Le livre à ne pas rater
Rachida Dati ou l'obsession de la réussite (dans une France si élitiste)

La nouvelle ministre française de la Culture est une vie incontournable de la politique hexagonale depuis le début des années 2000. Son parcours méritait, pour une fois, de relire un livre publié en 2009.
Publié: 14.01.2024 à 18:36 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Je m’étais jusque-là imposé une discipline, pour les «livres à ne pas rater» que je vous propose chaque dimanche dans les colonnes de Blick: toujours parler d’ouvrages récemment parus, pour qu’il soit facile de se les procurer. Mais comment ne pas succomber, lorsque l’actualité le justifie, à l’envie de replonger dans un ouvrage de votre bibliothèque qui vous a particulièrement marqué? Ou qui illustre parfaitement le moment?

Voici donc un ouvrage publié en 2009 sous la plume d’une journaliste française, Jacqueline Remy, fine connaisseuse de la vie politique parisienne. Rien que son titre mérite de l’ouvrir et de le parcourir. «Du rimmel et des larmes» raconte, en 300 pages, l’ascension à la fois redoutable et remarquable de celle qui est, depuis jeudi 11 janvier, la nouvelle ministre française de la Culture: Rachida Dati, 58 ans. Un récit qui ne masque rien, et qui surtout a l’avantage de ne pas être accusateur.

L’auteure comptabilise. Elle prend note. Elle liste les omissions, les coups de génie, les fulgurances, les mensonges, les formules chocs de celle qui, en 2007 et à la surprise générale, devint la première ministre de la Justice nommée par Nicolas Sarkozy, tout juste élu président de la République. Car la vie de Rachida Dati est tout, sauf une carrière rectiligne et transparente. C’est dans l’opacité, les alcôves et les coulisses du pouvoir que celle-ci a tracé sa route avec le succès que l’on sait.

Le livre de la journaliste Jacqueline Remy raconte le parcours impitoyable de Rachida Dati, fille issue des quartiers populaires.
Photo: Richard Werly
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À Chalons sur Saône

Tout commence à Chalons sur Saône, une ville pas très éloignée de la Suisse, où Rachida Dati grandit dans un quartier populaire, aux côtés de onze autres frères et sœurs. Douze enfants! Ici, dans ces quartiers où s’entassent les familles immigrées, le seul mot réussite est difficile à prononcer dans ces années soixante, où les pères sont employés dans les usines et les mères restent à la maison.

Imaginez déjà la différence de parcours entre la nouvelle ministre de la Culture et celui qui dirige le gouvernement français depuis moins d’une semaine: Gabriel Attal, 34 ans. Rachida Dati a dû se battre à chaque étape. Sans merci. Sans foi ni loi. Lui? Son destin n’a eu besoin que de la chance pour éclore. Ces deux-là ne sont pas nés et n’ont pas grandi dans la même République.

Pas de série Netflix?

Le reste est passionnant. On se demande même, à lire ces chapitres, comment Netflix et les autres plates-formes n’ont pas encore tiré un biopic ou une série à succès du parcours de Rachida Dati. La jeune femme, d’origine marocaine et née en France, voit sa nationalité française confirmée à l’âge de 18 ans. Mais elle n’a pas attendu pour «monter» à Paris. Avec une seule ambition: intégrer l’élite qui dirige le pays.

Le récit de ses lettres enflammées aux dirigeants d’entreprises (tous des hommes) qu’elle brûle de rencontrer est, en soi, le miroir d’une vie. Rachida Dati, jeune femme aussi belle qu’opiniâtre et dénuée de scrupules, sait que son charme paie. A une différence près toutefois avec ces «courtisanes» auxquelles beaucoup la comparent trop hâtivement. L’intéressée travaille. Dur. Elle cache ses emplois à ceux qui la protègent. Elle ne remplit pas toujours la mission qui lui a été assignée. Mais elle bosse. L’alcôve est un moyen, pas une fin.

Un protecteur nommé Chalandon

Un nom revient et flotte sur le destin de Rachida Dati tel qu’on le connaît aujourd’hui. Et ce n’est pas celui de Nicolas Sarkozy, qui deviendra plus tard son mentor. L’homme en question est l’ancien ministre de la Justice Albin Chalandon, baron du gaullisme et est PDG du géant pétrolier ELF (de 1977 à 1983). Chalandon est, à la ville, le mari de la célèbre journaliste Catherine Nay, toujours active aujourd’hui. Ce couple brasse le pouvoir autant que les affaires. Rachida Dati devient leur protégée.

Alors que, simultanément, d’autres veillent sur elles: le Haut fonctionnaire et essayiste Jacques Attali, l’écrivain Erik Orsenna, et même la présidente du parlement européen Simone Veil. A chaque fois, Rachida Dati plaide sa cause avec les mots de la révolte. Elle s’indigne contre le mépris de classe (comme elle vient encore de le faire ce week-end dans les colonnes du quotidien Le Parisien). Elle ne renie rien de ses origines. Elle ne change pas son prénom. Sa fille se prénommera d’ailleurs Zohra. Elle fait le jeûne lors du Ramadan. La combattante en elle passe avant tout le reste.

Flèches aiguisées

Dans «Du rimmel et des larmes», Jacqueline Remy fait le portrait de la crédulité de tous ceux qui ont aidé Rachida Dati à gravir les marches du pouvoir. Elle montre aussi combien cette femme décidée à réussir a su faire taire ses critiques. On ironise sur son cas, mais peu osent l’affronter en direct. Ses flèches sont bien trop aiguisées. Car Rachida Dati n’a peur de rien, y compris lorsqu’il s’agit d’être mêlée à des affaires troubles, comme en témoigne sa mise en examen pour corruption passive dans l’affaire Carlos Ghosn, l’ex-PDG de Renault poursuivi pour «abus de biens sociaux» et «blanchiment d’argent en bande organisée».

Faut-il voir dans l’ascension de la nouvelle ministre de la Culture une leçon implacable de pouvoir? Ou simplement la prouesse d’une femme résolue à utiliser les hommes qui l’ont toujours entourée? Dans tous les cas, la lecture de ce livre est recommandée. A vous de décider ce qui l’emporte, après l’avoir lu: le rimmel ou les larmes.

A lire: «Du rimmel et des larmes» de Jacqueline Remy (Ed. du Seuil)

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