Une nouvelle ruée?
«Dans le marché de l'immobilier, l'heure est venue pour les investisseurs privés»

Les caisses de pension – auparavant si friandes d'investissements dans l'immobilier – se tiennent désormais à l'écart du secteur. Ce sont les particuliers fortunés qui mettent la main à la poche. Explications.
Publié: 01.08.2023 à 06:17 heures
Marc Bürgi, («Handelszeitung»)

Jusqu’à récemment, le marché immobilier suisse était en pleine effervescence. Les caisses de pension et les assureurs, notamment, investissaient des milliards de francs dans des immeubles d’habitation. Objectif: obtenir le maximum de rendement. Les appartements leur fournissaient des revenus locatifs constants et prenaient de la valeur d’année en année. Grâce à ces placements immobiliers, les institutions ont récolté un joli pactole.

Mais du temps a passé. Certes, les revenus locatifs continuent d’affluer: ils augmentent même du fait que taux d’intérêt de référence est en hausse. Mais l’augmentation de la valeur n’est plus garantie et le financement n’est plus si aisé: l’ère des taux d’intérêt négatifs est révolue.

Une accalmie sur le marché immobilier

Le marché immobilier, auparavant si animé, connaît donc une accalmie. Les prix de l’immobilier à des fins de rendement n’ont pas encore fortement chuté. Du moins, les données ne révèlent pas de forte baisse. Mais cela s’explique aussi par le fait qu’il y a très peu de transactions. Les données sur les prix doivent donc être considérées avec prudence.

Sur le marché immobilier suisse, l'heure est aux investisseurs privés.
Photo: Keystone
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Les autres chiffres parlent d’eux-mêmes. Au premier semestre, environ deux fois moins de ces immeubles ont changé de main qu’un an auparavant. C’est ce que montrent les chiffres du prestataire de services immobiliers CBRE Switzerland. Les chiffres du fournisseur de données MSCI Real Data indiquent même un marasme.

L’heure aux investisseurs privés

Les acteurs professionnels – en premier lieu les caisses de pension – ont réduit leurs engagements. En revanche, les particuliers passent à l’action. Au cours des six premiers mois de cette année, ils ont pour la première fois acheté des biens immobiliers en quantité. Les années précédentes, ils étaient plus souvent du côté des vendeurs, réduisant donc leurs investissements immobiliers. C’est ce qui ressort d’une analyse du fournisseur de données MSCI Real Data.

Pour Andreas Loepfe, professeur d’économie immobilière à l’université de Zurich, c’est sensationnel: «L’heure des investisseurs privés a sonné, ils font des offres dans le cadre de nombreuses transactions. Auparavant, les particuliers ne jouaient qu’un rôle secondaire sur le marché.»

L’inflation oblige à investir

«Désormais, les particuliers ont leur chance. Auparavant, ils étaient souvent les laissés-pour-compte des ventes en raison du grand nombre d’investisseurs professionnels disposant de capitaux importants et à la recherche d’objets de placement», souligne également Florian Kuprecht, directeur général de CBRE Switzerland, un prestataire de services immobiliers. Quant à savoir quels sont ces investisseurs privés, on ne peut que faire des suppositions. Il doit s’agir de personnes qui ont une certaine fortune – c’est-à-dire disposant de 5 à 15 millions de francs pour investir par exemple dans un immeuble d’habitation du Plateau suisse.

Pourquoi les profanes mettent-ils les gaz alors que les professionnels freinent des quatre fers? Les particuliers sont pressés d’investir leur argent pour que leur capital ne fonde pas sur leur compte en banque. L’inflation les frappe de plein fouet. L’immobilier reste une option de placement intéressante. Les prix sont certes encore élevés, mais les actions – l’alternative attrayante – sont également fortement valorisées. L’immobilier présente en outre d’autres qualités: il est considéré comme un investissement sûr et promet des revenus locatifs constants.

Les obligations redeviennent rentables

Pour les caisses de pension, l’inflation est un problème mineur. Le renchérissement les décharge même d’une partie de leurs obligations, car les rentes ne sont pas adaptées face à l’augmentation du coût de la vie. Avec les obligations, qui rapportent à nouveau des intérêts, elles ont trouvé une alternative aux achats immobiliers. Certaines caisses de pension risquent également d’entrer en conflit avec les autorités de surveillance si elles souhaitent augmenter davantage leur patrimoine immobilier. En effet, elles sont soumises à un plafond pour les investissements immobiliers.

Les caisses de pension ne sont pas les seules à ne plus vouloir acheter dans le secteur de l’immobilier. D’autres investisseurs professionnels – comme les fonds par exemple – font preuve de retenue, car les coûts de financement ont augmenté.

Le boom est terminé

«Pour les biens à partir de 50 millions de francs, il y a actuellement nettement moins d’acheteurs», rapporte Florian Kuprecht. Dominik Matter, partenaire du prestataire de services immobiliers Fahrländer Partner, tient un discours similaire. «Les investisseurs institutionnels sont de plus en plus sélectifs. Les immeubles situés en périphérie ne sont plus recherchés. Jusqu’à récemment, on trouvait sans peine des acheteurs, même pour des bâtiments mal desservis.»

La réticence du marché s’explique également par la grande incertitude qui règne quant à l’évolution de l’inflation et des taux d’intérêt.

Le moment où le marché immobilier reprendra vie dépendra de l’évolution des taux d’intérêt. Si les taux cessent d’augmenter ou finissent même par baisser, le marché reprendra de l’élan. Mais nous n’en sommes pas encore là: d’autres hausses de taux ne sont pas à exclure, selon la Banque nationale suisse. Le boom du marché immobilier, qui existait depuis près de trente ans, est par conséquent stoppé net, et ce, jusqu’à nouvel ordre.

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