Manouchian au Panthéon
Mais pourquoi la France de Macron a tant besoin de héros?

Le résistant Missak Manouchian entre au Panthéon ce mercredi lors d'une cérémonie d'hommage. Des cérémonies dont Emmanuel Macron a fait une spécialité qui en dit long, en 2024, sur la fibre nationale et républicaine, analyse notre journaliste et expert Richard Werly.
Publié: 20.02.2024 à 11:17 heures
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Dernière mise à jour: 21.02.2024 à 08:42 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Missak Manouchian était un vrai héros. Fusillé par les nazis le 21 février 1944, ce militant communiste arménien, figure de la résistance armée à l’occupation allemande, fit partie de ceux qui permirent à la France de renaître, après le naufrage moral et politique du régime de Vichy et de la collaboration. Le fait qu’Emmanuel Macron ait décidé de faire reposer sa dépouille au Panthéon, le temple des grands personnages de la République à Paris – où il sera accompagné de sa femme Mélinée morte en 1989, avec une plaque portant les noms de tous ses compagnons, la plupart étrangers et résistants – peut donc sembler logique. À l’heure où les derniers combattants de la France libre, communistes, gaullistes ou autres, sont en train de disparaître par la force de l’âge, la décision présidentielle vaut reconnaissance de l’histoire et de la patrie pour le sacrifice de tous ceux qui s’opposèrent, armes à la main, à la barbarie nazie. Y compris ceux qui n'étaient pas citoyens français. Le devoir de mémoire est ainsi accompli.

Difficile, toutefois, de ne pas faire le parallèle entre l’état de la France d’aujourd’hui, en 2024, et cette soif d’hommages à répétition, dont le dernier en date (légitime) est celui rendu à l’ancien ministre de la justice Robert Badinter, le 14 février, promis lui aussi pour un prochain transfert au Panthéon ? Emmanuel Macron, d’ailleurs, revendique ce lien entre le présent et le passé, en s’opposant à la venue de Marine Le Pen à cette cérémonie d’accueil de Manouchian au Panthéon. On connaît son argument: le Rassemblement national, ex-Front national, parti populiste anti-immigrés, fut au départ un parti d’extrême droite révisionniste, dans lequel se retrouvèrent d’anciens collaborateurs et d’ardents partisans de la colonisation. Ce que l’ex candidate à la présidentielle, qui viendra mercredi, conteste en opposant à ce récit d’autres noms de militants historiques du RN/FN ayant, eux, résisté durant la seconde guerre mondiale.

Une bataille morale

La bataille, au-delà des règlements de comptes historico-politiques, est en réalité morale. Bousculée par la déferlante macroniste de 2017, dont la promesse était de tout réinventer au-delà du clivage droite-gauche, la France et les Français n’en finissent pas de se chercher des repères solides et intangibles. Le réflexe «Je suis Charlie» de 2015 a progressivement fané, enlisé dans les querelles sur la laïcité et abîmé par la poursuite des attentats islamistes. L’héritage «gaulois» a été torpillé par le chef de l’État, qui n’a voulu y voir, lors de la crise des gilets jaunes, que le côté « réfractaire » de ses compatriotes. Les références à la nation sont confisquées par l’extrême-droite. Et, à l’inverse, la défense d’une France métissée, multiculturelle, se retrouve pris en otage, à gauche, par les incantations attribuées au wokisme.

Au Panthéon, à Paris, reposent les dépouilles de Voltaire, Rousseau, Jean Moulin, Simone Veil...
Photo: AFP
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Reste dès lors le passé. Mythifié. Panthéonisé. Gommé de ses aspérités pour convenir à notre époque de «punchlines» médiatiques. N’oublions quand même pas que Missak Manouchian, cadre de l’internationale communiste, était commissaire politique au sein de son mouvement de résistance. N’oublions pas non plus, évidemment, que l’entrée du parti communiste dans le combat contre les Nazis attendit 1941, et la confrontation Hitler-Staline, après l’apaisement initial. Tous ces méandres français sont connus, disséqués, étudiés par les historiens comme en témoigne la publication ces jours-ci du formidable livre de Julian Jackson sur «Le procès Pétain» (Ed. Seuil).

Voltaire, Rousseau, Jean Moulin

Le Panthéon, où reposent Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Victor Hugo, Jean Moulin, Jean Monnet ou Simone Veil, dit la France que l’on veut. Seul le président de la République peut décider d’y transférer une dépouille. Emmanuel Macron, convaincu depuis longtemps que notre époque ressemble à l’entre-deux guerres, espère sans doute, avec Missak Manouchian ce mercredi, mettre en avant le courage, la défense de la liberté et l’honneur.

Problème : plus l’éloge du passé est éloquent, plus les fractures actuelles apparaîssent béantes, voire insurmontables. Et plus la nostalgie de la France d’hier, supposée combattante, risque de miner l’optimisme et l’unité indispensable à la France d’aujourd’hui.

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