Trop d'engrais dans les champs
20% de pesticides en moins? Impossible pour la droite et l'Union des paysans

Alors que le conseil national tente d'apporter enfin un peu de rigueur dans la gestion des pesticides en Suisse, le camp bourgeois et l'Union des paysans se positionnent contre une mesure qui poursuit précisément ce but. Explications.
Publié: 12.12.2022 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 12.12.2022 à 07:07 heures
Camilla Alabor

Parmi les lois fédérales en vigueur, il y a celles qui s'appliquent et puis il y a celles qui s'appliquent un peu moins. C'est le cas en matière de protection des ruisseaux et des rivières.

Lorsque les agriculteurs épandent plus d'engrais que la terre ne peut en absorber, des nitrates nocifs se retrouvent dans l'eau. Mais lorsqu'il s'agit de la protection de l'or bleu, les cantons tardent à appliquer le droit fédéral, et ce, depuis 25 ans.

Résultat de cette largesse: de nombreux résidus de pesticides et de nitrates - considérés comme potentiellement cancérigènes - se retrouvent dans les eaux souterraines. Le Conseil national a estimé cette semaine qu'il était enfin temps d'agir. La Confédération doit désormais fixer un délai aux cantons pour la mise en œuvre des mesures prescrites par la loi.

Le PLR, l'UDC, le Centre et l'Union des paysans estiment qu'il est irréaliste de réduire l'utilisation des pesticides de 20% dans les exploitations du pays.
Photo: Keystone

Le Conseil national a-t-il enfin réussi à prendre des mesures salutaires? Pas tout à fait. Dès la semaine prochaine, l'UDC, le PLR et le Centre devraient mener une intervention visant à affaiblir à nouveau la protection des eaux. Il s'agit d'un contre-projet indirect à l'initiative sur l'eau potable et celle sur les pesticides.

Les objectifs environnementaux ne sont pas atteints

Ces deux initiatives avaient été combattues par l'Union des paysans, avec une campagne à plusieurs millions de francs. Celle-ci promettait que le problème des pesticides serait de toute façon abordé par le biais d'un contre-projet indirect, ce qui avait été bien accueilli par les électeurs. Ceux-ci avaient alors clairement rejeté les deux initiatives agricoles.

Mais ce contre-projet indirect fait une fois encore l'objet de luttes politiques. Au cœur des enjeux, la question de la surfertilisation ou, plus précisément, des pertes incontrôlées d'azote. C'est-à-dire qu'une partie des engrais utilisés sont lessivés par la pluie et se retrouvent dans les eaux souterraines sous forme de nitrates. Selon le règlement, cet excédent d'azote doit être réduit de 20%.

C'est justement ce point que les partis bourgeois veulent supprimer. Les Vert-e-s, le PS et les Verts libéraux ne sont pas de cet avis. Pour la conseillère nationale vert'libérale Kathrin Bertschy, la réduction de 20% de la dérive des engrais d'ici à 2030 est «le minimum absolu». Elle fait remarquer qu'une diminution de 30% serait en réalité nécessaire pour atteindre les objectifs environnementaux dans le domaine de l'agriculture.

Une réduction des pertes d'engrais est «irréaliste»

«Lors de la campagne de votation, le président de l'Union des paysans Markus Ritter a déclaré qu'en cas de refus, la Suisse obtiendrait la loi sur les pesticides la plus stricte d'Europe», rappelle Kathrin Bertschy. Il serait «déloyal» et «démocratiquement problématique» que l'Union suisse des paysans, alliée aux bourgeois, remette en question ces objectifs.

De son côté, Markus Ritter n'accepte pas la version de la conseillère nationale. Il renvoie à l'historique de cette véritable bataille entre le Conseil fédéral et le Parlement. À l'origine, le gouvernement avait présenté l'objectif de 20% en février 2020. Sous l'influence de l'Union suisse des paysans, le Parlement avait alors supprimé ce chiffre du projet à l'automne 2020. Lorsque le Conseil fédéral a publié la consultation sur le contre-projet indirect en mai 2021, il y figurait à nouveau. Désormais, selon la volonté de l'Union suisse des paysans, il doit à nouveau être retiré.

Selon le président de l'Union des paysans, une réduction de 20% des pertes d'engrais est «tout simplement irréaliste»: «Pour y parvenir, il faudrait que nous ayons en Suisse bien moins de vaches, de poules et de cochons.»

Pour lui, c'est la seule façon de réduire la quantité d'engrais en conséquence. Mais une réduction de la population de ces animaux en Suisse serait dans le même temps contraire à la volonté des politiques et de la population. «Cela ne ferait qu'augmenter les importations de viande», prévient Markus Ritter.

La question demeure: est-il possible de réduire l'azote excédentaire de 20%? «Théoriquement, oui», répond-on chez Agroscope, le centre fédéral de recherche agricole. Certains agriculteurs devraient toutefois réduire leurs pertes d'engrais de plus de 20% pour que l'objectif général soit atteint, car toutes les exploitations n'en ont pas la capacité.

Une chose est sûre: pour les agriculteurs, le défi est énorme. Mais si le rythme de l'utilisation de pesticides ne ralentit pas, les dommages causés à la nature seront immenses.

(Adaptation par Thibault Gilgen)

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