Chronique de Jessica Jaccoud
Pierre Maudet: un pourri, tous pourris?

La députée socialiste vaudoise Jessica Jaccoud, membre de notre équipe de chroniqueurs, s'interroge sur la nouvelle élection de Pierre Maudet à Genève. Pour elle, la justice devrait avoir la compétence de rendre inéligible un politicien ou une politicienne.
Publié: 04.05.2023 à 12:59 heures
Jessica Jaccoud

Cela ne vous aura sans doute pas échappé, Pierre Maudet a été élu au Conseil d’État lors du deuxième tour des élections genevoises le 30 avril 2023.

Son élection est incontestable. Il bénéficie pour le mandat à venir de la même légitimité démocratique que ses six autres collègues.

Cela étant dit, le fait qu’un homme politique, condamné pour des actes de corruption dans le cadre de ses fonctions de Conseiller d’État puisse être réélu à cette même fonction, interroge.

Plus de deux ans après avoir démissionné, Pierre Maudet a été réélu dimanche dernier au Conseil d'Etat genevois.
Photo: Keystone

Ce n’est pas la question du choix populaire que je souhaite discuter. Mais celle du fonctionnement de nos institutions et de notre justice, celle de la crédibilité et de la probité de la fonction d’élu(e). Que dit la réélection de Pierre Maudet de la notion d’éthique en politique? Notre droit doit-il être modifié pour empêcher qu’une situation similaire se répète?

Atteinte aux principes de nos démocraties

La corruption et la délinquance financière portent atteinte à l’État de droit et aux principes qui fondent nos démocraties. Il est important de rappeler ici le préambule de la déclaration des droits de l’homme de 1789 qui proclame que «l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements».

La Convention des Nations unies contre la corruption mentionne, en son préambule, que la corruption constitue une menace pour la stabilité et la sécurité des sociétés.

Sur la base de ces deux définitions, on conçoit aisément l’impact négatif de la corruption sur la légitimité des institutions politiques. Inévitablement, la présence dans un gouvernement d’un homme condamné pour un délit de corruption dans le cadre des mêmes fonctions politiques est propre à fragiliser le lien de confiance qui doit exister entre les citoyens et leurs représentants.

La sanction pénale d'inéligibilité supprimée

Alors que le juge pénal français peut assortir la condamnation d’un élu ou d'une élue d’une peine d’inéligibilité, le juge suisse ne dispose plus d’un tel outil.

Depuis 2007, et à la suite d’une réforme globale du droit des sanctions adoptée par le Parlement fédéral, la justice suisse n’a plus la possibilité de prononcer l’incapacité d’exercer une charge à l’encontre d’un élu ayant commis une infraction qui le rend indigne de confiance.

La peine accessoire, anciennement prévue à l’article 51 du Code pénal, a été supprimée sans entrainer de grandes discussions.

Et nous sommes surement plusieurs aujourd’hui à estimer que cette lacune doit être corrigée. Dans tous les cas, le Parlement fédéral ne peut plus se faire l’économie d’un vrai débat de fond sur la question.

Rétablir la confiance de la population

Ce n’est pas, finalement, le destin personnel de Pierre Maudet, qui m’intéresse. Je suis au contraire très sensible à ce que nous, élus et élues, à tous niveaux, agissions afin de maintenir, voire rétablir la confiance des citoyens et citoyennes dans les autorités.

Un des moyens est de rétablir une disposition pénale qui protège cette confiance.

Ce d’autant que les membres des exécutifs cantonaux ne sont pas soumis, contrairement aux agents publics potentiellement visés par les crimes et délits de corruption, à une éventuelle surveillance disciplinaire. Je rappelle par ailleurs qu’il n’existe aucun mécanisme de révocation qui permet au peuple de destituer un élu ou une élue en place.

La classe politique doit faire preuve de courage

La Haute Cour a rappelé que Pierre Maudet était conscient du caractère indu de l’avantage (voyage à Abou Dhabi pour lui et sa famille d’une valeur estimée d’au moins 50'000 francs) et qu’il s’était accommodé en avoir bénéficié en raison de ses fonctions officielles. La justice aurait dû, à mon sens, avoir la compétence de le rendre inéligible pendant plusieurs années.

Comme l’a dit l'homme politique français Louis Antoine de Saint-Just: «les institutions sont la garantie du peuple et du citoyen contre la corruption du gouvernement.»

La classe politique doit maintenant montrer un peu de courage. Montrer qu’elle est mesure de répondre aux mouvements des «tous pourris». Et pour commencer, elle doit donner les moyens à la justice de sanctionner celles et ceux qui ont des comportements indignes de nos institutions, en les empêchant d’être des actrices et acteurs de la vie politique.


Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la