La star Soprano se confie à Blick
«Mon père musulman a pleuré quand il y a eu des attentats»

Le 4 juin, l'icône du rap français lancera sa tournée des stades à Lausanne, à la Pontaise, devant 30'000 personnes. À quelques jours de l'événement, l'artiste marseillais confie tous ses états d'âme: islam, extrême-droite, tentative de suicide et famille. Interview.
Publié: 27.05.2022 à 06:05 heures
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Dernière mise à jour: 29.05.2022 à 18:35 heures
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Je me rappelle pianoter frénétiquement sur mon LG Chocolate. Dans la cour de récré de mon école secondaire, j'essayais tant bien que mal de mettre sa chanson «À la bien» en sonnerie. Parler à Soprano était depuis un de mes rêves de gosse. Alors quand l’occasion s’est présentée ce mercredi 25 mai, je n’ai pas beaucoup hésité...

Pourquoi cette icône du rap français prend-elle le temps de bavarder avec un journaliste romand? Si vous êtes l’une ou l’un de ses fans, vous le savez sans doute déjà: Saïd M’Roumbaba — le vrai nom de l’artiste marseillais — lancera le 4 juin sa tournée des stades à Lausanne, à la Pontaise, devant 30’000 personnes. À cette occasion, l’enceinte renouera avec les spectacles d'anthologie (Pink Floyd, Elton John, Michael Jackson, U2, Tina Turner ou encore Johnny Hallyday), dont le dernier, celui des Rolling Stones, s’est joué en 2007.

À quelques jours de l’événement, quinze ans après ce dernier show mythique qui a fait vibrer l’ancien écrin du Lausanne-Sport et même toute la capitale olympique, Soprano revient pour Blick sur son enfance modeste. Il livre son manuel de vie, son admiration pour ses parents, qui ont quitté l'archipel des Comores pour s’établir en France, et les valeurs qu’il essaie de transmettre à ses enfants. Il évoque aussi son envie de se suicider un jour de 2004, le racisme, la dernière campagne présidentielle qui fut «très violente» et la montée de l’extrême-droite dans l’Hexagone.

Soprano se réjouit d'entrer dans l'histoire du mythique stade lausannois de la Pontaise.
Photo: ELISA PARRON

Comment allez-vous, Soprano?
Quand on n’a pas fait de concert depuis deux ans et demi, on est comme un enfant qui attend le jour de Noël. Je me réjouis de pouvoir remonter sur scène! Je suis en feu, si vous voyez ce que je veux dire…

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En feu, on a l’impression que vous l’êtes un peu toujours, non? Est-ce qu’il y a des choses qui peuvent vous énerver, vous rendre triste ou vous peiner?
Oui, il y en a même beaucoup. Mais, ma philosophie, c’est de toujours rayonner un peu. Aussi quand ça va mal. Comme ça, la douleur, la tristesse, l’injustice ou la haine sont un peu amoindries. Je relativise toujours. Donc, quand on me voit sourire, ça ne veut pas forcément dire que je suis heureux.

Cette technique fonctionne vraiment?
Très, très souvent.

En parlant de haine: dans votre septième et dernier album studio, «Chasseur d’étoiles», vous faites un clin d’œil à Justine de la série «Premiers baisers». C’est un certain Abdelkrim qui l’invite à danser un slow. C’est pour sortir Éric Zemmour et Marine Le Pen du dance floor?
(Rires) Vous avez tout compris. En un an, vous êtes le premier journaliste à me poser la question comme il faut! Je voulais exprimer à travers cette chanson que, malgré des origines différentes, on peut vivre ensemble. Que ce n’est pas un problème. Mes trois enfants sont Italiens, Comoriens, Français et Marseillais. Ils sont le fruit de tous ces mélanges mais ils ne se posent pas de questions, c’est juste normal. En revanche, c’est vrai que, quand on regarde la dernière élection présidentielle, quand on voit le racisme qui monte à cause de certains qui font beaucoup de bruit, je me dis que je dois faire encore plus de bruit dans l’autre sens, dans celui du cosmopolitisme.

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Maintenant que cette campagne présidentielle est terminée, vous pouvez me dire comment vous l’avez vécue?
C’était très violent. Je fais partie de ces artistes qui se battent contre les extrêmes. Comprenez-moi bien: je parle de tous les extrêmes, y compris hors politique. Boire trop de Coca, ce n’est pas bon. Faire trop de sport, ce n’est pas bon. Je préfère les personnes qui arrivent à trouver l’équilibre. Donc, quand je vois une montée du Front National — même si aujourd’hui ça ne s’appelle plus le Front National (ndlr: le Rassemblement National), quand je vois Marine Le Pen aller danser dans les DOM-TOM (ndlr: les départements et territoires d’outre-mer), je n’oublie pas que les gens sont divisés. Qui dit division, dit beaucoup de tensions dans la société. Après tout ce que nous avons vécu ces deux dernières années, je pense que nous avons au contraire besoin d’ouverture, de calme et d’indulgence.

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Vous vous considérez comme un militant?
Oui. Après, j’évite de me prononcer politiquement. Je ne dis jamais pour qui je vote. C’est personnel. Et je trouve que ce n’est pas le propos: je suis musicien. Mais ça ne veut pas dire que je ferme les yeux sur ce qui se passe. J’essaie toujours d'amener de la positivité et de la conscience dans mes textes.

Vous êtes justement un homme de mots. Comment rétablir le dialogue dans une société divisée?
Par notre comportement. Avec les réseaux sociaux, les mots sont compliqués. On sort les choses de leur contexte, on les multiplie par dix… Beaucoup commentent sans forcément savoir, sans recul, sans avoir tous les tenants et aboutissants. Ça peut créer de la confusion et des conflits qui n’ont pas lieu d’être. Pour ma part, j’essaie — je ne dis pas que je suis parfait — de montrer par des actes que je suis ouvert, que je peux aider mon prochain, que je suis libre dans ma création artistique. Que toutes ces choses-là sont possibles, qu’elles sont mieux que d’autres, plus négatives.

Donc la colère des jeunes des blocks de Marseille, que vous rappiez par exemple en 2007 dans «Halla Halla», ce n’est définitivement plus votre monde?
Non, non, non! Ça fait toujours partie de mon monde. Même si dans cette chanson, il y avait peut-être certaines phrases un peu démago. Sans doute parce que j’étais beaucoup plus jeune. Mais il y avait déjà ce côté «on fait la fête ensemble quand même». C’était déjà mon message. C’était un texte engagé, mais festif.

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Quelle est pour vous votre chanson la plus engagée?
«Cosmo». Cette chanson est plus légère que d’autres, mais c’est cette légèreté qui est justement très politique. On y revient à ce qui nous réunit: on peut faire la fête ensemble, qu’importent les couleurs et les classes sociales. Nous sommes différents mais c’est peut-être notre richesse. Et notre chance d'avancer et d'apprendre ensemble! Et peut-être que c’est même la clé pour s’améliorer soi-même.

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Avant d’en arriver où vous êtes, d’avoir cette aura rassembleuse, vous êtes passé par des moments très difficiles. Dans votre autobiographie, «Mélancolique anonyme», publiée en 2015, vous racontez notamment ce jour de 2004 où vous avez ressenti l’envie d’en finir. C’est votre seconde vie, avec vos enfants et votre femme, qui vous a permis de trouver l’apaisement?
Oui. Et aussi parce que j’ai malgré tout eu une forte envie de vivre, à laquelle je me suis accroché. À un moment, je n’arrivais pas à être celui que je voulais, c’est vrai. Mais, j’ai continué d’avancer, de regarder devant. C’était un peu une manière inconsciente d’essayer d’attirer les belles choses vers moi. Et c’est ce qui s’est passé. Si on ne regarde que le négatif, c’est lui qui vient à nous. Ce sursaut, c’est peut-être ce qui a amené ma femme, nos enfants, le succès…

Votre religion, l’islam, ça aussi été un phare dans vos périodes les plus sombres?
Bien sûr! Et vous savez, ce sont souvent ceux qui parlent le plus fort qu’on voit le plus. Mais ma religion, ce n’est pas celle que certains médias montrent. Je la vis de façon discrète et pudique, comme énormément de gens. Et je crois que c’est ce qui me fait devenir une meilleure personne.

Comment?
J’ose une comparaison: c’est comme une personne qui fait du sport. Au début, on fait un peu de cardio, un peu de ci, un peu de ça. Puis, progressivement, on s’améliore. On devient plus fort physiquement et mentalement. La religion, dans mon cas et dans d’autres, c’est pareil. Ça me permet de me dépasser dans le bien. Ça m’aide à tenir debout quand je vacille, à me relever quand je tombe. Mais quand j’entends certains religieux se focaliser sur tel ou tel interdit, je dis toujours: «À la base, tout ça, c’est pour être quelqu’un de bien.» Il ne faut jamais l’oublier.

C’est difficile pour vous d’être musulman en France, dans les circonstances actuelles?
Non. Je n’ai besoin de personne pour l’être. Mais je comprends la douleur des gens qui subissent des discriminations, comme l’homophobie. Quand il y a eu des attentats, mon père — qui est lui aussi musulman — a pleuré. À cause des drames, mais aussi parce qu’il était parfois dit sur des plateaux de télévision que c’étaient des musulmans qui avaient tué des gens. Cela a provoqué une réaction forte: «Mais non! Moi, je suis musulman. Je ne suis pas comme eux! Eux, ce ne sont pas des musulmans!»

C’est cet amalgame qui est le plus douloureux?
Oui. Parce que la réalité, ce n’est pas ça. La réalité, c’est que beaucoup de musulmans sont pieux et pudiques. On est toujours pointés du doigt, alors qu’il faut pointer du doigt une catégorie de personnes précise. Pas une religion dans son entier. Après, je pense qu’une personnalité comme l’acteur Omar Sy — qui est parmi les personnalités préférées des Français — et moi, peut-être, pouvons montrer des choses différentes, renvoyer une autre image. Et, avec nous, les gens arrivent à faire la différence. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Vous essayez de renvoyer une autre image de l'islam. J'imagine que vous le faites pour vous mais aussi pour les autres, notamment pour vos enfants. Que voulez-vous leur offrir maintenant, et que voulez-vous leur transmettre plus tard?
Les valeurs, c’est ce qui compte pour moi. Ils ne manquent pas de beaucoup de choses. Avec ma femme, nous leur expliquons qu’acheter un T-shirt à 900 euros… (Il réfléchit) Nous voulons qu’ils connaissent et comprennent la valeur de l’argent. Moi, avant, je n’avais rien. C’est important qu’ils prennent conscience de ça. Le respect des autres et, plus généralement, de l’humain est aussi quelque chose d’essentiel. Ce sont des choses que nous essayons de leur inculquer pour qu’ils soient conscients de la chance qu’ils ont. Pour qu’ils sachent que s’ils peuvent aider, c’est important.

Vous avez eu une enfance modeste, avec des parents qui travaillaient énormément. Les valeurs que vous voulez transmettre, ce sont celles dont vous avez vous-même hérité?
Oui, je les ai héritées de mes parents. Et ces valeurs sont aussi celles de ma femme. Elle n’aurait pas besoin de travailler, mais pourtant elle ne s’est jamais arrêtée. On trouve que c’est important de montrer à nos enfants que la sueur compte dans tout ce qu’on fait dans la vie.

C’est toujours l’enseignement de vos parents qui vous guide aujourd’hui?
Je pense que c’est pareil pour tous ceux qui ont un jour des enfants. Des fois, je me répète: «Comment ils ont fait, mes parents?! Comment ils ont fait?!» Donc oui, ils me guident toujours. Quand je pense au fait qu’ils ont traversé des océans pour venir en France sans en connaître la langue, qu’ils ont réussi à élever des enfants sans argent, à travailler dans un pays avec une culture totalement différente de la leur… Ils me guident par le respect et la fierté que j’ai pour eux.

Et en tant que fils d’immigrés originaires des Comores, où est-ce que vous vous sentez chez vous?
Je suis un enfant du monde. Mais c’est mon côté chauvin marseillais qui va parler: je suis né à Marseille. Et, dans cette ville, il y a les Comores, il y a l’Espagne, il y a l’Italie, il y a l’Arménie, il y a la Turquie, il y a l’Ukraine, il y a la Russie, il y a tout. C’est ça que j’aime. Ma ville est multiculturelle, cosmopolite.

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Si rien ne vaut Marseille, pourquoi lancerez-vous le 4 juin prochain votre tournée des stades à Lausanne, à la Pontaise? Vous aimez jouer à l’extérieur?
À la base, ce n’était pas prévu. On ne devait faire des concerts qu’en France, ce que je regrettais. Puis, on m’a proposé ce stade. On m’a dit que le dernier show qui y avait eu lieu était celui des Rolling Stones, que Michael Jackson et Tina Turner s’y étaient produits. Pouvoir faire partie de cette histoire, réunir des milliers de personnes pour faire la fête et réouvrir ce stade fermé à la musique depuis de longues années, ça m’a beaucoup touché.

Donc c’est pas du tout parce que vous avez un compte en Suisse?
(Rires) Ah non! Je n’ai pas de compte en Suisse! Ils sont tous à Marseille. J’ai beaucoup d’amis en Suisse, beaucoup de supporters — je n’aime pas le mot «fan» — qui me suivent depuis mes disques avec mon groupe Psy 4 de la rime. Je me réjouis de les retrouver, de leur montrer notre magnifique décor et le merveilleux show qu’on prépare maintenant depuis un an.

Vous connaissez un peu la scène hip-hop du pays?
Bien sûr! Je connais beaucoup les anciens. Parce que j’ai grandi avec.

Qui, par exemple?
Quand j’ai commencé, il y avait Sens Unik. C’est ma génération. Après, mon ami, c’est Stress. On a déjà fait des chansons ensemble et j’ai aussi collaboré avec des membres de son groupe. En dehors de ce style, l’émission «The Voice» m’a fait rencontrer le chanteur Gjon’s Tears. Quand j’étais juré, il était un des talents qui est allé jusqu’en demi-finales. J’ai aussi rencontré beaucoup d’artistes via les radios… J’ai plein de liens avec la Suisse.

Quel artiste pourrait, d’après vous, réussir à vraiment sortir de notre petit territoire?
Si j’ai bien capté, en Suisse, il y a la difficulté supplémentaire des différentes régions linguistiques. Mais, ce qui doit vous donner de l’espoir, c’est la Belgique. Les artistes belges ont réussi à exploser sur la scène francophone ces cinq dernières années. Alors, pourquoi pas les Suisses? Je crois qu’il y a un potentiel artistique de dingue, qu’il y a plein de talents. J’aimerais beaucoup découvrir les nouveaux qui arrivent!

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