Qu'est-ce que le régiment Azov?
Les forces ukrainiennes abritent bel et bien des néonazis

Environ 2000 ukrainiens font partie du très controversé régiment Azov, que Poutine invoque par ailleurs pour justifier la «dénazification» de l'Ukraine. Bien que peu nombreux, ces combattants financés par le gouvernement affichent effectivement des positions néo-nazies.
Publié: 20.03.2022 à 05:56 heures
Anastasia Mamonova

Lorsque Vladimir Poutine parle de la guerre en Ukraine, il prétend devoir protéger le pays contre des nazis tels que le régiment Azov.

Le gouvernement russe nie avoir tiré sur des civils et accuse ce bataillon ultra-nationaliste d’être responsable des destructions massives à Marioupol. Et notamment de l’attaque perpétré sur le théâtre de la ville, mercredi dernier. Le ministère de la Défense russe avait affirmé que les hommes d’Azov avaient miné et fait exploser le bâtiment dans un but de provocation.

Mais qui sont vraiment les hommes du régiment Azov, et quel rôle joue ce dernier en Ukraine? Le groupe est composé d’environ 2000 hommes. Ils défendent actuellement la ville de Marioupol. C’est dans cette ville portuaire sur la mer d'Azov – d’où son nom – que le régiment a établi son quartier général.

Le régiment Azov est connu pour être d'obédiance néonazie. Et pourtant, il est financé par l'État ukrainien.
Photo: AFP
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Une grande partie des hommes d’Azov sont d’obédience néo-nazie. Et c’est là que le bât blesse: l’unité fait partie de la Garde nationale ukrainienne, elle est donc subordonnée au ministère de l’Intérieur et financée par le budget de l’État.

Fondée par des membres du «Secteur droit»

Le régiment Azov a été fondé en mai 2014, en tant que bataillon de volontaires dans la ville de Berdjansk. Son chef, Andrij Bilezkyj, est originaire de Kharkiv. Lui et d’autres membres avaient auparavant été actifs pendant des années au sein du parti politique d’extrême droite «Secteur droit», qui est un rassemblant de plusieurs groupuscules, et qui avait par ailleurs participé aux manifestations d’Euromaïdan contre le président pro-russe de l’époque, Viktor Ianoukovitch.

Pour reconnaître l’appartenance idéologique du groupe, il suffit de lever les yeux: leur signe distinctif est un crampon héraldique – également utilisé par les SS d’Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale. Le régiment lui-même indique que le symbole est constitué des lettres N et I, qui doivent signifier «idée nationale».

L’objectif du bataillon est de soutenir l’armée ukrainienne dans sa lutte contre les séparatistes pro-russes dans les régions de Donetsk et de Lougansk. L’état de l’armée ukrainienne étant déplorable en 2014, le gouvernement de Kiev avait décidé d’intégrer ces ultra-nationalistes dans ses structures étatiques. Peu après, le bataillon Azov a été sacré régiment officiel par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Arsen Avakov, puis intégré à la garde nationale.

Actes de violence et torture dans le Donbass

L’intégration de ce régiment aux forces armées nationales est problématique. Car ces hommes ne se sont pas seulement fait remarquer en arborant des symboles d’extrême droite, mais aussi par d’innombrables actes de violence.

L’organisation des droits de l’homme de l’ONU (OHCHR) a déjà documenté plusieurs crimes de guerre et atrocités commises par les membres du régiment Azov dans le Donbass. En 2014 et 2015, les combattants d’Azov auraient torturé des personnes qui avaient exprimé leur soutien aux séparatistes pro-russes de Lougansk et de Donetsk.

Des enfants armés en camp d’été

En Ukraine, les membres d’Azov s’étaient d’abord mis en scène comme des défenseurs du pays. Ils avaient même obtenu une large reconnaissance sociale au cours des premières années de la guerre, comme le rapporte le «Zeit».

Ainsi, fort de son succès, le régiment s’est mis à organiser des camps d’été pour enfants tout à fait particuliers. Là-bas, les petites têtes blondes (c’est le cas de la dire) s’entraînent au maniement des armes, comme le dénonce un reportage du «Guardian» en 2017 déjà. Dans la vidéo, l’on peut voir une responsable de camp portant des tatouages «White Pride» sur sa peau, pour ne citer qu’un exemple.

Le régiment organisait aussi des entraînements aux armes pour les civils. Même des retraitées y auraient pris part.

Petits succès en politique

Parallèlement à la sphère militaire, ces combattants néonazis ont tenté d’étendre leur influence sur le plan politique également. Andrij Bilezkyj a fondé le parti «Corps national», qui n’a toutefois pas connu le succès escompté lors des élections de 2014. L’ancien chef d’Azov lui-même est néanmoins parvenu à entrer au Parlement grâce à un mandat direct. Tout comme le leader de «Secteur droit», Dmytro Yarosh.

La «dénazification» dont Poutine ne cesse de parler est justifiée par l’existence d’une extrême droite en uniforme au service de l’État ukrainien. Mais, dans la narration poutinienne, l’unité spéciale présume de l’état d’esprit de l’ensemble du gouvernement Ukrainien. Ainsi, pour le dirigeant russe, les néonazis mèneraient une lutte d’extermination contre la minorité russe en Ukraine.

Le parlement ukrainien à l’abri?

Mais ces ultra-nationalistes jouent-ils vraiment un rôle aussi important? Outre les forces supplémentaires qu’ils représentent, ont-ils leur mot à dire? Les experts et les observateurs sont convaincus que l’importance de ce groupe est massivement amplifiée en Russie.

Lors des élections de 2019, lorsque Volodymyr Zelensky, d’origine juive, est arrivé au pouvoir, aucun parti d’extrême droite n’a réussi à entrer au Parlement. Pour Bilezkyj aussi, c’était fini.

Andreas Umland, du Centre d’études sur l’Europe de l’est de Stockholm, estime dans le journal allemand «Welt» que le gouvernement russe présente l’extrême droite ukrainienne comme un «facteur d’influence politique déterminant», «alors qu’elle n’est que marginale».

Les experts relativisent

Même sur le plan militaire, les 2000 combattants d’Azov ne représentent qu’une fraction des 450’000 membres de l’armée. Dans une interview accordée à «Welt», Kacper Rekawek, post-doctorant au Centre de recherche sur l’extrémisme de l’université d’Oslo, déclare: «nous parlons toujours d’Azov sur la base de l’image que nous en avions en 2014. C’est exactement ce que veut le Kremlin.»

La plupart des membres radicaux fondateurs ont entre-temps quitté le régiment, affirme Kacper Rekawek. «Les nouveaux membres rejoignent souvent le groupe en raison de sa réputation d’unité efficace, et non pas en raison de son étiquette d’extrême droite».

Des balles graissées au porc

Il n’est toutefois pas certain que l’état d’esprit du régiment ait réellement changé. Une vidéo de propagande récemment publiée montre des combattants trempant leurs cartouches dans de la graisse de porc avant de les insérer dans le chargeur… un autre symbolisme obscur?

Très clairement xénophobe, même. Selon leurs propres dires, cela devrait leur permettre de tuer les «orques de Kadyrov»; des unités paramilitaires de la République tchétchène, généralement de religion musulmane – avec Ramzan Kadyrov à leur tête.

Selon les rapports, nombre de ces miliciens se trouvent actuellement en Ukraine. Dans l’islam, le porc est considéré comme un animal impur. Le régiment Azov ne cherche donc pas seulement à détruire ses ennemis, mais aussi à les humilier en fonction de leur religion et de leur ethnie. Pour le changement de mentalité, on repassera.

(Adaptation par Daniella Gorbunova)

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