Réconciliation ou dégradation
Le conflit jurassien va-t-il se résoudre avec Baume-Schneider?

Les Jurassiens et les Bernois ont une histoire difficile. L'élection de la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider pourrait être un prélude à la réconciliation... ou à la dégradation des relations.
Publié: 13.12.2022 à 20:34 heures
Robin Bäni

Elisabeth Baume-Schneider a atterri à Berne. Elle se tient maintenant sur la Coupole du Palais fédéral en tant que future ministre et non plus comme parlementaire, le drapeau de son canton à la main... Un petit pas pour Elisabeth Baume-Schneider, un grand pour le Jura. C'est ce qu'a dessiné un caricaturiste dans le journal local «Le Quotidien Jurassien». Le message est clair: elle entre dans les annales en tant que première conseillère fédérale jurassienne.

Mais certains observateurs estiment que l'élection de mercredi est bien plus importante. Le canton du Jura fait désormais définitivement partie de la Suisse. Elisabeth Baume-Schneider l'a aussi ressenti ainsi. Lors de sa première conférence de presse en tant que conseillère fédérale, elle a lancé: «Nous ne nous battons plus. Nous en faisons désormais partie.»

Pendant longtemps, les Jurassiens ont vécu sous la férule du canton de Berne. C'est surtout le nord du Jura qui se voyait opprimé. Ce qui a toujours échauffé les esprits. Les Bernois étaient protestants, les Jurassiens principalement catholiques. À cela s'ajoutait la barrière entre le suisse-allemand et le français. Maintenant que la nouvelle conseillère fédérale jurassienne est sous la Coupole, ce conflit prendra-t-il fin, une fois pour toutes?

Les Jurassiens manifestent le 30 août 2019. Peu avant, Berne a invalidé la votation sur le transfert de la ville de Moutier au canton du Jura.
Photo: keystone-sda.ch
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Les rails du tram recouverts de goudron

L'ancien conseiller national Andreas Gross, qui vit depuis des décennies dans le Jura, estime que la déclaration d'Elisabeth Baume-Schneider est fondamentalement prématurée: «Mme Baume-Schneider voulait sans doute rassurer les Bernois. Mais on ne peut pas exclure qu'une génération à venir ne veuille pas se résigner à la division du Jura.»

Le conflit porte sur des conceptions territoriales différentes. Et celles-ci persistent encore aujourd'hui. En 1947, des organisations séparatistes comme le Rassemblement jurassien, des combattants pour l'indépendance, ont vu le jour. Ils voulaient se libérer des griffes de l'ours bernois et fonder leur propre canton, composé de six districts.

Le conflit latent s'envenime alors et débouche sur des actions radicales. Les Béliers rebelles murent l'entrée de l'Hôtel de ville de Berne et déversent du goudron sur les rails des trams de la ville fédérale. Des séparatistes radicaux commettent des attentats à la bombe contre des dépôts de munitions et la Banque cantonale bernoise à Delémont. Jusqu'à ce que le gouvernement bernois cède, les combats de rue se multiplient.

«Je me bats toujours pour une fusion des deux Jura»

Dans les années 1970, plusieurs votations se succèdent. Finalement, le peuple suisse approuve la demande d'autonomie - le 1er janvier 1979, le canton du Jura voit le jour. Le bilan des séparatistes est malgré tout mitigé: le Jura-Sud, également appelé Jura bernois, reste fidèle à l'ours. Même un deuxième vote en 2013 n'y change rien. Les Jurassiens du Sud ne veulent pas rejoindre le canton du Jura.

Au nord de la région, certains n'ont toujours pas digéré cette décision. Parmi eux, Denise Béguelin. Son mari Roland Béguelin, leader des séparatistes, est décédé en 1993. Il est considéré comme le père du canton du Jura. Plusieurs rues et places portent son nom.

Le Blick rencontre la veuve pendant l'élection du Conseil fédéral à l'Hôtel de Bœuf à Delémont. Certes, elle aussi considère l'élection d'Elisabeth Baume-Schneider comme un rapprochement, mais elle reste toutefois marquée par le passé: «Les blessures infligées par Berne sont profondes.» Alain Charpilloz, ancien entrepreneur dans le Jura et rédacteur du journal «Jura Libre», est, lui aussi, d'avis que le passé n'est pas tout simplement oublié. «Je me bats toujours pour une fusion des deux Jura», souligne-t-il.

Vives protestations à Moutier

Les mouvements séparatistes comme le Rassemblement jurassien perdent du soutien, et ce n'est bientôt plus qu'une minorité qui souhaite la fusion. Andreas Gross en explique les raisons: «Les plus jeunes s'identifient moins au canton et montrent moins d'intérêt pour la Question jurassienne.» De plus, le Jura-Sud bénéficie de nombreux avantages à Berne, comme un propre conseiller d'État. «Tant que Berne le regarde particulièrement bien, le Jura-Sud voudra sans doute majoritairement rester», estime-t-il. Pour de nombreux citoyens du Nord, la Question jurassienne s'est également clarifiée depuis la votation de 2013.

Mais le cas de Moutier montre à quel point les émotions peuvent vite reprendre le dessus. La ville du sud du Jura a décidé en 2017 de rejoindre le canton romand, mais les Bernois ont annulé le vote. Il s'est ensuivi de vives protestations et un second tour de scrutin en 2021. Désormais, c'est certain, Moutier fera partie du canton du Jura en 2026.

Roland Béguelin a toujours exprimé la crainte qu'un conseiller fédéral jurassien puisse être corrompu par Berne. Mais sa veuve estime qu'«il aurait été satisfait d'Elisabeth Baume-Schneider», qui n'oublierait pas les intérêts du Jura. L'avenir le dira.


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