déconsidérer nos institutions», affirme-t-il à Blick. Sauf que cette idée reste minoritaire et jugée impraticable. La preuve: mis au point dans le cadre de la révision constitutionnelle de 2008, le RIP est officiellement entré en vigueur le 1er janvier 2015. Mais ce dispositif n’a jusqu’à présent jamais abouti.

La seconde raison est la difficulté technique et législative posée aujourd’hui par l’organisation d’un référendum en France. On se souvient que les Gilets jaunes défendaient un référendum d’initiative citoyenne, le fameux RIC. On sait que le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon a repris cette idée, allant jusqu’à défendre un «référendum révocatoire». L’on a vu, durant cette crise des retraites, la dirigeante du Rassemblement national Marine Le Pen proposer plusieurs fois au Parlement une motion référendaire sur les retraites (rejetée).

Toutes ces tentatives butent sur le fait qu’une majorité de parlementaires restent aujourd’hui opposés à donner la parole aux Français sur ce type de sujets. Ils le redoutent d’autant plus que le souvenir du référendum du 29 mai 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen a laissé un souvenir cuisant. Rejeté par 54,68% des électeurs, il a ensuite été contourné par Nicolas Sarkozy, qui a fait approuver en 2008 par le Parlement les dispositions presque identiques de l’actuel Traité de Lisbonne.

Complications constitutionnelles

L’organisation d’une votation en France est aussi compliquée par le texte de la loi fondamentale. L’article 11 de la Constitution de la Ve République prévoit ainsi deux dispositifs référendaires. Le premier est l’initiative présidentielle.

«Le président de la République, sur proposition du gouvernement […] peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions».

Le second est le référendum d’initiative partagée, résultat d’un amendement constitutionnel en 2008. Celui-ci doit être déposé par au moins un cinquième des membres du Parlement, vérifié par le Conseil constitutionnel. Il doit porter «sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent».

Si ces conditions sont remplies, le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi, doit confirmer la recevabilité de cette procédure référendaire et préciser dans sa décision le nombre de soutiens d’électeurs à atteindre (correspondant à un dixième des électeurs inscrits). Le chemin vers les urnes est donc tout, sauf direct et simple.

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Reste à savoir, ce vendredi 14 avril, ce que vont décider les juges constitutionnels. Ils doivent en effet valider, ou non, l’ouverture d’une procédure de RIP sur les retraites «visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans». Référendum? Pas de référendum? A moins qu'une troisième voix soit possible, évoquée dans «Le Monde»: ouvrir la procédure référendaire qui donne un délai de neuf mois pour la récolte des 4,8 millions de signatures, afin d'offrir une porte de sortie législative au gouvernement.

L’éditorialiste Patrick Roger suggérait récemment un tel scénario: «Sans préjuger de ce que seront les décisions du Conseil constitutionnel, la validation de la procédure de RIP ouvrirait un temps permettant de «mettre en pause», selon le souhait du secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, la réforme des retraites, et d’apaiser une situation qui risque de devenir incontrôlable.

Il serait alors de la responsabilité du chef de l’État de mettre ce temps à profit pour renouer le dialogue avec les partenaires sociaux, ouvrir de nouveaux chantiers et, peut-être, dans ce cadre, rouvrir le dossier des retraites. Ce serait, là, un vrai changement de méthode.»

Pas de référendum, mais une pause référendaire: la France n’est jamais à court d’idées. D'autant qu'avec le dépôt de la seconde demande de RIP ce jeudi, le Conseil constitutionnel devra à nouveau se prononcer sur le sujet des retraites dans un délai d'un mois.

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