Ce qu'il faut savoir après un an de guerre
Attention! La Russie de Poutine n'a pas (encore) perdu la guerre

Comment démêler le vrai du faux après un an de guerre en Ukraine? Blick pose en quatre épisodes les questions qui nous préoccupent le plus. La première: la Russie a-t-elle perdu cette guerre, comme on peut souvent le lire? La réponse est non.
Publié: 21.02.2023 à 18:08 heures
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Dernière mise à jour: 22.02.2023 à 17:52 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Z. Plus qu’une lettre peinte sur les murs, les blindages des tanks ou les carrosseries des camions ou autres véhicules qui transportent les troupes russes sur le front ukrainien. Z pour Zapad (ouest, en russe). C’est avec cette marque que les soldats mobilisés par Vladimir Poutine – entre 350'000 et 500'000 selon les estimations – reconnaissent leurs territoires et se signalent dans le brouillard de ce conflit déclenché le 24 février 2022.

Z est le symbole de «l’opération spéciale» que le maître du Kremlin s’est de nouveau refusé ce mardi 21 février à désigner comme une guerre pleine et entière devant la Douma, la Chambre basse du Parlement russe. Une opération qui, contre toutes les évidences, reste selon lui le fruit de l’agression de l’OTAN, cette Alliance atlantique dont il n’a cessé de dénoncer l’élargissement depuis 2007. «Les élites de l’Occident ne cachent pas leur objectif: en finir avec nous une bonne fois pour toutes», a répété ce mardi Vladimir Poutine dans son discours annuel très attendu.

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Z, symbole d’une guerre gagnée ou d’une guerre perdue? Un an après le début de ce conflit qui ébranle l’Europe et le monde, il est malheureusement bien trop tôt pour y répondre de façon catégorique. Une chose est sûre en tout cas: affaiblie, bousculée, repoussée loin de Kiev, cette capitale qu’elle rêvait de conquérir en quelques heures, la Russie n’est pas défaite pour autant. Voici pourquoi.

Lors de son discours à la nation de mardi, Vladimir Poutine a fait feu de tout bois contre l'Occident.
Photo: DUKAS
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Poutine garde l’avantage du temps et de l’espace

Beaucoup de commentateurs ont mis l’accent, depuis un an, sur l’importance de l’hiver et du froid qui s’est abattu ces dernières semaines sur le front, étiré sur plus de 1500 kilomètres. Or là n’est sans doute pas la clef, du moins pour cette année, qui n’a jusque-là pas été marquée par une plongée terrifiante du thermomètre.

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L’hiver 2022-2023 laissera bientôt la place au printemps, avec ses inévitables étendues de boue engendrées par le dégel. Mais là aussi, attention à ne pas trop focaliser sur des réalités météorologiques qui, sur le terrain, dépendent du matériel utilisé, de la chaîne logistique d’approvisionnement des troupes, et du nombre d’hommes capables de tenir, ou pas, les tranchées qui se font parfois face à quelques centaines de mètres dans les régions de Lougansk ou de Donetsk, comme ce fut le cas durant la Première guerre mondiale.

Deux facteurs restent avantageux pour l’armée russe dirigée, en Ukraine, par le chef d’état-major Valeri Guerassimov, et par son adjoint, le général Sergueï Sourovikine, surnommé «Général Armageddon» depuis les dévastations causées par ses troupes en Syrie en 2015-2016.

Le premier est le temps. Vladimir Poutine est passé, en un an, d’une guerre territoriale visant à casser l’échine des soi-disant «nazis» ukrainiens à une guerre de civilisation contre l’Occident. Il continue aussi de miser sur le chantage nucléaire, comme il vient de le faire dans son discours de Moscou en annonçant que la Russie «suspend sa participation à l’accord New Start sur le désarmement nucléaire signé en 2010, mais ne s’en retire pas», et que celle-ci «doit être prête à tester des armes nucléaires si les États-Unis le font en premier». Pour Poutine, l’épuisement des démocrates occidentaux interviendra à coup sûr quand leurs opinions publiques (et les médias) se lasseront du conflit.

Retrouvez Richard Werly sur TV5 Monde en direct de Munich:

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Le second facteur est l’espace, à savoir la géographie. Poutine juge cette guerre avec un rétroviseur. Il fait un copier-coller de la Seconde guerre mondiale, qui avait vu l’Armée rouge transférer ses sites de production militaire dans l’immense partie orientale de la Russie, puis repartir à l’offensive après la bataille de Stalingrad (juillet 1942-février 1943). Pour le Kremlin, les immenses ressources de la Russie en matières premières, en énergie, mais aussi en contingents de jeunes mobilisables pour être envoyés au front, feront la différence. Vrai? Faux? Tout dépend, bien sûr, de la situation militaire sur le terrain.

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Poutine compte sur ses alliés

On l’oublie trop vite: les arguments brandis par Vladimir Poutine pour justifier la guerre, à savoir l’humiliation de la Russie depuis deux décennies par les démocraties occidentales, est une cause populaire dans une partie du monde. L’extraordinaire paradoxe est que la guerre coloniale déclenchée par Moscou en Ukraine le 24 février 2022 est perçue comme légitime par de nombreux gouvernements de pays émergents qui reprochent aux Occidentaux leur… colonialisme.

C’est contradictoire, mais c’est logique. La Russie, avec cette guerre, met le couteau dans toutes les plaies de l’Occident. Elle dénonce l’impérialisme américain en Europe. Elle dénonce la prétendue exploitation des ressources énergétiques et minières russes par les firmes occidentales. Elle met en lumière le refus des États-Unis et de leurs alliés de partager le pouvoir au niveau mondial.

Pourquoi cette guerre très politique doit-elle être prise en compte? Parce qu’elle permet à Vladimir Poutine d’espérer obtenir trois résultats.

Le premier est l’espoir mis par le Kremlin dans un éventuel approvisionnement en armes de la Chine, même si cette dernière a annoncé à Munich un prochain plan de paix. L’armée russe, comme l’armée ukrainienne, souffre d’un possible épuisement de ses munitions. Or les Chinois, dont l’industrie d’armement a été copiée sur celle de l’ex-URSS, dispose de l’arsenal parfait pour renflouer Moscou et les soutes militaires de l’opération Z.

Second résultat escompté: les rentrées de devises qui se poursuivent grâce à l’exportation de pétrole brut russe vers l’Inde (notamment) pour y être raffiné. Moscou ne se contente pas de contourner les sanctions sur le plan technologique. Une économie parallèle mondiale se met en place. Elle permet à la Russie de survivre et aux Russes de continuer à voyager, par exemple comme touristes dans les pays du golfe et en Asie. C’est essentiel.

Troisième résultat, enfin: la sécurisation des filières technologiques. Il faut à la Russie des processeurs, des composants électroniques, bref, tout ce qui constitue le «back-office» d’une guerre moderne. Or des pays partenaires comme la Turquie voisine (qui n’applique pas les sanctions, bien que membre de l’OTAN), l’Inde, le Brésil ou la Chine peuvent faire la différence. On comprend mieux l’appel lancé à la Conférence sur la sécurité de Munich aux pays d’Asie du sud-est par le Chancelier allemand, Olaf Scholz.

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Poutine peut (encore) renverser la donne militaire

C’est très frappant: les analystes militaires occidentaux ne croient plus à une possible victoire de la Russie, qui contrôle tout de même aujourd’hui environ 20% du territoire de l’Ukraine, tel que reconnu par les Nations Unies. Ils citent le plus souvent les pertes humaines colossales enregistrées par l’armée russe (au moins 200'000 morts et blessés en un an). Ils soulignent le très mauvais niveau de coordination entre les différents contingents russes, et l’état déplorable de la logistique qui a conduit, par exemple, à la débandade de la fameuse colonne blindée de plusieurs dizaines de kilomètres au début de la guerre.

Un autre front est par ailleurs ouvert et les alliés de Kiev comptent dessus pour stopper les ardeurs des officiers russes: les accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en Ukraine. La vice-présidente américaine, Kamala Harris, ancienne procureure, a martelé cet avertissement à Munich: «Vous devrez rendre des comptes.»

À Munich, les accusations de Kamala Harris:

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Poutine garde toutefois deux atouts militaires en main. Le premier est sa capacité à fixer et à épuiser l’armée ukrainienne. C’est cette mission que l’État-major russe semble avoir donné à la milice Wagner dans la région de Bakhmout. «Il s’agit là d’aimanter les Ukrainiens, de les forcer à consommer une grande quantité d’hommes et de matériel», juge Guillaume Ancel, ancien officier français et auteur du blog «Ne pas subir».

Deuxième atout? L’aviation russe, jusque-là tenue à l’écart du champ de bataille. On connaît la raison: les pilotes russes sont très vulnérables aux armes antiaériennes sophistiquées fournies par l’OTAN aux Ukrainiens. Mais un engagement massif de drones et de chasseurs russes dans le ciel de l’Ukraine pourrait changer la donner et ouvrir la porte à une escalade.

Ce qui ramènerait la guerre en Ukraine au risque nucléaire tant redouté par l’Occident…

Prochain épisode (2/4): L'OTAN, une alliance de moins en moins défensive

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