La Suissesse Erika Schläppi élue à l'ONU
«L'égalité des genres est aussi bénéfique pour les hommes»

Erika Schläppi vient d'être élue membre du comité de l'ONU contre les discriminations faites aux femmes. La Bernoise s'oppose aux rôles de genre dépassés: les femmes peuvent faire de la recherche et les garçons tricoter! Elle répond aux questions de Blick.
Publié: 29.07.2024 à 19:58 heures
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Dernière mise à jour: 29.07.2024 à 20:23 heures
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Raphael Rauch

Erika Schläppi, 64 ans, a hérité du féminisme de sa mère. Margrit Schläppi-Brawand, qui a 99 ans aujourd’hui, a été la première présidente du Parlement du canton de Berne. En juin, Erika Schläppi a été élue par les États parties à la Convention de l'ONU sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. La Suissesse fait maintenant partie du Comité contre la discrimination à l’égard des femmes (Committee on the Elimination of Discrimination against Women, CEDAW) qui se réunit à Genève et suit de près les progrès en matière d’égalité des genres.

La juriste accueille Blick dans son bureau à Berne, sur les rives de l’Aar. Pour la première fois depuis son élection, elle nous accorde une interview.

Erika Schläppi, êtes-vous la plus haute représentante des femmes en Suisse?
Non (rires). Je suis experte indépendante de 2025 à 2028 et l’une des 23 membres du Comité contre la discrimination des femmes. Je ne m’exprimerai pas sur la Suisse, mais sur tous les autres pays qui font partie de la Convention de l’ONU.

Erika Schläppi, membre du Comité de l'ONU contre les discriminations à l'égard des femmes, s'entretient avec le journaliste de Blick Raphael Rauch.
Photo: Thomas Meier
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Donc de l’Afghanistan des talibans à la Scandinavie progressiste?
Exactement! Nous vérifions si les 189 États parties respectent leur engagement à réduire la discrimination et promouvoir l’égalité des genres.

L’ONU compte 193 membres. Quelles sont les nations qui ne participent pas?
Les États-Unis, parce qu’ils n’aiment pas se soumettre à un contrôle externe. S’y ajoutent des pays comme l’Iran, le Soudan et la Somalie.

Êtes-vous donc la Carla Del Ponte des questions de genre?
Ce serait bien si je pouvais, comme Carla Del Ponte, accuser les pays qui discriminent les femmes. Le mandat du comité CEDAW a des limites claires: nous observons, analysons, évaluons – et nous sommes tributaires du fait que les pays concernés nous écoutent, qu’ils prennent nos recommandations au sérieux.

Comment faites-vous pour qu’un pays d'Afrique lutte davantage contre les mutilations génitales féminines?
Notre comité a pour mission d’être critique et constructif. Nous nous exprimons de manière diplomatique, mais ferme. Néanmoins, nous ne sommes pas une force de police, nous ne pouvons pas forcer quelqu’un à adopter un certain comportement. Nous misons sur le dialogue et espérons que les États prendront des mesures lorsqu’ils seront soumis à une pression publique. Nous renforçons ainsi les voix de ceux qui s’engagent contre les mutilations génitales dans les pays concernés.

L’ONU est difficilement prise au sérieux actuellement. À quoi servent vos documents et analyses si vous devez finalement miser sur le volontariat?
Les États n’accordent à l’ONU qu’un rôle limité. Rassembler des faits et les rendre publics est pourtant un moyen puissant d’attirer l’attention sur les problèmes. Nos rapports peuvent ensuite être utilisés par d’autres organes ou tribunaux, par la société civile ou par d’autres États dans le cadre d’un dialogue bilatéral. Les gouvernements doivent prendre position publiquement et ne peuvent pas se contenter de rester enfermés dans leurs bureaux.

Quelles sont les femmes les plus touchées par des discriminations?
Les femmes sont particulièrement vulnérables dans le cas de guerres et de conflits armés. Les mères célibataires, les migrantes, les femmes âgées, les jeunes filles, les membres de minorités défavorisées ont également des difficultés particulières.

Vous avez été élue pour quatre ans. Le comité CEDAW est-il un organe exclusivement féminin?
Non, nous avons un homme de l’Azerbaïdjan qui est là pour les quotas (rires).

Qu'est-ce qui fait qu'une femme est une femme? Certains préfèrent par exemple parler de «personnes menstruées» au sujet des règles pour ne pas exclure les hommes transgenres.
La commission CEDAW s’occupe de la convention de l’ONU. Elle se concentre sur les femmes dans une approche traditionnellement féministe. Personnellement, je respecte le concept de fluidité de genre, mais nous ne pouvons pas ignorer le fait que la plupart des gens se définissent comme étant des femmes ou hommes. Mais d’une certaine manière, le texte de l’ONU auquel nous nous référons est très progressiste.

Dans quelle mesure?
Le texte énonce que nous devons nous attaquer aux stéréotypes de genre, c’est-à-dire aux idées et attentes sociales fixes sur ce qui est féminin ou masculin, sur ce qu’une femme doit faire ou ne pas faire. C’est très moderne. Oui, il y a des différences entre les genres, mais elles ne sont que très peu liées à la nature. Les femmes peuvent devenir scientifiques. Et mes fils peuvent se mettre au tricot.

Vos fils tricotent-ils?
L’un de mes fils voulait tricoter à l’école, jusqu’à ce qu’un professeur lui dise: «Tu es un garçon, les autres garçons sont en cours de travaux manuels!»

Avez-vous donné une éducation féministe à vos fils?
Mon mari et moi avons attaché de l’importance à ce qu’ils puissent s’épanouir librement – si possible sans stéréotypes de genre.

Qu’est-ce qui est le plus grave: la masculinité toxique ou le manque de solidarité féminine?
Les deux! Mais pourquoi les femmes devraient-elles toujours être d’accord? Ce n’est pas parce qu’elles vivent les mêmes structures dominées par les hommes que les femmes doivent être du même avis, de la gauche à la droite.

De nombreuses féministes parlent de régression sociale, de «backlash». Dans certaines régions des États-Unis, le droit à l’avortement a été aboli.
Nous vivons une époque incertaine. La peur de la perte se répercute sur les rapports entre les genres et les droits reproductifs se retrouvent souvent au centre de l’attention – au détriment des femmes concernées. En période d’incertitude, se raccrocher à la tradition et aux hommes forts peut être rassurant pour certains.

Avez-vous vous-même été victime de sexisme?
Bien sûr – quelle femme n’en a pas été victime? On attend encore souvent des femmes qu’elles soient belles au bureau, qu’elles fassent le café et nettoient le frigo. Si la victime d’un viol portait un vêtement qui laissait apparaître son ventre, on dit encore: «C’est un peu de sa faute…» Il faut que ça cesse!

Qu’est-ce qui vous révolte particulièrement concernant le sexisme en Suisse?
Il y a plusieurs domaines, comme les caisses de pension. Les femmes qui divorcent se rendent souvent compte qu’elles ont pensé bien trop tard à leur prévoyance vieillesse. Le système de la caisse de pension part d’un modèle de vie qui ne correspond souvent pas aux femmes: un homme commence à travailler, fait carrière et gagne toujours plus, puis s’arrête à 65 ans. Qu’en est-il des femmes qui s’occupent des enfants pendant des années, travaillent moins et reprennent plus tard à un niveau professionnel plus bas? Les femmes ont des pensions nettement plus basses que les hommes. Non pas parce qu’elles ont passé leur vie à rien faire, mais parce que notre système les désavantage structurellement.

Quels autres problèmes voyez-vous?
Nous pourrions également parler des différentes formes de violence à l’encontre des femmes, des inégalités salariales ou du fait que les femmes effectuent davantage de travail de care (ndrl: soin) non rémunéré. Les hommes font carrière, les femmes veillent sur la société et la famille. C’est malheureusement bel et bien le cas et c’est bien trop peu rétribué. Mais au sein du comité CEDAW, il n'est pas question de mon indignation personnelle, mais des obligations des États à faire progresser l’égalité des genres.

Représentez-vous ce que l’UDC raille souvent, une sorte de féminisme extrémiste?
Beaucoup de gens l’oublient: même si l’égalité semble être atteinte sur le papier, les femmes sont encore désavantagées dans les faits en Suisse. Il ne s’agit ni d'uniformisation ni d’idéologie du genre, mais de possibilités d’épanouissement égales pour les femmes et les hommes.

Certains pensent que la promotion des femmes a assez duré et que c'est aux hommes de reprendre les commandes.
Je comprends que certains hommes se plaignent de devoir payer aujourd’hui pour les inégalités subies par les femmes dans le passé. Néanmoins, je suis convaincue que l’égalité des genres rend notre société meilleure. Les hommes aussi profitent du féminisme. Ils ont par exemple aujourd’hui plus de choix quant au rôle qu’ils souhaitent jouer au sein de la famille et de la société en général.

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