Entourage agressif d'un violeur
Un avocat lausannois se fait agresser dans un tribunal français!

Maître Albert Habib a vécu un procès dont il se souviendra longtemps. Pris à partie par l’entourage de l’homme qu’il venait de faire condamner pour viol sur mineure, lui et sa consœur ont dû être évacués de la salle d’audience.
Publié: 05.03.2024 à 17:08 heures
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Dernière mise à jour: 06.03.2024 à 08:31 heures
Alessia Barbezat

Il est 18h ce mercredi 21 février au Tribunal de Blois, ville française située à une soixantaine de kilomètres d’Orléans. À la Cour d’assises du Loir-et-Cher, Maître Albert Habib, un avocat vaudois, vient d’achever sa plaidoirie. Après 10 ans d’attente, sa cliente — une Lausannoise âgée aujourd’hui de 24 ans — peut enfin espérer voir condamner celui qui lui a imposé un rapport sexuel une fin d’après-midi d’octobre 2014. Elle n’avait que 14 ans.

Me Habib a un mauvais pressentiment. Il se tourne vers sa cliente et lui intime de ne pas attendre l’énoncé du verdict. «Je lui ai dit: ‘Partez, ne revenez pas’. La situation, je la connais, je sais qu’en droit pénal, la situation peut s’envenimer rapidement», glisse à Blick celui qui raconte son incroyable histoire pour la première fois. Bien lui en a pris.

Cinq ans de prison ferme

L’agresseur, un Tsigane de 29 ans basé en Bretagne, est finalement reconnu coupable de viol sur mineure et écope d’une peine de cinq ans de prison ferme, relate «Le Matin Dimanche» dans son édition du 3 mars. Il est incarcéré sur le champ. Et l’intuition de Me Habib de se confirmer. «Le prévenu et son entourage étaient venus en nombre à l’audience. Un groupe de personnes qui variait entre 10 et 20 personnes. Des enfants, les amis, les frères, les cousins», raconte le pénaliste.

Me Habib, avocat lausannois, a été retenu deux heures après une audience tendue en France.
Photo: D.R.

À l’énoncé du verdict, l’accusé s’effondre et les membres de sa famille se déchaînent. Les insultes et les menaces pleuvent à l’encontre de l’avocat et de sa consœur Lina Chillet malgré la présence de policiers. Le père de l’accusé, un pasteur évangélique, se montre le plus virulent. «Pendant une quinzaine de minutes, ils ont eu des paroles très menaçantes à mon égard. ‘Tu n’aimes pas les gens du voyage, tu es un raciste, toi l’avocat maghrébin avec une Rolex en or'», se souvient l’avocat vaudois.

«Rester debout et éviter le contact visuel»

Me Habib reste imperturbable. «Je me suis répété de ne pas réagir. Rester debout et éviter le contact visuel. Et tenter de protéger ma consœur qui se tenait juste à ma gauche.» En France, dès que l'accusé est reconnu coupable, un deuxième procès s’ouvre, civil cette fois. «Ma consœur devait plaider. Elle a dû abréger, elle n'a pu aborder que quelques points. Avec le brouhaha et les menaces, il lui était impossible de poursuivre les débats.»

Alors que les jurés et les magistrats filent par une porte arrière, Me Habib et sa consœur se retrouvent coincés à l’intérieur du tribunal. «Il n’y avait qu’une sortie et devant celle-ci, tous celles et ceux qui nous invectivaient. Il nous était impossible de sortir.»

Évacuation après deux heures

Les policiers parviennent à évacuer petit à petit les personnes encore présentes dans la Cour d’assises. Il est 00h30 lorsque les pénalistes parviennent enfin à quitter la salle d’audience, escortés par l’avocat général. Après plus de deux heures de sueurs froides. «Si j’ai eu peur? répond Me Habib. Il poursuit après un long silence: «J’avais conscience que cela pouvait dégénérer. C’est une chose qu’on garde en tête lorsqu’on fait du droit pénal sensible, même si on espère toujours que ça n’arrive pas.»

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«La salle de tribunal a dû être évacuée»
Me Albert Habib, avocat lausannois
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L’occasion pour le juriste de rappeler que ce n’est pas la première fois qu’il fait face à de telles violences verbales. «En juin 2023, à Porrentruy, je défendais une victime de tentative de meurtre dans une affaire de trafic de stupéfiants. Pendant que j’interrogeais le prévenu, j’étais fréquemment interrompu par des membres de sa famille ou des amis et la salle de tribunal a dû être évacuée.»

Des menaces régulières

Des menaces, le Lausannois en a reçu régulièrement, et ce, depuis le début de sa pratique en 2015. Mais Me Habib admet que les agressions sont plus fréquentes que par le passé. «Quand une personne n’est pas satisfaite d’un verdict, elle s’en prend plus facilement à l’avocat. Si avant, il existait une certaine forme de distance, aujourd’hui, elle n’existe plus. Le phénomène existe aussi avec ses propres clients. Vous savez, c’est l'éternelle rengaine: ‘J’ai perdu, c’est de ta faute. J’ai gagné, c’est grâce à toi.’ On expérimente cela aussi en droit de la famille, pas seulement au pénal.»

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«Je plaide pour l’installation de portiques de sécurité et de détecteur de métaux»
Me Albert Habib, avocat lausannois
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Les avocats sont-ils suffisamment protégés face à la hausse de cette agressivité? «C’est une bonne question, répond Me Habib. Je plaide pour l’installation de portiques de sécurité et de détecteur de métaux. Si cela existe à Genève, dans le canton de Vaud, ces mesures sont quasi inexistantes.»

Des mesures de sécurité pas systématiques

Ce qu’admet le bâtonnier de l’Ordre des avocats vaudois, Me Robert Fox. «Ce genre de dispositif n’est effectivement pas mis en place de façon systématique. Il est arrivé et il m’est arrivé d'avoir été impliqué dans des procédures qualifiées ‘à hauts risques’ par la police. Dans ce cas de figure, des mesures de sécurité spéciales ont été mises en place allant de l’installation de portiques de sécurité à la limitation d’accès à la salle d’audience. À situation particulière, mesure particulière.»

Si le bâtonnier admet avoir observé lui aussi une hausse de l’agressivité dans les salles d’audience, pour l’instant, il n’est pas question de renforcer les dispositifs de sécurité à l’entrée des tribunaux pour des raisons de contraintes budgétaires notamment. «Installer ce genre de dispositif a un coût», estime Me Fox. Pour l’instant, on évalue les situations à risque au cas par cas. Il n'est jamais arrivé que quelqu'un pénètre dans le tribunal avec un pistolet ou un fusil. On touche du bois.» Une réponse qui horripile Me Habib. «Qu’est-ce qu’on attend? Qu’un drame survienne pour agir?»

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